Slapp Happy - Desperate Straights (rééd.)
Sorti le: 25/02/2005
Par Djul
Label: Orkhestra International
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Orkhestra, label français très actif en matière de musiques nouvelles, réédite le catalogue d’un des artistes fondateurs du mouvement rock in opposition, Henry Cow, initialement disponible sur le mythique Virgin. Bien que le groupe fut créé dès 1968, la démarche sans compromission et la liberté d’expression d’Henry Cow a posé la pierre fondatrice du RIO né en 1977. Sans doute cette démarche explique-t-elle aussi sa relative confidentialité et sa marginalité en comparaison des cadors du progressif de sa génération. Laboratoire des expérimentations de Fred Firth, compère de John Zorn, de Chris Cutler, fondateur du label Re Records (ReR), et de John Greaves, dont Progressia a chroniqué l’un des derniers concerts solo au Triton, aucun album de cette formation à part ne peut être aisément catégorisé, même si une filiation avec l’école de Canterburry et le RIO, deux styles pourtant très opposés, peut être relevée.
Desperate Straights est d’ailleurs symptomatique de ce goût pour l’insaisissable. Né d’une fusion entre Henry Cow et le trio Slapp Happy, il doit même être clairement séparé de la discographie du premier tant Slapp Happy prédomine, au contraire du disque qui le suivit en 1975, In Praise of Learning. Slapp Happy n’a pas connu la même reconnaissance que la Vache Henri malgré une musique très originale, proche d’un rock progressif ayant intégré des éléments du cabaret berlinois à la sauce Bertholt Brecht – Kurt Weill. Ainsi, la quasi-intégralité des treize titres de ce Desperate Straights ont été composés par Anthony Moore et Peter Blegvad, respectivement pianiste et guitariste de Slapp Happy, tandis que l’incroyable Dagmar Krause imprime sa voix mi-cajoleuse mi-ensorcelée sur les compositions, rappelant un improbable croisement entre Nico, Marianne Faithfull et Edith Piaf, avec un petit accent outre-Rhin qui n’est finalement pas dérangeant !
L’album est donc une succession de courts morceaux très théâtraux et virevoltants, comme « Bad Alchemy » et sa rythmique entêtante, ou le mélodramatique « The Owl », avec ses entrelacements de trompettes et sa superposition de voix en forme de chorale. Le Canterburry fait surface dans un « Riding Tigers » à l’ambiance pastorale proche du Caravan de la même époque, ou sur le morceau titre, en forme de ballade jazzy et instrumentale que Robert Wyatt ne renierait certainement pas.
La ligne directrice de l’album reste une écriture très classique, et fondée sur une rythmique pointilleuse sur laquelle piano et voix se greffent parfaitement. De même, de nombreux arrangements pour instruments à vents – un quintette étant invité sur le disque – donnent une saveur très particulière à ce Desperate Straights. De cette belle harmonie ne détonnent que « Strayed », un morceau surf guitar pas forcément opportun, et le long final abstrait constitué par « Caucasian Lullaby », à l’ambiance mortuaire Erik-Satienne. Notons au passage la production précise et détaillée magnifiée par le remastering de Bob Drake.
Peu (voire pas) représentatif du style Henry Cow au contraire d’un album comme Unrest, ce disque n’en reste pas moins un moment d’écoute à la fois agréable et intriguant. Le format court des morceaux oblige Henry Cow et Slapp Happy à aller à l’essentiel, mais la richesse de l’instrumentation de ces « pièces », au sens classique du terme, n’en est pas altérée.