Genesis - Calling All Stations
Sorti le: 22/07/2019
Par Julien Giet
Label: Atlantic Records
Site: https://www.facebook.com/genesis/
Genesis triomphe et remplit les stades du monde entier. C’est le moment que choisit Phil Collins pour annoncer son départ et se consacrer à sa carrière solo (ainsi qu’à l’équilibre précaire de sa vie sentimentale décrite dans son autobiographie Not Dead Yet). Le groupe, représenté par Mike Rutherford et Tony Banks, est au zénith de son succès commercial et se trouve alors face à un dilemme classique. Faut-il mettre Genesis au repos sous couvert d’une carrière brillante ou est-il envisageable de tenter une mutation dangereuse via notamment la mise en avant d’une nouvelle voix pour défendre son entité ?
La décision est complexe à prendre : capitaliser sur le succès de Genesis est une chose, mais il faut prendre en compte que son ancien leader est devenu une icône internationale dépassant le statut de son groupe. Inutile donc d’espérer pouvoir le remplacer par quiconque ayant une notoriété égale. Banks et Rutherford procèdent alors à une phase de recherche pour déterminer qui incarnera la nouvelle voix de Genesis. Un album retient leur attention ; The Mind’s Eye du groupe Stiltskin paru en 1994, comportant en son répertoire « Inside » qui atteint la première place des ventes britanniques à sa sortie. Au milieu de ce rock alternatif à l’ énergie électrique post grunge qui n’est pas sans rappeler les Smashing Pumpkins se dégage une voix puissante : celle de Ray Wilson. Une voix rocailleuse, lourde, qui représente l’antithèse totale de la voix nasillarde et naïve de Phil Collins. La prise de risque est maximale mais l’enjeu artistique a de quoi attiser la curiosité.
Une part majeure de l’album a été composée avant l’arrivée de Ray Wilson et avant le choix des batteurs de remplacement, à savoir Nick D’Virgilio (Spock’s Beard à l’époque) pour une chanson et Nir Zidkyahu (batteur de sessions et, pour anecdote, frère de Tomer Zidkyahu, batteur de Blackfield) pour le reste de l’album et qui rejoindra le groupe comme membre. En résulte de ce procédé quelques frustrations quant à la non exploitation de ces talents additionnels dont nous parlerons plus tard.
Calling All Stations s’ouvre par le biais de son titre éponyme : un titre sombre à l’image de « Mama ». Les premières notes de Ray Wilson sont impeccables dans le propos. La chanson se développe petit à petit mélodiquement pour exploser sur un refrain puissant avant de procéder à un decrescendo maîtrisé avant de réitérer une ascension. Cette entrée en matière illustre parfaitement le nouveau Genesis et son potentiel. Ray Wilson apporte de son timbre grave une mélancolie bienvenue notamment à travers l’excellente « Not About Us ». Genesis tient à conserver son aspect pop avec un titre comme « Congo » qui, chanté par Phil Collins, aurait sans doute été le tube de l’album. Il est à noter que la chanson se termine de manière inopinée et inexpliquée par une baisse de volume au beau milieu d’un couplet. L’aspect conservateur du Genesis nouveau pose d’ailleurs les principaux problèmes de cet album mal aimé. En effet, beaucoup d’éléments directement hérités des périodes de gloires précédentes sont vieillissant et empêchent la musique de Genesis de plonger pieds joints dans une autre dimension, donnant l’impression d’un entre-deux qui n’a pas aidé Calling All Stations à rencontrer le succès. En ligne de mire, quelques structures de chansons laissent émaner des longueurs et certains sons de claviers jurent avec l’ensemble (le pont de « Congo » par exemple ou le final de « There Must Be Some Other Way »). Au global, l’album comporte des perles sous-estimées telles que « Alien Afternoon » (contribution de Nick D’Virgilio à la batterie) et son rythme reggae qui évolue sur une seconde partie aérienne et mélodique à la manière de « Driving the Last Spike » ou encore « The Dividing Line » qui comporte une performance remarquable du batteur Nir Zidkyahu. En contreparties, il y a de la matière bien moins palpitante comme « If That’s What you Need » ou « There Must Be Some Other Way » qui semblent se noyer dans leur mièvrerie ou encore « Small Talk » et « Uncertain Weather », tentatives pop qui passent pour des ersatz ratés de la période Abacab.
