Hellfest
22/06/2023
Hellfest Open Air - Clisson
Par Florent Canepa
Photos: Christian Arnaud
Site du groupe : https://www.hellfest.fr/
C’est noël en été pour les aficionados du métal ! Nouvelle édition pour le désormais traditionnel, pantagruélique, festif Hellfest. Si certains commencent à se distancier de ce qu’ils qualifient de Disneyland du métal, les présents en prendront pour 4 jours. Au vu de la double fournée de l’année dernière, c’est certes plus succinct mais le festival s’installe dans une durée plus longue et avec une programmation densifiée, à l’image de l’année ou le Knotfest y avait été adjoint.
Premier constat logistique : chaque année voit son lot d’améliorations pour rendre les festivaliers plus apaisés voire emballés. Les arrivées par vague entre le mercredi et le jeudi permettent déjà d’accéder au site de façon plus fluide. Le confort prend une nouvelle dimension (à un certain prix, certes, ce qui a enflammé la toile) avec l’arrivée des chalets au sein de l’Easycamp, pour les plus nantis. Globalement, l’organisation est assez irréprochable et on ne peut que féliciter les artisans qui oeuvrent chaque année pour analyser les retours des festivaliers… et les prendre en compte !
Pour les plus férus de musique curieuse et complexe, le jeudi démarre par les Francais d’Hypno5e, nouveaux venus de derniere minute dans la programmation en raison de l’annulation de The Soft Moon. Visiblement heureux d’être là, les Montpelliérains profitent de l’occasion pour faire une démonstration de leur métal avant-garde, souvent (un peu trop) complexe mais énergique. Au gré d’une composition, on semble croiser Mass Hysteria, en peut-être un peu moins abouti. La petite déception vient sans doute du chant. Pas celui d’Emmanuel Jessua qui officie très bien mais pourrait être aidé de ses comparses pour les choeurs afin d’ajouter en puissance, plutôt que de jouer sur un harmonizer un peu plus artificiel.
C’est d’ailleurs exactement l’inverse chez les Américains rutilants de Coheed and Cambria qui prennent d’assaut la Main Stage avec une première ligne où tout le monde chante. Le son cristallin et la force qui impriment nous confirment l’utilité de faire appel à toutes les forces en présence pour affirmer le propos mélodique. Parfois un peu trop biberonné au collège rock, le groupe assure quand même le show et met en valeur « Vaxis » et ses deux volumes studio. On croisera aussi cette journée les Anglais de Architects, accrochés à leur metalcore complexe qui auront ce soir là l’honneur de remuer un moshpit enthousiaste.
Mention spéciale à Candlemass qui loin d’être ringard donne une leçon de doom moderne alors même qu’ils en représentent l’héritage. Amenra, combo belge très sombre et désormais classique (après tout ils étaient déjà là à la toute première édition du festival !) donne à son show des airs de messe noire avec génuflexions de Colin H. van Eeckhout, chanteur intriguant et hypnotique. Distillant une ambiance particulière, les disciples de l’église de Ra appuient leur propos avec des images en noir et blanc qui font passer les clips de Lasse Hoile pour du Disney. Katatonia assurera une clôture sympathique mais assez classique et on leur préférera leur récent concert à Paris en compagnie de Solstafir. Les Suédois ont malgré tout un panache qui ne démérite pas.
C’est déjà le jour 2 avec son lot de surprises, d’excitations et de déceptions. Pas le jour le plus intéressant pour nos colonnes, certes, mais des sons lourds, denses, intéressants du côté sludge (Primitive Man, Weedeater) à la Valley qui cette année a été déplacée en face de la Warzone et en extérieur mais conserve une très bonne enveloppe acoustique. On n’est pas franchement transporté par les mélanges personnels de Greg Puciato, le coeur vibrant de Dillinger Escape Plan, même si on en reconnaît l’enthousiasme.
Le post metal de Der Weg einer Freiheit est finalement plus intéressant et captive la foule venue se recueillir au Temple. Les bonnes nouvelles viendront du glam rock US de Skid Row (solides et auréolés de leur nouvel album) ou Mötley Crüe (bien en forme grâce à l’addition du grinçant John 5 à la guitare en remplacement de Mick Mars). Le mathcore musclé de Botch, en fin de soirée, sera aussi une belle découverte, au croisement de la noise et de structures plus complexes familières à Meshuggah.
