Between The Buried And Me / Haken
21/03/2023
L'Alhambra - Paris
Par Florent Canepa
Photos : Christian Arnaud
Site du groupe : https://hakenmusic.com/
Setlist :
Between The Buried And Me : Extremophile Elite - Revolution in Limbo - Fix the Error - Never Seen/Future Shock - Dim Ignition - Famine Wolf - Bad Habits - The Future Is Behind Us - Voice of Trespass / Haken : Prosthetic - Invasion - The Alphabet of Me - Falling Back to Earth - Taurus - The Endless Knot - Lovebite - Carousel - Messiah Complex I: Ivory Tower - Messiah Complex II: A Glutton for Punishment - Messiah Complex III: Marigold - Messiah Complex IV: The Sect - Messiah Complex V: Ectobius Rex1ère partie : Between The Buried And Me
2nde partie : Haken
Une autre double affiche et un autre report post Covid ! La frénésie de l’attente est au plus haut ce soir-là à l’Alhambra, ce mini Olympia (les ornements en moins !) qui rend souvent justice aux décibels les plus fiévreux. Double programmation, mais deux mondes bien distincts qu’il fallait appréhender comme tels, en évitant les comparaisons tant les registres sont disjoints.
Ce vendredi-là il fallait compter aussi en apéritif, à l’heure précise d’un coucou Suisse, sur Cryptodira, dignes chauffeurs de salle New Yorkais, mêlant avec joie et énergie un hardcore robuste et des éléments progressifs. Autrement dit : un croisement surprenant et hybride entre leurs compatriotes d’Helmet et ceux de Watchtower. Assez désinvolte dans l’attitude, pas si éblouissant mais d’une belle générosité sur scène, le groupe à la carapace épaisse comme son animal totem bénéficie d’un duo guitariste/chanteur satisfaisant pour celles et ceux qui valorisent le noise rock tricoté avec les tripes. Etonnamment les tempos plus lents emportent plus encore l’adhésion car des éléments de finesse dans les arpèges trouvent leur place et transcendent les passages plus gras.
Place à d’autres Américains, les alternatifs inclassables de Between The Buried And Me. Presque chamaniques grâce à la présence habitée de leur chanteur Tommy Giles Rogers qui officie comme un Jésus metalcore, BTBAM – pour les intimes – frappe très fort. A tel point que l’on se dit – au fur et à mesure – que l’on assiste à l’un des concerts de l’année. Les riffs heavy metal tritonesques de Paul Waggoner, la batterie pleine de toms de Blake Richardson distillent une ambiance et une puissance où tous les mélanges de genre sont permis. Si l’enveloppe « core » est bien présente, le quatuor s’en affranchit très régulièrement pour verser ça et là dans l’électronique de haut vol (« Dim Ignition » et ses synthés John Carpenter), le métal progressif (« Bad Habits », le très Rush-ien « The Future Is Behind Us ») et même des accents swing et New Orleans sur le très décalé « Voice of Trespass » qui clôture le set (on pense à Diablo Swing Orchestra). Tout est si bien interprété, si assumé dans la direction artistique que même celles et ceux plus allergiques aux growls et voix gutturales se laissent happer par un tourbillon d’influences qui, parfois, culmine avec d’étonnants accents pop (le « Day in, day out » de « Revolution In Limbo », le « We multiply » de « Never Seen / Future shock » et ses fills de batterie glam). A chaque carrefour musical, on se dit que tout est possible et que l’inventivité de la bande de Raleigh n’a pas de limites. Un moment violemment impétueux, souverainement touffu : on manque d’adjectifs et d’hyperboles pour relater l’expérience et on souhaite beaucoup de courage à ceux qui vont suivre…
