Gerrard & Schulze
26/10/2009
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Par Jérôme Walczak
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CONCERT : LISA GERRARD & KLAUS SCHULZE
Curiosité. C’est le premier des termes venant à l’esprit en observant cette double affiche aux apparences atypiques. Un monde semblait séparer les deux artistes : l’un est pour ainsi dire en retrait, après avoir, avec Tangerine Dream notamment, conféré ses lettres de noblesse aux claviers puis servi d’ancrage à ce qui deviendra bien des années après la musique électronique dite ambient. L’autre, la diva féérique de Dead Can Dance, se faisait quant à elle plus rare depuis quelques années, son nom n’apparaissant plus qu’au générique de superproductions américaines (Gladiator, The Mist, Ali, etc.). Un intrigant concert donc, qui marquait le retour parisien de Klaus Schulze, absent de notre capitale depuis 1994. Un musicien qui fait l’objet de brocards, de moqueries. On s’ennuierait, selon les beaux esprits, pendant ses concerts. C’est un fait, la musique de Schulze se résume à ce qu’elle est longtemps demeurée : de longues nappes de claviers hypnotiques, des progressions souvent improvisées, de lentes pulsations dans lesquelles s’entremêlent chœurs artificiels et longues gammes électroniques échafaudées pas à pas. Certes, cette musique s’écoute les yeux fermés, et les adjectifs séduisants (dynamique, enjoué, mélodique, et consorts) n’entreront pas dans le registre évoqué. Cependant, malgré cette image épuisante qui lui colle à la peau, il ne faut pas oublier que la musique électronique, Air, les plaintes de Björk, les méditations de Radiohead et les mélopées islandaises de Sigur Rós n’existeraient tout simplement pas sans ce grand et noble Monsieur. Klaus Schulze et Mike Olfield furent des pères fondateurs, de puissantes sources d’inspiration. Revoir cet homme sur scène, dans son petit costume rouge, se surprendre à esquisser avec lui un sourire mi-gêné, mi-amusé tandis qu’il s’excuse d’avoir été si long avant de revenir à la scène, savoir que la maladie n’est pas loin et entendre cette voix, ce timbre pétri d’humanité et de gentillesse : pour toutes ces raisons, le concert de la Cigale ne pouvait qu’être placé sous le signe des émotions. Le public hétérogène (anciens gothiques pour les deux tiers, vieux fans de progressif venant compléter l’ensemble) avait de quoi s’inquiéter. Schulze avait annulé une représentation quelques jours auparavant en raison d’un malaise ; pendant la journée, les rumeurs circulaient sur une possible rechute. Quelques heures anxieuses donc, avant que les portes de la Cigale n’accueillissent finalement la foule impatiente. La curiosité était belle et bien de mise : la plupart des gens présents ne connaissaient pas l’Allemand et venaient admirer l’obscure nymphe australienne. Son compère ouvre le bal, trônant devant d’immenses machines dont beaucoup se demandèrent si elles ne sont pas simplement là pour le décor. Schulze se présente en quelques secondes, estimant que l’attente n’a que trop duré, et s’attable à son pupitre pour distiller une grosse demi-heure de musique ambient, de nappes de claviers s’empilant les unes sur les autres. Les atmosphères invoquées sont éthérées, tout le monde est sous le charme. Schulze s’interrompt, annonce un petit entracte et la venue de « Lisa ». Manifestation de joie et de reconnaissance : le duo va indéniablement fonctionner. Que le vieux balladin germanique ait choisi de jouer seul en préambule est un véritable coup de maître : le public est hypnotisé, il sait désormais que la ligne mélodique dispensée ici servira avec délicatesse la voix de Lisa Gerrard. C’est donc avec quelques trépignements que la suite du concert est attendue. Lisa arrive, double chignon, robe de velour pourpre. Schulze s’installe à nouveau et le décollage est immédiat. La voix si particulière, son timbre pétri de mille variations, ses déclamations de barde irlandaise s’entremêlent parfaitement avec les gammes des claviers et autres chœurs artificiels, baignés d’une lumière juste, loin d’être envahissante, et qui permet à l’imaginaire des deux artistes de se déployer. Les lentes mélopées de Gerrard rappellent l’album Space Weaver, qui contenait également des moments de méditations électroniques. Schulze n’en reste pas moins un véritable accompagnateur : il ciselle les voix, structure et oriente. Schulze n’accompagne pas Lisa Gerrard, il la sublime, ni plus, ni moins. Ce lent travail de construction dure près d’une demi-heure et lorsque la musique s’interrompt, le public applaudit à tout rompre. C’est une joie, une exultation. Les deux comparses partent aussi discrètement qu’ils sont arrivés. Vient ensuite l’heure des rappels avec une session ambient et techno en solitaire, puis une bonne dizaine de minutes avec Lisa Gerrard, à nouveau, pour clore la soirée. La rencontre de ces deux monstres sacrés est un coup de maître. Bien souvent, les confrontations musicales n’ont guère de sens, mais il en est d’autres qui, comme une plante ou un organisme vivant, semblent naturelles. La greffe a pris et a donné naissance à un jardin extraordinaire : tout le monde se lève pour saluer ce couple, improbable sur le papier, mais qui sut si bien distiller ses performances et sa passion. Voir ce concert ne fut pas un simple moment de musique, ce fut un privilège. Jérôme Walczak site web : Lisa Gerrard site web : Klaus Schulze |