Pure Reason Revolution / Gazpacho
22/04/2022
Petit Bain - Paris
Par Florent Canepa
Photos : Christian Arnaud
Site du groupe : https://gazpachoworld.com
Setlist :
Pure Reason Revolution : Silent Genesis / Phantoms / Apprentice of the Universe / The Bright Ambassadors of Morning / Arrival / The Intention Craft / Bullitts Dominæ / Ghosts & Typhoons / Deus Ex Machina / AVO - Gazpacho : Fireworker / Emperor Bespoke / Golem / I've Been Walking (Part 2) / Clockwork / Hell Freezes Over I / Upside Down / Black Lily / Tick Tock, Part 3 / Sapien / Vera / Winter Is Never1ère partie : Pure Reason Revolution
2nde partie : Gazpacho
Pandémie oblige, les années s’envolent et se ressemblent puisque cette double affiche nous attendait déjà depuis 2020. Créativité du tourneur ? Facétie des emplois du temps ? Hasard incongru ? En tous cas, rien ne prédestinait ces deux formations à se partager la programmation d’un samedi soir parisien au Petit Bain, les pieds ou presque, dans l’eau. Qu’à cela ne tienne, cette alléchante affiche composée des Anglais de Pure Reason Revolution et des Norvégiens de Gazpacho avait tout pour nous séduire. A l’abordage, donc !
Pure Reason Revolution semble avoir véritablement mis fin à son hiatus, pour le plus grand bonheur de ses fans, avec un nouvel album Above Cirrus, à paraître le 6 mai. En attendant de pouvoir en découvrir la chronique dans ces mêmes colonnes, il faudra se contenter ce soir-là d’un seul extrait, déjà disponible sur les réseaux d’écoute, le très dansant et sympathique « Phantoms » qui, malgré son format pop, défend ses couleurs juste après l’atmosphérique et copieux « Silent Genesis ». Le flegme et la voix du très brit Jon Courtney font mouche à chaque escarmouche. Mais petit bémol ce soir-là (et les autres soirs de la tournée) : absence marquée et remarquée de Chloé Alper, autre hemisphère du groupe, retenue par des soucis de calendrier et embarquée donc sur une tournée différente avec son autre groupe, Tiny Giant.
Au pied, ou plutôt au micro levé, Annicke Shireen (également aperçue comme chœur dans Heilung) fait ce qu’elle peut pour embarquer à bord du vaisseau PRR, mais il faut bien avouer que son physique flatteur ne compense pas vraiment un spectre vocal bien en deçà de la tenante du titre. Cela mêlé à une présence scénique en retenue (c’est un euphémisme, et c’est le cas du groupe dans son ensemble) et des yeux rivés sur l’Ipad afin de ne pas se tromper dans les paroles, et forcément le spectateur s’y retrouve moins que dans ses souvenirs (en particulier ce café de la danse électrisant en 2007, en première partie de Blackfield).
Bien sûr, il ne faudra pas bouder le plaisir de retrouver ce son progressif électronique particulièrement reconnaissable et qui a su convoquer aussi les archives du groupe (fantastique « The Bright Ambassadors of Morning », extrait de The Dark Third avec ses chœurs a capella). Plus récent, « Ghosts & Typhoons » (du petit dernier Eupnea) négocie fort bien sa démarche évolutive et notamment le basculement vers un tourbillon électro riffé du plus bel effet. L’utilisation (parcimonieuse mais tout de même) des écrans pour projeter quelques accompagnements visuels est bienvenue et permet en effet de goûter un peu plus l’aspect numérique du groupe. On regrettera aussi l’absence de titres du nerveux et emballant Hammer and Anvil. En réalité, nous n’allons pas nous mentir : il est très difficile de reproduire (et à quatre intervenants « seulement ») la claque que procure n’importe quel album du combo britannique. Alors forcément, le résultat est sans doute un peu en deçà des attentes mais c’est sans doute parce que nous en espérions beaucoup, surtout après une telle absence discographique et scénique.
C’est tout l’inverse chez Gazpacho. Non pas que l’on n’en attendait rien car la ferveur est bien là lorsque les nordiques attaquent la scène, à 20h30 et des poussières. Non, tout simplement parce que Gazpacho nous prouvera que certains groupes opèrent ce tour de force de magnifier ou amplifier leur production sonore en live. Et pourtant, on sent que le groupe a eu du mal à construire sa setlist « raccourcie », lui qui vit son aventure musicale au gré de concept albums qui racontent des histoires cohérentes, comme le souligne Jan-Henrik Ohme, son chanteur. Il faut d’ailleurs s’arrêter immédiatement sur « O » (de son surnom).
Si sa justesse et son intention vocales ne font aucun doute sur album, c’est peut-être dans les conditions du concert que se révèle totalement la force de son chant. Malgré son physique de consultant qui sied finalement peu à l’exercice, il proposera tout le long de cette soirée quelque chose de pur, de vrai, jamais dans l’outrance (contrairement à un certain Steve Hogarth, parfois) et foncièrement beau. C’est à lui et son charisme discret que la réussite de ce show tient. Mais pas seulement bien sûr. Chacun a sa place dans cet écosystème cohérent et puissant : un guitar hero hâlé et dandy (sosie d’ailleurs de Gilles Lellouche, acteur coqueluche Français !), un jeune prodige qui alterne guitare rythmique et violon avec talent et avec une pondération folle, un batteur inspiré et techniquement désarmant, un bassiste hipster qui sait provoquer son moment de gloire – avec chant diphonique à la clé pour son anniversaire. Et bien sûr Thomas Andersen, membre fondateur, éminence grise des claviers et de la programmation, plus discret mais grand manitou du tout. Dès le deuxième titre – « Emperor Bespoke », pourtant légèrement flagorneur – il se dégage des ondes sonores qui envahissent le Petit Bain, quelque chose de vrai et d’absolu. Renforcé par quelques illustrations ou films, le concert sait embarquer les plus rétifs aux structures complexes et c’est paradoxalement l’évidence qui s’impose (à l’image de « Golem », à renfort de percussions ou « Clockwork » dont la puissance vient se livrer en bout de course). C’est donc une réussite à 100% qui se livre à nos oreilles, sans crier gare, jusque dans les rappels, dont le très long mais jamais lassant « Vera ».
Un groupe qui vaut le détour sur scène et même s’apprécie sans doute plus sous cette forme car justement débarrassé des complexités du genre sur format album. En outre, Gazpacho n’est pas un faiseur de chansons mais plutôt une puissance créatrice de mélodies, il est donc plus difficile de retenir les titres (surtout pour le profane), par contre tellement aisé de se lover dans ses ambiances artistiques mais jamais arty. Ou comme mon voisin le soulignait non sans malice : Gazpacho, c’est loin d’être de la soupe froide ! Une soirée qui a en effet réchauffé nos oreilles !