Naikaku - Shell

Sorti le: 12/03/2007

Par Christophe Manhès

Label: Musea

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Il fallait oser, Naikaku l’a fait. C’est de cette manière que l’on a envie d’aborder la description de ce groupe et particulièrement de cet album qui tente, sans complexe, de fusionner en un style unique deux mythes des musiques progressives : Anglagard et Dream Theater, c’est-à-dire, l’apothéose du raffinement symphonique accouplé à la puissance virile et crâneuse du métal progressif, rien que ça ! Sur papier, ça en jette ; mais sur disque ?…

Fondé en 1998 autour du bassiste Satoshi Kobayashi et de la flûtiste Kazumi Suzuki, le groupe a eu le temps de peaufiner sa machine de guerre et d’ajouter à cette base pour le moins originale une paire de guitaristes ébouriffants, un excellent batteur et un claviériste plutôt discret mais terriblement efficace. Shell n’étant que leur second album, on imagine le temps qu’ont dû passer ces musiciens, fans de sensations à la fois raffinées et musclées, pour mûrir leur production ; et franchement, ça s’entend.
Les Japonais sont de sacrés cavaliers, souvent lancés au galop, parfois à la limite de l’hystérie (voir Happy Family, Koenjihtakkei, Ars Nova…) tout en possédant une maîtrise technique indiscutable. Si Naikaku n’échappe pas à la règle, il s’en éloigne en même temps, notamment grâce à l’apport d’ingrédients comme de judicieuses tensions « crimsioniennes » et quelques tempos apaisés et exotiques dus à la flûte de Kazumi Suzuki, plus proche d’Anna Holmgren que des jongleries d’un Ian Anderson.
Disons-le tout de suite, si Naikaku n’atteint jamais les sommets musicaux des Suédois d’Anglagard (mais est-ce tout simplement possible ?), ils ont par contre le toupet de dépasser sur bien des points les furieux de Dream Theater. Chez eux les claviers y sont plus discrets, en soutien de l’ensemble, le chant a été purement et simplement supprimé, les guitares possèdent un jeu au « tonus psychologique » (le feeling !) surprenant et jouent une sorte de célébration heavy, panachée de psychédélisme, de jazz-rock, parfois même superbement bluesy (sur « I Found A Deep Dark Hole And I Am Going To Jump In !…  ») qui laisse pantois.

Prenez « Crisis 051209 », la longue pièce de près de 15 minutes qui ouvre l’album, c’est un véritable torrent de sensations fortes et variées contenant ce qu’il faut de tête-à-queue et de séquences nerveuses ou délicates pour vous donner d’emblée une idée de tout le savoir faire made in Naikaku. Ensuite, laissez-vous griser par l’efficacité redoutable de « Ressentiment », à faire pâlir de jalousie nos vieux précurseurs New-yorkais du métal progressif : le solo central, proprement inouï, est une véritable gageure psychédélique qui déchire l’espace comme une sirène annonçant l’Apocalypse. Effet garanti.
Allons jusqu’au titre éponyme, lui aussi de près de 16 minutes et ses passes d’armes virtuoses enchâssées dans un thème « anglagardien » du meilleur effet. Si c’est certainement, dans sa structure, le titre le plus classique de l’album, on est néanmoins bluffé pas l’évidence de son écriture et par cette manière déconcertante d’allier haute voltige et, au fond, simplicité.

Vous l’aurez compris, Shell ce n’est que du plaisir, mais un plaisir toujours pertinent, jamais forcé. D’ailleurs, osons aller plus loin pour affirmer que cet album est une vraie leçon donnée aux pratiquants du genre sportif qu’est le métal progressif : rien ne sert de jouer fort, vite et compliqué si vous oubliez que la musique c’est avant tout une affaire de feeling. Et Naikaku, sous ses dehors flamboyants, en possède une dose peu banale. Au final, dans le genre, un groupe et un disque exemplaire car moins frimeur qu’authentiquement fougueux. Vous allez vous régaler.