Yaron Herman Trio - A Time for Everything
Sorti le: 01/10/2007
Par Mathieu Carré
Label: Laborie Jazz
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Aussi surprenant que cela puisse paraître, tous les musiciens de jazz ne sont pas nés en écoutant Duke Ellington ou en devisant sur les vertus du meilleur tromboniste de l’orchestre de Count Basie. Depuis peu, certains ne se gênent même plus pour avouer qu’ils écoutent du rock et, comble de l’audace, osent en assaisonner leurs musiques. The Bad Plus revisite Black Sabbath ou Nirvana, Brad Melhdau offre un ravalement de façade à « Paranoid Android » et le trio d’Esbjorn Svensson, avec son approche directe des mélodies, s’impose dans le monde entier. L’inamovible formule piano-contrebasse-batterie se voit ainsi offrir un lifting agressif bienvenu, et revient, plus jeune que jamais.
Encouragé par ces exemples, l’Israélien Yaron Herman s’engouffre dans la brèche, après cependant un léger retard à l’allumage. Il n’aborde en effet la pratique du piano qu’à l’âge de seize ans, alors qu’excellait jusqu’alors plutôt dans les arabesques avec un ballon de basket. Est-ce cet apprentissage tardif, loin des poncifs théoriques, ou le goût de l’engagement physique qui font de ce disque une expérience si intense ? Toujours est-il que dès les premières secondes du bien nommé « Army of Me » emprunté à Bjork, le trio, tel un soldat partant pour le front, s’investit avec courage. Deux intrépides à ses côtés, dont le jeune impétueux et étonnant Matt Brewer à la contrebasse pour assurer un groove-service quatre étoiles, des idées et de l’audace plein les doigts, Yaron Herman expose son propos avec une limpide insolence.
La fascination vient avant tout d’une pulsation sombre, obsédante, qui parcourt tout le disque. Maquillée d’électronique sur « Army of Me », elle prend toute son ampleur lors de l’adaptation du « Toxic » de… Britney Spears. Basse minimaliste et staccato changent les étudiantes éméchées en snipers à l’affût. Après avoir visité aussi la musique classique au détour d’un prélude de Scriabine, Yaron Herman démontre, en plus de sa capacité à extraire la substantifique moelle de la musique d’autrui, un réel talent de compositeur : « Neshima » ou « Paluszki », efficaces, accessibles et un peu plus lyriques, se dégustent comme un apéritif en terrasse. Même si la forme et la jeunesse triomphante de cette musique lui vaudront vraisemblablement des comparaisons avec d’autres surdoués de la nouvelle scène jazz, ce trio expose une autre évidence plus intime. Quand The Bad Plus étale au grand jour les thèmes connus avant de les malmener, Yaron Herman (sauf sur le direct « Message in a Bottle ») préfère les sensations aux illustrations. La dernière adaptation de « Hallelujah » en convaincra les ultimes septiques : entre le pathos larmoyant de Jeff Buckey et l’original quasi-mystique de Cohen, Yaron Herman, touche une dernière fois directement au cœur. Accessible et léger malgré son intensité, « A Time for Everything » est une véritable bénédiction, que ce soit pour les auditeurs ou même plus simplement pour le jazz.