Haken - Vector
Sorti le: 15/10/2018
Par Julien Giet
Label: InsideOut Music
Site: https://www.hakenmusic.com/
Si on devait désigner un groupe ayant fait consensus dans le monde du metal progressif ces dix dernières années, on parlerait de Haken. Fort de quatre albums studios acclamés par la critique, le groupe nous revient cette année avec sa nouvelle œuvre Vector, toujours le sommet en vue. Attendu par une horde de fans fidèles, cet album se veut un pallier supplémentaire dans l’ascension de Haken après la sortie d’un album L-1VE plutôt convaincant. Analyse d’un probable futur classique du genre metal progressif. Vecteur d’approche.
Vector, que l’on pourrait traduire par le polysème « Vecteur », signifie selon le dictionnaire Larousse, dans le jargon médical, « tout être vivant capable de transmettre de façon active (en étant lui même infecté) ou passive un agent infectieux (bactérie, virus, parasite). » En regardant l’arrière de la pochette du disque, on découvre un cafard (Cockroach en anglais : référence à la célèbre chanson « Cockroach King » du même groupe ? Nous en reparlerons) fossilisé dans un morceau d’ambre. Or la définition relative aux insectes du terme « vecteur » (là encore proposée par le dictionnaire Larousse) explique qu’un insecte vecteur est un « insecte susceptible de transmettre à l’homme, aux animaux ou aux plantes une maladie bactérienne ou virale dont il héberge les agents ». Pour précision, l’ambre est une pierre précieuse possédant des propriétés anti infectieuses (capable de contenir et de conserver des bactéries au sein d’un être fossilisé durant des millénaires). Toutes ces terminologies sont intéressantes dans la mesure où Haken a toujours pris soin d’ancrer chacun de ses albums dans un concept précis. L’histoire d’une sirène au sang porteur de propriétés capables de sauver l’humanité dans leur premier album Aquarius, la vision possiblement prémonitoire de sa propre mort dans leur second album Visions, une allégorie de la vie et de la mort à travers leur troisième album The Mountain, et l’anticipation des relations humain/ordinateur dans leur quatrième album Affinity. Pour ce qui concerne Vector, entre la pochette représentant un test de Rorscharch et des chansons aux titres explicites comme « The Good Doctor », « Nil by Mouth » (« à jeun » en anglais, dans le contexte d’une prise de médicaments par exemple) ou encore « A Cell Divide », de multiples indices sont disséminés pour définir un nouvel univers. Vecteur sémantique.
Musicalement, l’album est une réussite quasi totale. L’introduction « Clear », paysage sonore aux curieux accents baroques, ouvre le voyage pour nous amener logiquement au premier extrait de l’album, « The Good Doctor », dans l’efficacité la plus directe. « Puzzle Box », second extrait de l’album savamment annoncé via de courtes vidéos mettant en scène chaque membre du groupe essayant de résoudre un puzzle du type casse tête, est un des moments forts de l’album (ne contenant pourtant aucun moment faible). Cette chanson contient tout ce que Haken fait de mieux : refrains mélodiquement imparables, instrumentaux nerveux et précis, passage ambiant aérien, final puissant nourri d’harmonies vocales,… On peut parler de chef d’œuvre sur toute la ligne. D’une certaine manière chaque chanson possède son lot de bonnes idées, son identité et son utilité dans le bon déroulement de l’ensemble. Les riffs du merveilleux « Veil » sont accrocheurs, sa partie légèrement orientale est un bijou de musicalité dans sa cohérence mélodique et rythmique, son pont à la Pain of Salvation saura flatter les cœurs bouillants des plus romantiques. L’instrumental « Nil by Mouth » est salutaire dans le génie de sa composition faisant la part belle aux inspirations djent évoquant Periphery. « Host » verse dans la mélancolie maîtrisée pouvant parfois évoquer les plus belles heures d’Anathema, et « A Cell Divide » permet à Haken de crier son amour pour leurs amis de Leprous. Assumant une courte durée de quarante-cinq minutes, ce qui n’est pas déplaisant à la vue des nombreuses informations contenues dans l’album, il apparaît pourtant qu’il manque quelque chose pour prétendre au « sans faute absolu ». Vector n’a pas de conclusion. Auparavant, Haken proposait systématiquement une conclusion à chacun de ses albums, comme pour fermer le livre après la dernière page. Vector n’a pas cette chance et se termine de manière abrupte. Vecteur de frustration.
Il serait facile de rapprocher Haken d’une de leurs influences principales, à savoir Dream Theater. Pourtant, un détail subtil vient ici accentuer l’identité forte du groupe : cette fois-ci, il n’y a pas d’individualité. Aucun musicien ne s’extirpe de l’ensemble pour s’attirer la lumière d’un projecteur, aucun instrument n’assume inconsciemment une quelconque prédominance, que ce soit dans la composition, les arrangements, ou les performances. Seule la chanson « Veil » se trouve pourvue de solos dans la pure veine de leur modèle américain. Pour autant, chacun a sa place et chacun occupe son rôle à la perfection dans un équilibre stable et solide. Haken possède une lucidité exemplaire qui lui permet de ne jamais trop en faire. Cette science de l’équilibre donne un aspect judicieux à chaque choix effectué par le groupe. Vecteur d’apprentissage.
Comme annoncé, intéressons-nous maintenant à l’aspect conceptuel. Pour la première fois, Haken semble proposer un univers étendu à plusieurs de leurs albums. Ainsi, comme évoqué plus haut, le cafard visible sur l’arrière de la pochette pourrait être une référence au « Cockroach King » de l’album The Mountain (un fort indice est laissé dans « Nil By Mouth », lorsqu’un court extrait repris à l’identique est brièvement mis en exergue). Pour aller plus loin, « Rex » (nom du « Good Doctor » de la chanson) signifie « roi » en latin (roi, king, …). Il y a bien d’autres indications visuelles dans les clips vidéos; « Puzzle Box » s’ouvre sur un logo « Mountview Institution » (The Mountain?) et se ferme sur « V.I.S.I.O.N.S. Foundation, 1958 » (Visions?). Bien évidemment tous ces indices ne sont pour le moment que spéculations, Haken ayant bien conscience que ses fans aiment chercher des signes plus où moins capillotractés. Peut-être est-ce simplement un jeu, peut être est-ce totalement insignifiant, peut-être que de véritables significations sont cachées, mystère. Vecteur conceptuel.
Avec Vector, Haken gagne (encore) en maturité. Nous n’avons pas évoqué les qualités techniques de Vector mais sachez que la production est impeccable, respectant les dynamiques et les nuances indissociables de la musique du groupe. Haken signe ici un chef d’œuvre supplémentaire. Vecteur de bonnes intentions.