Dans l’ensemble, Calling All Stations n’est pas un mauvais album : en tous cas il est bien meilleur que ce que les détracteurs aiment croire et faire croire. Un groupe a souvent besoin d’une période de rodage, généralement le temps d’un album. Dans l’histoire de Genesis, on peut relever que From Genesis to Revelation n’était pas des plus brillants : il a pourtant été nécessaire aux prémices de la formation mythique du groupe. Dans la même idée, il convient d’admettre que And Then They Were Three est vu comme un album de transition moyen mais annonciateur de la confirmation Duke. Calling All Stations a tout de l’album de transition laissant imaginer un monde des possibles pour un nouveau chapitre qui artistiquement s’annonçait passionnant. Les férus d’extrapolations pourront se plonger dans le recueil de pistes B non utilisées pour l’album qui traduisent la volonté de Genesis de faire quelque chose de différent. On retiendra l’étonnante bien nommée « Banjo Man » ou encore « Sign your Life Away », pop intéressante que ne rechignerait pas à interpréter Tears for Fears.
Malheureusement, comme dit plus haut, Calling All Stations est vecteur de frustrations. En effet, un goût d’inachèvement prononcé (dû sûrement au fait que l’album a été composé et dirigé à deux) vient grandement ternir le produit final. Pour exemple, Ray Wilson avait pour objectif de moderniser Genesis au moyen de sonorités plus organiques (il avait aussi pour idée de confronter le groupe au concert acoustique comme l’ont fait nombre de grands groupes de l’époque : Nirvana, Alice in Chains, The Corrs, Pearl Jam, …). Il avait aussi une vision de la composition (de par son expérience passée) qui ne fut pas mise à contribution. Calling All Stations laisse ce sentiment d’objet mutant ne sachant pas dans quelle direction il veut aller, tiraillé par l’envie (et le besoin) de modernité et la conservation de valeurs sûres d’une époque mais dépassées à l’orée des années 2000. En résulte un mix bancal entre une volonté artistique et des garde-fou commerciaux.
Suite à des ventes correctes en Europe mais bien trop faibles sur le continent nord-américain, le groupe décide de ne pas tenter la tournée aux États-Unis. Aveu d’échec (si bien que le documentaire Together and Apart ne mentionne nullement l’existence de Calling All Stations et de Ray Wilson), Banks et Rutherford décident alors de clore la discographie de Genesis. Rutherford continuera à s’investir dans son groupe Mike and the Mechanics (dont « Over my Shoulders » constitue toujours en un incontournable de toute bonne programmation musicale estivale) et Banks s’essaiera au symphonique dans son coin. Ray Wilson continuera sa carrière en publiant un premier album solo du nom de Change (suivi par la suite d’excellents disques comme Chasing Rainbows). Il continue de se produire concert avec un spectacle nommé Genesis Classics au sein duquel il réarrange ses chansons préférées du groupe en les dépouillant de tout ce qui peuvent les vieillir. Nir Zidkyahu poursuivra sa carrière de batteur de sessions réputé notamment avec John Mayer sur l’album Room for Squares.
Pour conclure, on peut dresser un bilan en demi-teinte sur Calling All Stations. Cet album est garni de bonnes idées qui, mélangées au talent de Ray Wilson, auraient gagné en potentiel. Après la tournée et l’intégration du nouveau batteur, Genesis avait toutes les cartes en main pour confirmer l’essai et proposer un nouvel album bien plus affirmé à un public plus confidentiel. Cet album hypothétique restera malheureusement cloîtré au royaume des si.
La rédaction de cette chronique a été essentiellement alimentée par deux sources d’informations très intéressantes : le site World of Genesis qui comporte une longue et excellente entrevue détaillée avec Ray Wilson suite au démantèlement de Genesis ainsi que le livre Genesis Toute l’Aventure, bible monumentale sur le groupe et son histoire, publiée aux éditions EPA. Ce dernier consacre un passage sur cette période du groupe avec en prime un témoignage précieux de Nir Zidkyahu au sujet des conséquences (aussi bien positives que négatives) que le choix de rejoindre Genesis (avant de s’en retrouver laissé pour compte) a pu avoir sur la suite de sa carrière.