Le samedi, parfois pluvieux, est la journée des contrastes et celle qui nous stimule un peu plus. Elle commence en beauté avec les nouveaux venus de Cobra The Impaler. Chocs des genres, iconographie réussie, la Belgique frappe décidément encore très fort et le groupe a un son parfait sur une Main Stage qui pousse les décibels au premier créneau horaire du matin. Les relents riff doom ont encore plus d’impact que sur leur très réussi « Colossal Gods ». Le venin de ce cobra ne laissera aucun fan de prog indifférent. Immédiatement après et sur la scène voisine, les Français de Scarlean sont venus avec leur parterre de convaincus, très enthousiastes à l’écoute de leur prog mélodique, un peu sucré mais pas trop guimauve. Nous le serons pour notre part un peu moins. Comme un Symphony X en mid tempo, le groupe peine à convaincre sur la longueur malgré leur souriante présence. On se prend à être nostalgique de Fate’s Warning. Même la reprise du tube pop neurasthénique de Black, « Wonderful Life » ne nous emporte pas complètement. Petite pause wall of death et agitation pit avec Bloodywood qui met tout le monde par terre dès le déjeuner. Pas vraiment prog mais bigrement efficaces, les métalleux de New Dehli ont réussi à transformer leur hype en champ de bataille où personne ne restera indemne. Comme une suite Indienne du « Roots » de Sepultura ! Retour dans nos terres de la musique pensée « autrement » avec Dali Thundering Concept qui avait intéressé en album. La transposition live affirme leur djent aux relents hardcore. La drumbox y croise des riffs puissants mais on regrette la présence d’une seule guitare qui fait perdre son assise au groupe en concert. King Buffalo sur la Valley fait souffler son rock psyché et ses riffs aiguisés et le sabbath n’est pas très loin.
C’est le moment pour les « grands » de la scène progressive de prendre le pouvoir alors que les gouttes commencent à tomber, comme un signe de tristesse ou nostalgie. Des sentiments qui collent bien à la musique de Riverside que l’on attendait presque en trépignant. Mariusz Duda previent la foule : « We are not a metal band, we are a prog band and I am going to use my voice, not scream ». Une petite escarmouche à cette tendance forte du metal moderne à screamer plus qu’il n’en faut. Ce qui marque encore plus que d’habitude c’est la solidité, l’assise de l’instrument totem du leader du groupe. Jamais sans doute durant cette édition du festival, la basse n’aura été aussi créative et bien mise en valeur. On regrette l’absence de certains titres phares de leur dernière production (« I’m done with you » en tête qui nous avait fait chavirer) mais malgré tout et pour un groupe de salle plus que de stade, les Polonais sortent la tête haute, concluant leur show par « Left Out » une pièce fleuve de onze minutes, en clin d’oeil à une foule qui sait pourquoi elle est là.
La vraie surprise, le coup de coeur du festival, le voici. D’abord surprenant puis totalement emballant, Puscifer, nouvel avatar des affres créatrices de Maynard James Keenan (en plus des déjà très enthousiasmants Tool et A Perfect Circle) offre non seulement un concert mais aussi un spectacle – assez décalé – autour du thème des aliens, des Roswell un peu « cheap » mais amusants faisant même leur irruption sur scène. Puscifer n’a sans doute rien à faire ici avec sa pop déstructurée, ses plaisirs coupables et ses compositions bizzaroïdes mais au diable les préjugés. Ce sera la pépite du festival, costumes cravates et makeup déstabilisant à l’appui. La force de l’ensemble, la netteté du propos et le jeu de scène (où pour le coup, Maynard, quasi invisible sur ses autres projets, théâtralise le propos) font du set un tour de force inoubliable.
