Present - Barbaro [ma non troppo]

Sorti le: 22/03/2010

Par Fanny Layani

Label: Ad Hoc Records

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Après neuf ans de silence discographique (si l’on excepte le live paru chez Cuneiform Records en 2005, A Great Inhumane Adventure), voici le grand retour de Present, « l’autre » tête pensante du Rock in Opposition belge (aux côtés des frères plus ou moins amis d’Univers Zero), celle qui se complaît dans les guitares saturées et les moiteurs glaciales des atmosphères métalliques. Autant le dire d’emblée, l’attente en valait la peine, tant l’objet qui nous est proposé recèle de merveilles.

Ce sont bien évidemment les nouveautés qui suscitaient le plus d’attentes. La partie audio de ce Barbaro (ma non troppo) ne contient que trois titres ; mais à eux seuls, ils vaudraient l’achat de ce disque. Dès les premières notes, « Vertiges » annonce la couleur : stridences de saxophones et de violoncelle, piano glacial, rythmiques martiales écartelées entre guitare saturée, basse à l’agressivité sournoise et batterie maligne. Cette longue pièce (plus d’un quart d’heure) souffle autant le brûlant que le glacial, et sent d’un bout à l’autre les pieds crochus, le dos velu et l’haleine fétide d’une démoniaque créature, ne lâchant par moments sa proie que pour mieux s’en ressaisir, avec plus de rage encore.

« A Last Drop » (composé par Pierre Chevalier, dont l’apport au groupe semble ne cesser de croître) est d’un abord plus accessible et moins sombre, habilement construite autour d’un ostinato ayant furieusement tendance à se ficher dans un coin de l’esprit d’où il est bien difficile de le déloger. Ce titre vient proposer une respiration bienvenue avant la nouvelle plongée dans les profondeurs que constitue la ré-interprétation du mythique « Jack The Ripper », fruit des amours passées de Roger Trigaux, l’âme de Present, et Daniel Denis, mentor d’Univers Zero, paru pour la première fois sur Hérésie (1979) et remanié sans cesse depuis, par les deux formations.

Sur ce dernier titre, on quitte les friches industrielles aux poutres métalliques déformées par une pernicieuse corrosion, et les épanchements de fluides dégoulinant de fûts rongés par l’acide qu’évoquait immanquablement « Vertiges » pour s’enfoncer dans un obscur sous-bois où des écharpes d’une brume amère se prennent et se déchirent dans de menaçants taillis. La silhouette du mystérieux assassin se profile au loin et l’on cherche autant à le fuir qu’à l’apercevoir, tandis qu’il s’approche inexorablement, au rythme d’un morceau alternant attentes angoissantes et cavalcades dissonantes.

Le DVD de près de trois heures qui accompagne le disque est, dans son genre, un véritable bijou (un diamant noir, est-il besoin de le préciser ?). Dans son premier tiers, il reprend (en partie) la prestation de Present à la première édition du festival Rock in Opposition de Carmaux. Les versions électriques de « Jack The Ripper », « Ceux d’en Bas » et du monumental « Promenade au fond d’un Canal », qui restera pour l’éternité le chef-d’œuvre de Present, sont de véritables moments de jubilation et soulignent encore l’insolente puissance du groupe depuis quelques années.

Les cris du saxophone de Pierre Desassis et les plaintes du violoncelle de Matthieu Safatly viennent y compléter à merveille les rythmiques torturées de Dave Kerman (batterie) et Keith Macksoud (basse), et se superposent, toujours en tension, aux harmonies cagneuses de Pierre Chevalier (claviers) et des Trigaux père et fils (guitares). Mais ce sont surtout les versions acoustiques de « Souls For Sale » et « Vertiges » qui prennent aux tripes. Avec deux pianos (Pierre Chevalier et Ward de Vleeschhouwer) et cinq percussionnistes (Dave Kerman, Roger et Réginald Trigaux, Keith Macksoud et Matthieu Safatly), Present avait à l’époque réussi à créer un climat à la fois envoûtant et terriblement angoissant, traumatisant – pour le meilleur – un public qui ne demandait d’ailleurs que ça. La prestation au festival de Gouveia, l’année précédente, permet de profiter d’un « The Limping Little Girl » on ne peut plus malsain, où les « didn’t you hear what your mother said ? » font froid dans le dos, ainsi que deux autres versions de « Vertiges » (en partie seulement, le titre ayant été développé par la suite) et « A Last Drop ».

En bonus, une série de documents dans l’ensemble intéressants permettent un voyage dans le temps, au travers des diverses incarnations du groupe, depuis un « Present C.O.D. », simple duo de guitares à la sauce Trigaux, mêlant les images et les sons du paternel et de son fiston, à une prestation de 2001 en Allemagne, où Dave Kerman et Keith Macksoud, fraîchement arrivés dans le groupe, lui insufflaient une nouvelle puissance. Notons parmi ces documents une version en quatuor du « Poison qui rend fou », captée en 1994, avec Daniel Denis à la batterie. Le son autant que l’image ne sont pas de première qualité, mais peu importe au fond, au regard de la valeur du document, transpirant la puissance et l’intensité.

En revanche, puisqu’il faut bien jouer les grincheux pour justifier le salaire mirobolant que verse Progressia à ses chroniqueurs, on pourra regretter, pêle-mêle, une image qui n’est pas toujours d’excellente qualité, y compris pour les concerts les plus récents (alors que le son est très bon) et un visuel austère, ne mettant pas franchement en valeur le disque. Enfin, le regret essentiel, qui frise la déception : l’absence incompréhensible de la version piano et percussions de « Promenade au fond d’un Canal », qui clôturait la prestation de Carmaux en 2007, et qui avait sans doute constitué le meilleur moment de tout le festival !

Le contenu est tel qu’on en oublie vite la forme. Barbaro (ma non troppo) prouve, s’il en était encore besoin, la vitalité de Present, soulignée par l’implication majeure du groupe dans la renaissance du mouvement RIO (comme en témoigne son rôle central dans l’organisation du festival de Carmaux). Le Rock in Opposition n’est pas une simple étiquette esthétique, mais bien une véritable éthique qui, plus que jamais, se conjugue au… Present !