Marillion - Somewhere Else

Sorti le: 29/03/2007

Par Jérôme Walczak

Label: Racket Records

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On le sait, Marillion n’a plus rien, radicalement plus rien, à voir avec le groupe de Script for a Jester’s Tears voire même d’Afraid of Sunlight… L’amateur de Marillion époque Fish n’aimera pas Somewhere Else. Il est vraisemblable que sa sortie le laisse de toute façon somptueusement indifférent, comme l’ont laissé indifférent les précédents albums. L’auditeur intéressé par le Marillion époque Hogarth restera perplexe… S’il a été échaudé par Anoraknophobia, .com, Radiat10n, il rangera sans difficultés Somewhere Else dans la catégorie de ces pop albums. Celui qui attendait un nouveau Brave, un autre Marbles, un énième This Strange Engine ne va pas aimer, celui qui délire sur les morceaux les plus populaires de Marillion, comme « Map of the World », « You’re gone », « Angelina », etc. sera ravi. L’auditeur plus neutre trouvera sans doute l’œuvre sympathique, mais sans plus. Le fan, quant à lui, aimera et voudra qu’on aime sans se poser de questions.

Et pourtant, des questions, cet album en pose…

Somewhere Else énerve, détonne, conforte dans les opinions déjà tranchées. Il n’est pas l’album du retour de Marillion dans le giron du prog, il est plutôt le certificat de « non proguitude » de Marillion. On comprend aisément que cela peut énerver certains, alors que d’autres trouveront que cette question n’a plus aucun sens depuis des années. Marillion n’est plus un groupe de rock progressif, c’est dit, c’est envoyé par le groupe, c’est revendiqué.
Marillion a voulu faire encore autre chose. Imaginons, pour se représenter ce disque, Marbles, moins les grands morceaux épiques (« Ocean Cloud », « Neverland », « Invisible man »), mais avec plus de soin et de style dans les morceaux « faciles ». Et entre ces morceaux, des blancs, qui engloutissent aux tréfonds de notre mémoire ce qui a été écouté précédemment. L’enchaînement des morceaux avait l’avantage sur Marbles de nourrir une dynamique, de clarifier le message, de contribuer à la mise en mémoire. Là, il n’y a rien entre chaque chanson, que du silence, qui pointillise et brouille l’auditeur, parce qu’il doit faire un véritable effort pour se souvenir de ce qu’il vient d’entendre.

On ne prend pas de plaisir à écouter Somewhere Else, c’est un fait. Le disque écouté, on n’y retourne que par curiosité, mais pas par passion. Somewhere Else n’accroche pas, décidément, non, il n’accroche pas.
Certes, certains morceaux méritent pourtant le détour, notamment « Somewhere Else », titre lancinant, évoluant au rythme d’une mélopée attachante, jusqu’à un final où la guitare de Rothery retrouve toute sa puissance ; « The Other Half » plaira sans doute pour le son très eighties et sa parenté plus ou moins prononcée avec un album comme Holidays in Eden, « A Voice from the Past » est bon aussi, parce que la voix d’Hogarth est une des plus belles voix du rock contemporain et qu’ici, elle est mise en valeur de manière émouvante, édifiante, impressionnante, « The Wound » fonctionne bien pour les mêmes raisons : une voix mise en scène de façon délirante par Hogarth (on se croirait dans « Mad », sur Brave) avec une accroche clavier conférant une vraie étrangeté à l’atmosphère du morceau.

Tous ces morceaux forment un terreau favorable, on ne devrait donc pas être trop sévère avec Somewhere Else. On est loin de .Com ou des errements de Radiat10n ; le groupe a également éliminé les aspects les plus poussifs de ses compositions qu’on avait entendus par exemple sur Anoraknophobia. Alors ? Que se passe-t-il ? La mayonnaise ne prend pas. Le disque n’intrigue pas, l’introspection est absente. C’est un disque dynamique (« Most Toys »), des ambiances étranges sont favorisées (« The Wound » ; « Somewhere Else »), on découvre aussi des titres plus épiques, plus plaintifs (« The Last century For Man »). Comme en cuisine, les ingrédients sont excellents, les mets sont bien choisis, les produits sont de bonne qualité mais ce qu’on mange reste étrangement fade…

Il n’y a pas de réponse. La magie est rompue, quelque chose s’est brisé. Comme dans un couple où l’on se rappelle avec émotion et nostalgie de son partenaire des débuts de la relation en constatant avec amertume qu’avec les années, avec les habitudes et en dépit des efforts que chacun des deux a pu faire pour faire durer l’histoire, il y a moins d’attrait, moins d’attirance, plus de recul, moins d’amour, tout simplement moins d’amour. Ce disque ressemble à une ultime tentative de reconquête d’un amant déboussolé : il s’habille avec élégance, fait rire, intrigue toujours mais nous, nous sommes blasés, nous sommes indifférents. La petite balade finale (« Faith »), recette déjà expérimentée sur Brave avec « Made Again », vient conclure de manière assez pathétique la fin de l’entreprise de séduction. Toutes les ficelles ont été tentées et dans un dernier sursaut, Marillion vient nous demander de les aimer encore, gentiment, au coin du feu. On retient alors un sanglot, on repense au passé, à l’histoire, à notre histoire commune et on se dit : « C’est bon va, je t’aime toujours, ne complique pas tout » et on pardonne, en craignant quand même un peu l’avenir, parce qu’on demeure inquiet… C’est qu’entre temps, on est devenu adulte.