Parlons de ceux qui suivent justement. Le changement de continent et de registre permet à Haken de ne pas trop souffrir de la comparaison (sauf peut-être le pauvre Raymond Hearne, excellent tapeur de fûts mais qui apparaît en comparaison moins fin que son prédécesseur sur scène qui nous a fait penser tour à tour à Keith Moon et Dave Lombardo). Haken nous offre pour l’occasion un set d’équilibriste puisque le dernier très bon album Fauna est finalement sous-représenté par rapport à son prédécesseur, le tristement annonciateur Virus. Pour l’occasion, la totalité du groupe met tout de même l’accent sur la charte visuelle et végétale de la dernière livraison avec chemisette graminée pour tout le monde. Haken est devenu en quelques années un fleuron du genre métal progressif et on leur offre souvent le flambeau un peu abîmé d’un Dream Theater. Plus dantesques et moins académiques que leurs confrères Américains, Haken joue plus relax (malgré des constructions rythmiques mathématiques proche du calcul mental), pose plus cool et offre un visage globalement plus chaleureux. Dès l’ouverture (« Prosthetic »), le groupe nous rappelle qu’il sait ciseler des mélodies impeccables sur des riffs déjà cultes. Seuls Leprous ou Pain of Salvation peuvent s’enorgueillir du même talent. La comparaison à Dream Theater se poursuit lorsque Ross Jennings se retire de scène pour laisser place aux grandes plages instrumentales à la manière d’un James LaBrie. L’autre élément saillant de ce concert (et sans doute de la tournée) est l’affirmation des titres tout récents qui sont absolument maîtrisés et offrent plus de respiration dans leur construction que les plus anciens. « The Alphabet of Me » (groove et chamarré), « Taurus » (thrash et opératique) ou « Lovebite » (entre Yes et The Police) sont les trois seuls titres du petit dernier offerts ce soir-là, mais chaque note, chaque intention est juste et on ressent aussi à quel point les Anglais ont pris aussi des risques. Ce n’est pas le clavier Eurodance de « The Alphabet of Me » (on y regrette même le final sans cuivres !) ni les « Oh-oh » de « Lovebite » qui vont nous contredire. Le concert permet de post-rationaliser la très bonne nouvelle étape que constitue Fauna. Mention aussi à Conner Green, bassiste discret qui y assure divinement les choeurs et favorise l’immersion.
Pourtant, tout ne sera pas parfait car ce serait trop beau. Ross Jennings, sympathique leader, est un peu économe en communication. Mais surtout (pour celles et ceux qui ont connu le groupe sur scène avec le clavieriste Diego Tejeida), le groupe semble être passé de deux frontmen à un seul, et le manque est cruel. Peter Jones, humble, ne cherche pas à compenser et il est difficile de lui reprocher mais l’équilibre du groupe dans son ensemble en paraît changé. Il y a un peu plus de professionnel et d’académique (voire de mathématique), là où les performances passées apparaissaient plus décontractées et spontanées. On retrouve, en guise de souvenir, le grave et divinement construit « Falling Back To Earth », seul témoignage du fantasque et fantastique The Mountain ou encore « The Endless Knot », flanqué de son héroïque refrain et son délire électronique issu de Affinity. Les deux guitaristes semblent d’ailleurs très heureux de retrouver ce moment de bravoure qui les met si bien en avant. D’une façon générale, Haken est assez minimaliste sur scène (une toile de fond, pas de vidéo, un light show assez académique) ce qui permet de se concentrer sur la musique qui est déjà assez plantureuse. Mais l’impact trouve sa limite dans des choix parfois audacieux comme le dernier bloc du set consacré à la pièce fleuve « Messiah Complex », extraite de l’album Virus. Pas désagréable du tout mais un peu longuet et qui du coup empêche le groupe Londonien de proposer d’autres pans de leur discographie désormais bien garnie. Et cette pièce dodue fait une fois de plus lorgner vers les « mauvais » travers des maîtres du genre sus-cités.
Une soirée enthousiasmante en trois actes avec une divine surprise et une confirmation avec quelques bémols. Pas de rappels mais un double set solide qui nous en a fait entendre de toutes les couleurs, même si dans chacun des cas, on a assisté à de vrais concerts plutôt que des shows éblouissants.