Motorpsycho - The Crucible
Sorti le: 25/02/2019
Par CHFAB
Label: Rune Grammofon
Site: http://motorpsycho.no/
Déjà trois décennies d’existence pour ce trio venu de Trondheim, Norvège, et dont la vitalité productive ne semble toujours pas démentie. L’album précédent voyait l’arrivée d’un nouveau batteur, succédant à l’immense Kenneth Kapstad (groove extraordinaire, pulsation métronomique, jeu tentaculaire, subtilité et nuances du jazz, puissance rageuse du rock). Motorpsycho est piloté par deux compères (basse-chant et guitare-chant) faisant oeuvre d’une inspiration résolument ancrée dans les années soixante-dix, proposant au-delà d’un stoner de tout premier ordre des pans entiers de folk americana (Neil Young, dans sa facette intimiste comme grunge), de la pop précieuse façon Beatles, et des lames de fond psychédéliques, donnant le champ, vaste et généreux, à des joutes instrumentales sauvages, ainsi que d’épisodiques moments symphoniques et progressifs. Les compositions sont pensées pour la scène, souvent enregistrées comme telles, et font appel à un arsenal d’effets suffisamment large, en plus des deux voix très complémentaires, pour développer et agrémenter un vocabulaire livré avec beaucoup de passion. Les nombreux albums live (huit à ce jour !) témoignent d’une vitalité confondante, doublée d’improvisations homériques. Voici donc The Crucible, vingt-troisième album du groupe (!)…
Avec une discographie toujours très au-dessus de la moyenne, force était de constater une certaine redondance depuis quelques temps, malgré une volonté de montée en puissance, avec des compositions manquant un peu de fantaisie et de sophistication (2008-2013 étant la période bénie, culminant avec le très inventif Death Defying Unicorn). L’intégration de Tomas Järmyr à la batterie n’avait pas spécialement annoncé de changement de cap en ce sens, sa prestation apparaissant même comme un peu scolaire (The Tower). On passe ici à un niveau étonnamment supérieur, rivalisant avec les meilleurs prestations précédentes, batteur historique confondu ! C’est que le niveau musical a suivi le même chemin, et avec les mêmes proportions, propulsant cet album, dès la première écoute, parmi les sommets.
Il est inespéré de constater ce retour à une grande énergie créatrice, un tel appétit de composer et d’enregistrer après trente ans de carrière, et autant de centaines de concerts au compteur. Le progueux et les fans les plus exigeants du combo en tomberont de leur chaise, tant ils semblaient (à l’instar de votre serviteur) ne plus rien attendre de ce groupe, tel disque chassant l’autre, ne cessant de se ressembler… Voici que le génie frappe de nouveau à la porte, et avec une telle intensité qu’on la lui ouvre bien grand. Ce disque est d’entrée promis au top de l’année 2019, pas moins, affichant trois pièces épiques aux proportions et couleurs progressives comme jamais. Bien que cela ne soit pas consigné aux crédits, on entend régulièrement du mellotron (strings, flûtes, cuivres), de vrais instruments à vent, un sundry mentionné mais dont on s’interroge encore sur l’identité, et des mélopées semblant sortir d’un mini Moog. Voilà déjà un éventail sonore particulièrement enrichi. Signatures rythmiques complexes, changements de tempos, transitions soignées, ré-exposition de thèmes, séquences ultra sensibles et retenues, montées en puissance dévastatrices : bref, on n’en attendait pas à tant, même si tout le landerneau du prog y avait cru avec Here Be Monsters, pas aussi ambitieux qu’espéré. Arrangements élaborés (gros travail de studio), harmonies complexes, influences marquées et plus étendues (Black Sabbath dès l’ouverture avec son riff ultra plombé, King Crimson, avec ses refrains symphoniques puissants, ou ses constructions tendues en échelons, quelque chose de Yes ou Genesis également, du jazz rock au détour d’accords inattendus) : tout ce qu’on aurait pu espérer de plus savoureux se trouve gravé là, sans jamais trahir l’âme du groupe. L’album gagne en concision et complexité ce que le précédent perdait en dilution d’idées un peu courtes, étirées parfois à l’excès. Du coup le temps y passe à une vitesse telle qu’on retombe déjà sur le premier morceau. Il va donc falloir être réaliste: Motorpsycho semble bien avoir pondu un nouveau chef-d’oeuvre.
Alors, est-ce dù à la présence d’un nouveau membre (son travail à la batterie est véritablement extraordinaire), est-ce une nouvelle déclaration d’intention pour une ambition plus résolument progressive, est-ce simplement le fruit d’une expérience unique dans ce studio du Pays De Galle (production incroyable, aux pistes multiples, et il va falloir rendre compte d’un tel disque sur scène : y parviendront-ils à trois?). Il est impossible de se prononcer pour le moment. Ce que l’on peut avancer néanmoins c’est qu’il va falloir se procurer cet album IM-PÉ-RA-TI-VE-MENT!
Magnifique, et de loin.