Tortoise - A Lazarus Taxon
Sorti le: 11/10/2006
Par Mathieu Carré
Label: Thrill Jockey
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Quel groupe majeur ne possède pas dans ses cartons quelques pistes inédites ? Peu assurément. Ne faisant pas exception, les Chicagoans de Tortoise, qui tiennent le haut de l’affiche post rock depuis près de quinze ans, ont donc décidé après cinq albums studio sous leur nom propre et des collaborations plutôt hétéroclites (The Ex, Bonnie « Prince » Billy) de livrer une sélection de leurs meilleures pièces de collection dans ce coffret d’une rare richesse comprenant trois disques et un DVD qui raviront leurs admirateurs transis.
Les deux premiers disques regorgent d’inédits divers. On y retrouve notamment quelques morceaux venant tout droit de la période magique des premiers albums Tortoise et Millions Now Living Will Never Die, tel « Gamera » qui résume la musique de Tortoise et pourrait presque à lui seul justifier l’achat de ce coffret ! Les musiciens s’appliquent à explorer au plus profond une ambiance, misent sur les petites modifications subtiles et les arrangements épurés. On débute par une mélodie de guitare acoustique un peu naïve pour arriver onze minutes plus tard à une superposition dense de couches harmoniques, soutenues par une rythmique infaillible. Entre les deux, pas de grandes épopées chevaleresques, de morceaux de bravoure technique ou de grandiloquentes montées en intensité: on arrive au septième ciel sans avoir remarqué ou presque que l’ascenseur avait démarré. La « patte » Tortoise est là: connue et reconnaissable entre toutes. Qualité ? Défaut ? Ce débat a déjà presque quinze ans lui aussi et ne sera pas tranché aujourd’hui. Si tous les morceaux ne sont pas du même calibre, peu sont dénués d’intérêt, les deux reprises de « Ten days Interval » à travers le regard électronique d’Autechre en sont la preuve. Mystiques, envoûtants, Tortoise réussit le tour de force d’être toujours source de fascination pour ses contemporains. La présence de « TNT » remixé par Nobukazu Takemura rappelle d’ailleurs au chroniqueur nostalgique une compilation datant de quelques années Musique facile pour gens difficiles où ce morceau côtoyait des productions de Mogwai, Labradford, Add N to X ou Ulan Bator… Dans ce grand bazar musical, déjà baptisé faute de mieux post rock, peu sont ceux qui ont réussi à survivre et à se forger une identité…
Sur le troisième CD, on retrouve un enregistrement rare, Rhythms, Resolutions and Clusters, constitué de remixes des titres de leur premier album. Que ces adaptations soient le fait de membres du groupe, notamment Bundy K. Brown, éphémère et influent personnage des débuts ou bien d’artistes extérieurs ne se ressent nullement. Une ambiance sourde, hypnotique, plane sur la petite quarantaine de minutes de cet étrange objet musical. L’auditeur est littéralement englué dans les enchevêtrements d’harmonies électroniques jouant souvent dangereusement avec le larsen. Du Tortoise remixé par du Tortoise en somme, les qualités et les défauts du groupe s’en retrouvant encore démultipliés.
Le DVD qui complète l’ensemble permet de découvrir quelques courts métrages se greffant sur la musique de TNT. Plutôt conceptuels, assez troublants, on est fasciné ou ennuyé selon son humeur. Ils ne sont cependant qu’une subtile introduction au feu d’artifice qui suivra. Plusieurs extraits de concerts viennent en effet conclure ce magnifique voyage dans le monde de Tortoise et rendent ce coffret quasiment indispensable. Jubilatoire quand leurs deux batteurs se font face, protéiforme quand un saxophoniste et un trompettiste les amènent dans ce monde du jazz vers lequel leur musique les fait lorgner depuis si longtemps, captivant quand trois des membres tissent des lignes pures au vibraphone en invoquant la musique minimaliste, Tortoise se révèle pleinement à travers ces images. Le chroniqueur est alors catapulté dix ans plus tôt, au festival des Eurockéennes de Belfort où il avait assisté presque par hasard sur la plus petite scène à un concert de cet étrange combo qu’il ne connaissait pas. Cette musique l’avait pétrifié (comme le reste de l’assistance qui attendait un rappel, les musiciens étaient prêts à continuer, pas les organisateurs qui avaient vraisemblablement les oreilles bouchées à l’émeri ce jour là), et aujourd’hui, le charme opère encore… Ces extraits démontrent que le travail régulier de ce groupe est avant tout l’oeuvre de musiciens surdoués, jouant de nombreux instruments, et qui utilisent l’électronique bien moins qu’on ne pourrait le croire en les écoutant distraitement.
Que dire pour conclure ? Si vous aimez Tortoise, A Lazarus Taxon devra être votre prochaine acquisition. Si vous ne connaissez pas, l’importance et la qualité du travail regroupées ici ont de quoi séduire, surtout étant donné le rapport qualité-quantité / prix imbattable. Si vous n’aimez pas Tortoise, vous pourrez continuer à vous moquer de cette musique si étrange en voyant ce coffret chez vos amis. Mais faites attention, un jour ou l’autre, vous pourrez bien tomber dans la potion magique de Chicago, et ce jour là, il y aura du retard à combler…