Porcupine Tree, Outre-Manche, enfonce le clou de cette journée progressive. La clique de Steven Wilson prévient aussi comme lors de toute leur tournée que les téléphones ne sont pas autorisés, histoire d’appuyer un peu plus leur singularité. Malchanceux, le groupe a de sérieux problème avec ses écrans, à la fois la projection en toile de fond mais aussi la reprise de l’image par les caméras du festival qui ne démarrera qu’aux deux tiers du set. Porcupine se déguste donc dans son plus simple appareil (ce sera pire pour la suite de leur tournée avec le départ en cours de route du bassiste pour des raisons personnelles). Pourtant intime, le groupe avait démontré dans des précédentes éditions qu’il était capable de prendre d’assaut la main stage. Le constat est un peu plus mitigé en 2023. La pluie se réinstalle doucement, se conjuguant avec le soleil comme pour donner l’opportunité d’un jeu tout en contrastes. Porcupine Tree, pour beaucoup de festivaliers qui ne connaissent que de loin, ce sont aussi des patchs sur des blousons et donc une légitimité qui les fait passer dans la catégorie des classiques. Mais passer de classic fashion à classic rock n’est pas chose aisée et on se demande si l’aura du groupe survivra à sa prochaine mise en sommeil… ou désintégration. Si « Blackest Eyes » en intro, « Sound of Muzak » ou « Trains » en conclusion (malgré encore une fois un petit souci de son de guitare…) font office d’anthems indéniables, il est vrai que le regard se porte, pour les métalleux, avant tout sur l’indélébile « In Absentia ». Evidemment, Steven joue les crowd pleasers avec « Open Car » (jamais joué depuis 2010 avec son refrain rock imparable) ou encore le fantastique « Anesthetize » que l’on a tant entendu mais qui fait toujours mouche dans son deuxième acte. Les morceaux du dernier album avec leur déficit d’accompagnement visuel peinent plus à convaincre une foule calme. Le groupe se retire assez timidement et on préférera sans doute leur set habituel et son parterre de dévoués.
Ce soir là, il y aura quelques bons moments comme les sympathiques Finntroll toujours si aguerris et distillant une atmosphère elfique où polka et métal s’entrechoquent. Les Canadiens de Voivod sont très spartiates mais toujours bien vivants (on se souvient avec émotion de leur fantastique « The Outer Limits ») mais c’est The Hu (à l’image de Heilung il y a quelques années) qui fait le buzz, une majorité de métalleux s’étant déjà groupée avec une curiosité non dénuée d’expectative près de la scène Temple. Si bien que l’affluence paraît disproportionnée au regard de l’historique ou de l’aura du groupe. Malgré tout, le folk métal mongol fait mouche, les instruments traditionnels en bandoulière et l’attitude résolument guerrière ajoutant un peu plus de panache à l’ensemble. Si la formule semble être décodée au bout de quelques chansons, le plaisir coupable fait rester la plupart de la foule massée là, plus intriguée que subjuguée par le concept (plus que véritable âme de groupe) déjà auréolé de deux productions studio solides.
Au choix en clôture de cette avant dernière journée dense : les rythmiques matheuses et prises de tête du toujours très violent Meshuggah ou l’électro nostalgique et dansante de Carpenter Brut. Aucun des choix n’est mauvais, tout est donc question d’humeur avant de se laisser bercer par les étoiles.
Dernier jour, dernière chance de frapper fort. L’ambiance est un peu plus à la gadouille , la pluie ayant fait son office mais tout commence bien avec Wolvennest dès le matin qui malgré un horaire lui convenant peu (on lui préférerait un climat nocturne) lance ses effluves d’encens, ses riffs lourds et atmosphériques, son theremin éthéré et transforme la Valley en lieu de prière lycanthrope. Un pari pas évident mais réussi. On sera finalement moins renversé par la prestation pourtant très correcte des Français de The Old Dead Tree. Le son est bon, les instrumentistes mordants mais les compositions un peu fades nous empêchent de nous raccrocher à quelque chose de fondamentalement excitant. Dommage car l’effort décoratif sur scène et la cohérence du propos sont bien là. La journée se passe au gré de déambulations patriarcales (les industrieux de Treponem Pal, toujours vigoureux même si un peu périmés), les surprises en forme de farce qui au final ne font pas tant rire que ça (les trublions teutons de Electric Callboy) ou le mainstream potache qui réussit à viser juste quelques fois sans non plus faire renverser l’assistance (Jack Black et son combo Tenacious D. ou le rock made in Hollywood).
Les derniers moments de grâce du festival proviendront de vieux chaudrons qui fabriquent le meilleur acier, le revival de Pantera en tête (point bonus à Zakk Wylde qui reprend dignement le flambeau de Dimebag), la fougue insensée des pourtant très archaïques Melvins ou encore le panache inattendu de Testament qui montre que son thrash à l’égalisation si reconnaissable a encore de très beaux restes (Alex Skolnick en fait un peu trop mais après tout pourquoi pas). Paradise Lost, souvent linéaire, sait finalement convaincre avec son metal goth sans artifices. Ce sont les « autres masqués » – deux jours après les glorieux Kiss en fin de carrière – de Slipknot qui se chargeront de renvoyer tout le monde à la maison, les oreilles encore frémissantes, le coeur palpitant et l’âme tapageuse. Il est inutile de dire que le Hellfest, quoi qu’on en dise, restera cette grande messe du métal et qu’il est impossible d’en revenir sans être converti. Hell yeah !