Gentle Giant - The Missing Piece

Sorti le: 26/08/1977

Par Jean-Philippe Haas

Label: Chrysalis

Site: https://gentlegiantmusic.com/

En 1977, le vent a tourné et le rock progressif ne l’a plus guère en poupe. Le punk et la new wave ont sérieusement commencé à mettre des bâtons dans les roues des mammouths de la première partie des 70s. Après la sortie d’un live mémorable intitulé Playing The Fool, Gentle Giant va donc faire sa mue et s’essayer à des formats et structures plus abordables, processus entamé presque imperceptiblement depuis The Power and the Glory mais qui prend ici des proportions inédites.

En effet, rien ne laissait penser avec In’terview que le groupe allait consacrer toute une face et plus de son album suivant à des chansons courtes et directes au format pop-rock. Une oreille neuve et contemporaine ne verra probablement pas ce qu’il y a de « simple » dans ces compositions où la facilité des musiciens reste éblouissante. Cependant, pour l’un des groupes les plus expérimentaux et avant-gardistes du rock de cette époque, c’est une considérable simplification du propos.

« Two Weeks In Spain » ouvre The Missing Piece en trombe avec un thème facile à retenir, soutenu par un groove furieux (la basse ronflante de Ray Shulman y est pour beaucoup) et un refrain accrocheur : tout ce que peut honnir le progueux lambda. « I’m Turning Around » le crucifie un peu plus avec une chanson d’amour aux paroles néanmoins beaucoup plus indigentes que la musique.

Quoiqu’on puisse penser de cet étonnant revirement, Gentle Giant prouve qu’il peut être un vrai groupe de rock’n’roll, avec quatre titres sur cinq puissants et entraînants, dotés d’une production à l’avenant. En deux minutes et demi, « Betcha Thought We Couldn’t Do It » dévaste tout sur son passage et fait pour ainsi dire la nique aux punks de l’époque. Quant à l’envie de séduire le marché américain, déjà bien présente depuis Free Hand, elle est flagrante sur « Who Do You Think You Are? » et encore plus sur « Mountain Time » et ses chœurs typés.

Après les suées et autres vertiges provoqués par cette face A aux fans de la première heure, la face B arrive à point nommé. Les velléités progressives y sont très édulcorées, mais les canons et les petits côtés moyenâgeux d’« As Old as You’re Young », renforcés par la voix aérienne et élégante de Kerry Minnear, ne trompent pas : c’est bien du Gentle Giant old school ! Dépouillé, délicat, « Memory of Old Days », qui n’aurait pu mieux se nommer (bien qu’étant inspiré par Orwell), renforce ce sentiment de retrouver un vieil ami perdu de vue qui a bien changé mais reste toujours le même au fond. Les deux derniers titres choisissent l’efficacité, mais avec la classe qui caractérise le groupe, et c’est sur une explosion que « Nobody » clôt leur huitième album, le premier franchement aussi hybride.

La FNIP (faction négationniste de l’intelligentisa du prog) a bien tenté de faire oublier The Missing Piece et ses deux successeurs, mais avec le recul il est difficile de nier ses indéniables qualités. Puissant et coloré, varié et bien mieux produit que ses aïeux, il marque en revanche la fin des ambitions progressistes de Gentle Giant.