Magma - Ëmëhntëhtt-Rê

Sorti le: 11/12/2009

Par Christophe Manhès

Label: Seventh Records

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Avec d’un côté Magma, légende bien vivante objet d’une idolâtrie rare, et de l’autre ce Ëmëhntëhtt-Rê, fresque attendue depuis près de quarante ans, il y a de quoi se sentir intimidé. D’autant plus que cette imposante création, initialement dispersée mais aujourd’hui recomposée et copieusement augmentée pour sa version studio, fait polémique.

Cet album boucle une trilogie débutée en 1974 avec Kohntarkosz et poursuivie trente ans plus tard en 2004 avec la sortie de KA. Sur le fond, pas de doute, Ëmëhntëhtt-Rê est une œuvre considérable, à la hauteur des meilleures créations de l’entité kobaïenne. Elle est tout d’abord d’une grande cohérence et intègre parfaitement une masse d’éléments d’origine hétérogène. Elle est également d’une construction remarquable, lisible et simple, qui a l’avantage de bien mettre en valeur la formidable densité de sa partie centrale (« Ëmëhntëhtt-Ré II » et « III ») où, dans une cavalcade homérique, s’exprime l’essence transcendantale de Magma.

Moins que jamais la complexité et la vélocité rythmique ne servent ici une mauvaise cause. Cette zeuhl est un vortex qui étourdit et aspire, avec la vigueur irrépressible d’une danse soufi, vitale et éblouissante. Aussi faut-il bien sentir la pesanteur de la conclusion de « Funëhrarïum Kahnt » pour être ramené sur terre. Enfin, même si Ëmëhntëhtt-Rê a été composée pour une interprétation collective, il faut ajouter que Christian Vander, impérial, domine spectaculairement la tourmente en interprétant avec une hargne peu commune l’une de ses partitions rythmique les plus explosives.

En revanche, il faudra examiner minutieusement Ëmëhntëhtt-Rê en dissociant les critères artistiques et techniques. Alors que bien des groupes aux moyens plus modestes réussissent un travail de production irréprochable (Setna ou Aranis dans la sphère d’influence zeuhl), et qu’un autre gourou comme John Zorn met un soin inouï à peaufiner le son de ses albums studios pour que chacun puisse pénétrer les subtils méandres de ses œuvres, il est difficile d’admettre l’incapacité de Magma à saisir le flux magnétique de son art par une production digne de ce nom.

En plus de manquer de dimension, le spectre sonore est désagréablement sourd, compressé, quand il ne rend pas certains titres inécoutables, comme « Funëhrarïum Kahnt » où la saturation est particulièrement problématique. Pour tout dire, même la batterie de Vander sonne mal. En visionnant le DVD bonus, il est d’autant moins évident de comprendre ce défaut récurrent, étant donné le soin apporté au travail d’enregistrement par Christian Vander. Dans ces conditions, il est évidemment difficile d’apprécier Ëmëhntëhtt-Rê à sa juste valeur.

Ceux qui auront vu jouer sur scène les parties déjà connues de ce troisième volet auront éventuellement du mal à accepter cette version définitive, nettoyée et figée pour les besoins du studio. Or, c’est une œuvre considérable, vaste et profonde. Affirmer également que la production est à ce point désastreuse et qu’elle sabote tout est un pas difficile à franchir tant la partition est traversée d’un authentique génie.

L’œuvre déborde tout. Et puis, il faut se faire une raison, Magma est avant tout un groupe de scène. Dommage seulement que, pour la postérité il ne semble pas possible de saisir dans de meilleures conditions toute la subtile puissance visionnaire de ce groupe d’exception.