Jazz au Fil de l'Oise
13/01/2020
Jazz au fil de l'Oise - Département Val d'Oise
Par Chrysostome Ricaud
Photos: Christian Arnaud (Anne Paceo), Michel Dahyot (Jokers), Pascal Thiébaut (Mixtape)
Site du groupe : http://jazzaufildeloise.fr/
Setlist :
Set-list Anne Paceo : Le Cri – Jasmine Flower – Calle Silencio – Hope is a Swan – Sama (inédit) – Tomorrow – The Shell – Bright Shadows – Contemplation – Nehanda - Stranger – Les Châteaux de Sable (inédit)Le festival du Val d’Oise propose, depuis 24 ans déjà, une programmation éclectique représentant les différents courants du jazz. Ceux portés par Chromatique sont comme toujours à l’honneur sur quelques dates, et ce sont deux de nos artistes coup de cœur du moment, Anne Paceo et Vincent Peirani qui ont été programmés pour cette édition.
Chaque année, le festival propose une résidence à un artiste afin qu’il prépare une ou plusieurs créations. Cette année, c’est Vincent Peirani qui a eu droit à cet honneur, et il a brillamment exposé l’étendue de son talent à travers deux projets très différents. Le premier a été présenté au Théâtre de Jouy le 15 novembre et s’intitule Jokers. Pour ce trio dans lequel il est accompagné de Ziv Ravitz à la batterie et Federico Casagrande à la guitare, l’accordéoniste a voulu développer un univers visuel très marqué, chaque musicien arborant maquillage inquiétant et combinaison noir à capuche, tandis qu’un light show spécifique a été créé pour le concert. Si on connaît bien les qualités du batteur israélien pour l’avoir croisé au sein des trios des pianistes Yaron Herman et Shai Maestro, le guitariste italien, moins médiatisé, aura été une très belle découverte. Capable aussi bien de virtuosité que d’ambiances sonore subtiles, il partage en plus avec l’accordéoniste le rôle de bassiste (à l’aide d’un octaver), permettant au trio de couvrir un spectre extrêmement riche. Très cinématographiques, les morceaux alternent entre atmosphères rêveuses et cavalcades effrénées. En plus de quelques titres propres au projet, le répertoire comprend des compositions issues des albums solo des trois musiciens ainsi que deux reprises. Peirani propose sa magnifique version de « Dream Brothers de Jeff Buckley », qui figurait déjà sur Living Being. Puis le groupe enchaîne sur une reprise assez inattendue de Nine Inch Nails. Non, il ne s’agit pas de « Hurt » qu’il est devenu cliché de reprendre depuis la version de Johnny Cash, mais bien d’un choix que seul un vrai fan pouvait faire, « Copy of A », issu de l’avant dernier album du groupe. Un choix audacieux, puisque le morceau original qui repose principalement sur les sonorités électroniques comporte une mélodie très limitée. Les lumières s’affolent pour accompagner ce titre épileptique pour un résultat très réussi. Après un set captivant de bout en bout, en rappel, nos Jokers terminent par deux compositions dont on ne connaît pas de trace enregistrée dans la discographie des trois musiciens. On sort de ce concert conquis par ce nouveau trio à la formation inhabituelle, et avec l’envie pressante qu’ils aillent en studio enregistrer un premier album pour pouvoir réécouter leur répertoire !
Le 7 décembre au Théâtre Points Communs de Pontoise, Peirani nous présente Mixtape, un projet pour lequel il nous fait parcourir le monde accompagné de musiciens issus de cultures variées (Christophe Wallemme à la contrebasse, le Syrien Basel Rajoub au duduk, l’Italien Federico Casagrande à la guitare, et le Franco-Indien Stéphane Edouard aux percussions). Les compositions empruntent à diverses traditions : Indonésie, Bosnie, Corée et folklore américain. Le groupe propose de belles envolées à chaque morceau, le solo des instrumentistes (et ceux d’accordéon tout particulièrement) sont superbes. Mention spéciale au solo d’accordina de Peirani : comment est-ce possible d’avoir une telle étendue et une telle expressivité sur un si petit instrument ? Entre les morceaux, ce très grand musicien (autant par la taille que par le talent) fait preuve d’humour en s’amusant avec le public, conquis mais malgré tout très sage. En rappel Peirani joue une composition dédiée à son fils, « Enzo », apothéose de la soirée. Le public bouillant réclamant un deuxième rappel, il termine alors avec un magnifique moment d’accordéon solo.
La veille, Anne Paceo présentait à Cergy son dernier disque Bright shadows que nous avons adoré à la rédaction. Autour de la batteuse, on retrouve tous les musiciens de l’album : Christophe Panzani aux saxophones, Pierre Perchaud à la guitare, et Tony Paelman au Fender Rhodes, ainsi qu’à la basse qu’il assure avec un synthétiseur de la main gauche. Deux chanteurs sont également présents pour interpréter ce disque où les voix tiennent une place centrale. A gauche, Florent Mateo fait preuve d’une grande présence scénique, et sa voix (qui rappelle celle d’Antony and the Johnsons) fait des merveilles, notamment sur « Bright shadows » où il s’en donne à cœur joie sur d’expressives vocalises. A droite, Cynthia Abraham remplace à la perfection Ann Shirley de sa belle voix soul. Les musiciens sont disposés en arc de cercle, et on se demande de prime abord à quoi sert le vide laissé sur le devant de la scène. Réponse un peu plus tard dans le set… Paceo vit pleinement ses morceaux comme en témoignent les expressions de son visage, tour à tour souriant ou grimaçant, tandis qu’elle exécute ses parties avec une régularité métronomique. L’intégralité du disque est jouée, avec également l’inclusion de morceaux inédits (« Le cri », uniquement sorti en single, ainsi que « Sama » et « Les châteaux de sable » qui figureront sur une réédition de l’album à paraître en début d’année). Chaque musicien bénéficie d’un solo au sein d’une composition où il décolle superbement et tout le groupe atteint un climax époustouflant sur « The shell ». La fin du concert se rapproche quand Anne quitte sa batterie pour s’avancer au centre de la scène, suivie de ses deux chanteurs, pour interpréter la magnifique polyphonie à trois voix de « Contemplation ». Le public se régale de ce concert où l’intensité jazz se mêle aux mélodies pop, aux sonorités world et électroniques, et le groupe est chaleureusement rappelé. La formation interprète alors « Stranger » pour lequel a été élaboré un final magique, parfait : les musiciens quittent leurs instruments pour rejoindre le devant de la scène tout en chantant une polyphonie à 6 voix a capella et sans micro. Arrivés à destination, il ne leur reste plus qu’à nous saluer pour nous quitter dans une ambiance d’intime proximité. Les spectateurs, ravis, en redemandent, et nous aurons donc droit, en deuxième rappel, à un morceau inédit.