Dream Theater - Awake

Sorti le: 03/08/2006

Par Jean-Philippe Haas

Label: Warner Music France

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Alors que le monde du rock se remet difficilement de la déferlante grunge, Dream Theater continue d’évoluer dans sa dimension parallèle pour sortir un successeur à Images & Words, album fondateur, référence du heavy metal dit progressif et grand succès commercial pour le groupe. Pour cette mission extrêmement périlleuse, Dream Theater prend tous les risques et propose avec Awake un album presque aux antipodes de son prédécesseur, évitant ainsi l’écueil de la copie rassurante.

Difficile d’appréhender un tel « monstre », tout y est démesuré : les atmosphères, la performance des musiciens, la production. Il s’agit incontestablement de l’album le plus progressif, le plus ambitieux de toute la discographie de Dream Theater. Malgré le très accrocheur « 6:00 » qui ouvre les hostilités, Awake est très exigeant et demande une durée d’apprivoisement considérable. Être passé par la case Image And Words auparavant n’est pas forcément un avantage pour l’auditeur, son successeur se montrant beaucoup plus froid, les mélodies moins évidentes, les structures complexes plus nombreuses.

La maturité acquise par les musiciens frappe immédiatement, de manière presque aussi flagrante qu’entre When Dream And Unite et Images And Words. Leur créativité et leur symbiose atteint ici une apogée que le groupe ne connaîtra plus avant Scenes From A Memory. John Petrucci, plus inventif que jamais, balance à tout va rythmiques d’outre-tombe, arpèges mélancoliques et soli improbables pendant que Kevin Moore décoince sa palette sonore et incorpore déjà quelques bidouillages préfigurant sa carrière solo. La basse de John Myung n’a jamais été aussi rythmique et si peu démonstrative tandis que la batterie de Mike Portnoy apparaît paradoxalement beaucoup moins froide et synthétique que sur le prédécesseur d’Awake. Enfin, James LaBrie oublie par instants son chant stéréotypé pour nos offrir quelques-unes de ses plus mémorables performances vocales, toutes en sobriété (« The Silent Man », « Space-Dye Vest ») ou en agressivité (« Scarred », « Lie »).

Malgré sa longueur décourageante, l’album ne souffre d’aucun remplissage : Awake est d’une étouffante densité, et sélectionner l’un ou l’autre titre de l’album à des fins d’analyse relève d’un choix cornélien, tant la spécificité de chacun le rend indispensable à la cohérence de l’ensemble. C’est à peine si on peut reprocher à « Innocence Faded » de ne pas coller à la tonalité générale de l’album, mais bien prétentieux sera celui qui pourra pointer du doigt la faiblesse d’une composition. Impossible néanmoins de passer sous silence le triptyque « A Mind Beside Itself », pierre angulaire de l’album et quintessence absolue de Dream Theater. Ce morceau pose à lui seul et pour longtemps le style du groupe, à savoir un mélange équilibré et fluide de complexité, de virtuosité, de puissance, de mélodie et de finesse : un instrumental technique sans en être abscons (« Erotomania »), un epic très axé sur le chant (« Voices », ça ne s’invente pas) et une ballade acoustique, simple et efficace (« The Silent Man »).

Awake a pu décevoir de nombreux – et nouveaux – fans de Dream Theater par son interprétation parfois clinique, son propos plus heavy. Cet album démontre pourtant de façon éclatante que les américains étaient alors intouchables et prenaient le large pendant qu’une pléthore de groupes s’engouffrait seulement dans la brèche ouverte par Images And Words. En 1994, le prog metal acquérait définitivement ses lettres de noblesse. Depuis, il n’aura que rarement eu autant de saveur.