Catherine Ribeiro
27/01/2008
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Par Christophe Manhès
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CONCERT : CATHERINE RIBEIRO CHANTE RIBEIRO + ALPES
Commençons par un peu d’histoire tant il est vrai que beaucoup – mais pas tous, nous le verrons – ont oublié la grande carrière du groupe. Dans les années soixante-dix, celui-ci a produit pas moins de neuf albums (dont La déboussole qui recevra le grand prix de l’académie Charles Cros) et donné plus de cinq cents concerts dans les plus belles salles, en France et à l’étranger. L’heureuse association se dissout au tout début des années quatre-vingt et Ribeiro, devenue icône seventies, ira « chanter les autres » comme elle dit, pendant près de vingt ans. Ce n’est qu’en 2002, lassée de ce répertoire, qu’elle reviendra – pour notre plus grand bonheur – à celui de Alpes. Avec Ribeiro + Alpes, voilà l’occasion de revenir sur une légende oubliée des années soixante-dix, qui a incarné en France autant la révolte contre la déshumanisation de notre société, que le souffle créatif d’un rock progressif à la facture singulière. Cas à peu près unique dans l’Hexagone, la chanteuse possédait l’aura d’une pasionaria tout comme la stature d’une artiste intransigeante et sincère. Son complice de toujours, Patrice Moullet, a le mérite d’avoir su, dès les débuts de la réunion Ribeiro + Alpes, sertir sa voix unique dans des compositions d’une finesse et d’un souffle d’une intensité sans équivalent dans le paysage rock français de cette époque. Entre Peter Hammill et Janis Joplin, la diva tient sa place haut la main. Set-list : Jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque – Un Regard clair (obscur) – Dis-moi qui tu embrasses – Parle-moi d’un homme heureux – Le Manque – Carrefour de la Solitude – Racines – Boogie Alpin – Pour une fois encore – Attendre pas – Elles – Stress et Strass – La Trainitude – La Pierre et le Vent – Paix 007 – Rappel : La Pierre et le Vent – Pour une fois encore Assister à un concert de Catherine Ribeiro aujourd’hui, c’est un peu comme participer à la célébration d’un culte étrange dont il est difficile de définir la nature. Communautaire et nostalgique, son public se comporte souvent en vrai fanatique, ce qui représente pour les rares novices un vrai sujet de stupéfaction. C’est au Bataclan, mythique salle vêtue de rouge, que la grande prêtresse officia ce soir-là pour un concert exceptionnel et donc très attendu par ses ouailles. De la formation classique de Alpes, il ne reste sur scène que le bassiste Francis Campello. Les nouveaux musiciens assurent sans problème la relève même si, pour certains, c’est avec une fougue envahissante (le facétieux Luc Heller à la batterie) et pour d’autres, à l’opposé, avec une impassibilité un peu excessive (Gilles Thémelin aux claviers). Le spectacle commence dare-dare par un titre phare du groupe : « Jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque ». Typiquement « ribeiresque », il est joué en force. Bonne surprise, le son est excellent, la voix de Catherine est bien présente même si elle manque parfois de clarté. Les musiciens connaissent indiscutablement leur sujet. Cependant, pour qui est plus familier des albums que des concerts du groupe, on ne peut qu’être surpris par la puissance presque heavy de l’ensemble. La musique de Alpes en perd un peu de sa fascination et on regrette de ne pas retrouver cette merveilleuse sensation qu’exhalent les albums seventies en juxtaposant miraculeusement vigueur et légèreté. La beauté mélodique et l’éloquence de Ribeiro emportent cependant le public. Dans la lignée du titre précédent vient une nouvelle et remarquable incantation : « Un Regard clair ». Les musiciens poursuivent avec deux morceaux toujours tirés du répertoire classique du groupe, « Dis-moi qui tu embrasses » et « Parle-moi d’un homme heureux ». Le groupe imprègne d’une belle énergie l’interprétation et ajoute une superbe touche psychédélique qui compense en partie la frappe de Luc Heller, virtuose mais peut-être trop massive pour ce type de répertoire. Fait suite ce que l’on pourrait déterminer comme une seconde partie où le répertoire joué n’appartient plus réellement à Alpes. De toute évidence les compositions sont moins marquantes mais continuent à mettre en avant le chant charismatique de Ribeiro. Le show devient alors nettement plus inégal. « Carrefour de la Solitude » et « Pour une fois encore » cassent le rythme en se rapprochant plus de l’univers de la variété que de l’énergie rock de départ. Dans le public, évidemment conquis par avance, l’ambiance est presque plus ardente que sur scène, provoquant un étrange décalage. Les sempiternelles « Catherine on t’aime ! » fusent, laissant la chanteuse décontenancée, ne sachant trop comment répondre à tant d’idolâtrie. Avec « Boogie Alpin », les musiciens refont parler la poudre et chacun y va de son petit solo. On est loin, très loin, du sommet des Alpes et plus près du plancher des vaches du blues. Cette nouvelle couleur, en plus de banaliser la musique, s’accorde mal avec le style du groupe dont les origines sont à mille lieux de cette trame harmonique. Heureusement, « Attendre pas », une nouvelle et magnifique composition de Patrice Moullet, exhale à nouveau un fort accent « alpin » et revitalise l’attention du fan des années soixante-dix. Finalement, au bout de quatre-vingt-dix minutes, vient ce qui aurait pu être le clou de la soirée mais qui va se révéler par bien des aspects une belle déception : le titre « Paix » du légendaire album éponyme. Saisissante, aérienne et d’une majesté inoubliable, cette chanson, à l’origine de près de quinze minutes, est certainement une des compositions les plus remarquables du patrimoine progressif français. Quand les premières notes retentissent, c’est l’euphorie. Mais la poigne de Luc Heller surprend une nouvelle fois en plombant l’essence céleste du titre. Très vite, trop vite, on bascule à nouveau dans une revisite rock’n’roll douteuse… La magie est totalement cassée. Les rappels seront tout aussi décevants car Alpes n’a visiblement pas prévu de jouer autre chose que deux titres déjà interprétés quelques minutes auparavant. Même si beaucoup de fans sont aux anges, les autres sont déçus que le groupe n’ait pas profité de l’occasion pour jouer de nouvelles chansons de leur pourtant très riche répertoire. Mais chassez le naturel, il revient au galop : avant que Catherine Ribeiro ne tire sa révérence, la pasionaria reprend du service et profite de l’ovation pour se lancer dans une virulente et émouvante catilinaire politique ! Pour les fans de Ribeiro, cette soirée fut forcément un grand moment. La chanteuse ayant conservé sa voix admirable, sa rage et son prestige d’artiste rare, toujours à fleur de peau. Pour ceux d’Alpes, ce fut un concert plutôt décevant, trop court et rarement capable de restituer la magie des titres seventies. Mais au fond, peu importe, car après quarante ans de carrière, c’est une évidence, la « femme-flamme » est toujours debout, toujours révoltée et éprise de liberté ! Christophe Manhès |