Eyeless in Gaza - Plague of Years
Sorti le: 12/03/2007
Par Mathieu Carré
Label: SubRosa / Orkhestra
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Chacun de nous cultive quelques répulsions bien inexplicables. Pour votre serviteur, elles restent essentiellement centrées sur le foie de génisse, la purée de poix cassés et les compilations musicales, ce qui explique sa prudence lors de la découverte de Plaque of Years de Eyeless in Gaza qui ne survole pas moins de 26 ans de l’œuvre de ce duo formé de Martyn Bates (chant, guitare) et Peter Becker (basse, claviers). Presque trente ans dans l’ombre des musiques ombrageuses ; né avec le post-punk et la cold-wave, Eyeless in Gaza, toujours suivi par une poignée d’aficionados a tracé sa route sans compromis.
La cohérence parfois aléatoire reste le principal écueil de ces rétrospectives. Ici, toutes les époques du groupe se chevauchent anarchiquement, la piste chronologique étant inexploitable, il convient de ne se fier qu’à sa seule sensibilité musicale pour ce voyage. L’atmosphère très pesante s’installe dès l’introduction, où percussions entêtantes, harmonies venteuses et incantations se mêlent avec plaisir en rappelant les Cocteau Twins. Aucune once de joie à l’horizon, tout ici est somptueusement obscur, comme si les deux acolytes emprisonnés à tort criaient inlassablement leur peine. Accords de guitare plaqués, lignes de basse inamovibles, nappes synthétiques et innombrables sonorités se liguent pour vous déprimer. « Mixed Choir » télétransporte l’auditeur dans une salle de classe poussiéreuse du siècle dernier, le professeur bat inexorablement la mesure avec un crayon, l’élève brillant mais distrait se perd dans son poème qu’il croyait connaître par cœur et on sombre avec lui. Avec « Before December », une froideur toute minimaliste prend le contrôle des opérations, quelques timbales suffisent à émouvoir de manière quasi-irréelle. Parfois, des cloches ou bribes de textes récités ( « Sun-Like-Goldnbsp ») se surajoutent au tout. Créateurs d’ambiances géniales sur certains morceaux, Martyn Bates et Peter Becker ont malheureusement cru qu’en ajoutant des paroles, le charme opérerait encore…
Car en se mélangeant avec une voix trop théâtrale, multipliant les mêmes poncifs au fil des morceaux, le philtre de Eyeless in Gaza perd presque tous ses pouvoirs magiques. En suggérant l’angoisse, on entrevoyait le sublime, en la chantant on tombe dans la caricature. Caricature d’abord donc vocale, tel Nicolas Canteloup imitant Mylène Farmer, Martyn Bates use et abuse de la réverbération (« Reminding Pictures »). Et même si la voix est posée, elle impose une tournure résolument plus pop aux compositions artisanales du duo, bridant leur inventivité et ramenant la musique vers des structures bien plus conventionnelles. C’est d’ ailleurs en assumant le plus cette autre facette de leur musique que les titres chantés se révèlent les plus convaincants, avec « Rose Petal Knot » ou « To Cry Mercy », solidement ancrés dans les années 80.
A l’écoute de ce patchwork judicieusement sous-titré Songs and Instrumentals, la tentation existe donc de se tourner de préférence vers les derniers cités, tout en reconnaissant que le timbre de voix qui déplaît tant à certains peut en fasciner d’autres. Espérons donc que ceux-ci auront la curiosité de découvrir cette compilation, par essence inégale mais regorgeant de trésors comme lors de l’ultime « Falling Leaf/Fading Flower : Goodbye to Summer » où emporté sur un chalutier, on entend les sirènes rouillées du vieux bâtiment déchirer la nuit, et au loin, ce sont les baleines qui leur répondent, et elles chantent vraiment bien, elles.