Thinking Plague
30/04/2008
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Par Christophe Manhès
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CONCERT : THINKING PLAGUE
Cela fait vingt ans que Thinking Plague porte très haut l’héritage du mouvement Rock in Opposition. Plébiscité par la critique, le groupe n’est pourtant venu jouer qu’une seule fois sur le vieux continent, en 2000 pendant le festival MIMI. La programmation des Américains au Triton est donc un événement rarissime que Progressia s’est empressé de couvrir. Setlist : Un Triton copieusement rempli et une ambiance très décontractée promettent une excellente soirée. Signe qui ne trompe pas concernant l’importance de l’événement, assis derrière vos serviteurs, le charismatique musicien de Present, Roger Trigaux, a fait le déplacement. Nous sommes d’autant plus impatients. Sur scène, nous retrouvons la plupart des membres historiques de Thinking Plague : Mike Johnson à la guitare, Dave Willey à la basse, Mark Harris au saxophone et Dave Kerman à la batterie. Viennent s’ajouter Stevan Tickmayer aux claviers, ayant officié avec Science Group, et Elaine DiFalco qui remplace la chanteuse Deborah Perry, malheureusement absente. Connue pour ses participations avec l’un des plus fameux papys du rock, Hugh Hopper, on est intrigué de savoir comme relèvera-t-elle le défi qui lui est lancé. Sans oublier bien sûr la guest-star de seconde partie de soirée : « B.D. » — Bear Dog — qui viendra nous exposer ses talents de « bête de scène ». Partie I Nous sommes immédiatement plongés dans les sombres méandres de l’album In Extremis. L’excellent « Behold the Man » fait l’ouverture du set avec un Kerman tout sourire. Le titre sonne presque groovy et nous enivre rapidement avec l’énergie caractéristique du son rock en live. Copieusement allongé pour l’occasion, vient l’emblématique « Blown Apart » où DiFalco démontre qu’elle est très à l’aise avec l’appropriation du chant pourtant particulier de Deborah Perry. Sonnent les premières notes de l’album A History Of Madness avec pour commencer un « Rapture of the Deep » impressionnant et nimbé d’une atmosphère menaçante. Dave Kerman s’y livre complètement et met en lumière l’interprétation parfaite du groupe, ce qui n’étonnera personne ! Après le duo guitare et saxophone de « Gúdamy le Máyagot » surgit le tout aussi sévère « Least Aether for Saxophone », une des pièces de Thinking Plague les plus free-jazz. Jouée live sur l’album mais suivie d’une composition très contemporaine (« Le gouffre »), cette dernière est ici remplacée par une autre partition tout aussi exigeante. Mike Harris y est magnifique. Une ambiance de recueillement emplit immédiatement la salle. L’exploration de la face la plus avant-gardiste de Thinking Plague continue, mais cette fois-ci à travers une improvisation à l’atmosphère bon enfant où se mêlent virtuosité et humour. Des sons samplés fusent — sonneries de téléphone, beuglements de bovidés, … — pendant que Dave Kerman fait mine de démonter sa batterie tout en crachant des pépins sur ses fûts. C’est le bastringue en folie ! Même si cette fin de première partie en aura peut-être agacé quelques-uns, elle s’est déroulée avec une telle bonhomie que le groupe emporte une très large adhésion du public. Partie II Ce second set aura été marqué par la prestation surprise et franchement inoubliable de « Bear Dog », alias Bob Drake, pendant le fameux « Lycanthrope ». Son incroyable et très réaliste costume d’ours polaire ravit l’auditoire. Premier batteur de l’histoire du groupe, le grand Bob Drake avait naturellement sa place sur scène. Sacrée soirée où finalement rien n’aura manqué. Qui connaît « Lycanthrope » sait à quel point ce titre est profondément émouvant. La virtuosité de Mike Johnson et la singularité de son style, d’une beauté renversante, y sont mises en valeur comme jamais. Malgré son accoutrement, Bear Dog reste bluffant de précision. Une salve d’applaudissements mérités salue la conclusion du titre. Dave Kerman reprend alors sa place derrière les fûts pour exécuter avec tous ses camarades le titre « Love », extrait comme son prédécesseur, d’In this Life. Fini de rigoler même si nounours continue de faire le zouave sur les planches. Les mélopées insolites du titre sont particulièrement bien rendues par le chant de DiFalco pour un résultat intense. Après un solo au clavier de Stevan Tickmayer qui démontre le goût du bonhomme pour les partitions virtuoses, « Consolamentum » poursuit la prestation impressionnante du groupe vers des contrées toujours plus sombres et énigmatiques. Seul titre de l’album Moonsongs, « Warheads » est débarrassé de ses accoutrements « electro-eighties » et délivre une puissance remarquable où la basse de Dave Willey fait des merveilles. Preuve est faite de la valeur du vieux répertoire. « Warheads » achève le show dans une débauche d’énergie qui étourdira une fois de plus l’auditoire. Impossible pour Thinking Plague de se dérober au rappel. La salle, debout, est bien déterminée à ne pas laisser le groupe partir. C’est ainsi que le fabuleux « Dead Silence » nous est servi en guise de digestif. Accueillie comme elle se doit, cette musique nous emporte une fois de plus par sa splendeur et son interprétation directe et énergique. Cette fois-ci, les lumières s’allument pour de bon. Découpé en deux parties, le show aura exploré pour notre plus grand plaisir tous les albums du groupe à l’exception de leur premier. Et ce sont bien In Extremis et A History of Madness qui se sont taillés la part du lion. Si la première partie fut peut-être un peu trop hermétique pour le profane, la seconde aura convaincu tout le monde. Tout en utilisant un langage difficile et particulièrement mélancolique, presque dépressif, les Américains réussissent à donner à leur musique une beauté évidente, hors-norme, où la fascination l’emporte largement sur la complexité. Avec Thinking Plague on goûte à un plaisir sombre comme on parle d’humour noir. C’est tout le mérite de ces musiciens chevronnés de nous livrer ce trésor, sans jamais se prendre au sérieux. Un très grand moment. Christophe Manhès site web : http://www.generalrubric.com/thinkingplague/ |