Festival Crescendo
24/09/2018
Esplanade du Concié - Saint-Palais-sur-Mer
Par Jean-Philippe Haas
Photos: Christian Arnaud
Site du groupe : http://festival-crescendo.com/
Un compte rendu de Thierry de Haro & Jean-Philippe Haas
Quand le phare vient éclairer de ses rayons les rivages du rock progressif, un seul festival apparaît sur les côtes, bien en avant des autres. Peut-être parce que c’est le seul qui se trouve en bord de mer … Mais surtout parce que, si le Crescendo n’est pas le plus prestigieux des festivals, en regard des programmations que l’on peut avoir au BeProg de Barcelone ou au Loreley, il reste définitivement le plus convivial, le plus novateur (on ne compte plus le nombre de groupes découverts en ces lieux), de manière inégalable le moins cher – car gratuit – et surtout… le plus ancien des festivals ! Une longévité qui traduit bien cet état d’esprit des fondateurs et organisateurs pour faire découvrir année après année cette musique si riche que représente le rock progressif.
Pour souffler ses 20 bougies, quelques Chromaticiens avaient effectué le déplacement. De retour avec les valises pleines de souvenirs et d’émotions, ils vous racontent… Ambiance !
Il est 17h. Comme chaque année, c’est un groupe local qui a l’honneur d’ouvrir le festival. Julián, sous-titré « Cosmic Light », est originaire d’Angoulême et opère dans un registre prog’ rock / art rock assez classique, avec des textes chantés en anglais dans une tonalité qui se veut poétique. Julien Birot, à la guitare et au chant, mène son groupe tout au long d’une prestation sincère à défaut d’être originale, avec des titres tirés essentiellement des 2 EP du groupe. Le public, bien qu’encore peu nombreux, apprécie visiblement le set et encourage avec énergie ce jeune groupe qui offre un potentiel évident.
Alors que le changement de plateau est effectué, la foule se fait plus dense pour accueillir Frédéric L’Épée et Yang, auteur d’un album remarqué en 2017, The Failure of Words. L’ex Shylock et son groupe proposent un concert exigeant, technique, où les références à King Crimson sont nombreuses, tout comme le « discours » instrumental très engagé de l’œuvre. L’accent est mis sur le dernier album (« El Diablo », « Jago », « 9/8 Variations », « El Diablo », « Six Four Five »….), avec quelques titres néanmoins issus de Machines (2010). Soutenu par un second guitariste, L’Épée s’adresse à un public de connaisseurs (et ils sont bien présents !), capables d’apprécier les boucles rythmiques et les motifs entrelacés, particularités d’une musique qui tient autant du jazz-rock, du prog’ que du math rock.
Une semaine après avoir mis le feu à Rock Au Château, les cousins québécois de Karcius se présentent, pour la troisième fois en 20 ans, sur la scène de l’Esplanade du Concié. Le groupe nous propose une musique riche, variée, alternant passages instrumentaux et parties plus rock portées par la voix impeccable de Sylvain Auclair. Le mot “progressif” prend tout son sens tant les explorations musicales sont nombreuses : jazz-rock, riffs tranchants, voix douce puis rageuse, mélodies au clair de lune … de circonstance dans ce Crescendo porté par la clémence du ciel et par la grâce des étoiles. Les musiciens sont au sommet de leur art et égrènent des compositions magnifiques – celles de leur dernier album The Fold attirent un peu plus l’oreille, en raison de leur nouveauté (l’album était présenté en France en avant-première mondiale). Le public ne s’y trompe pas et réserve une ovation au groupe, avant de migrer en masse vers le coin merchandising pour y acquérir le précieux dernier sésame – voire compléter sa collection d’une discographie en tous points remarquable.
Après le concert très largement plébiscité des Canadiens, le public (en particulier le plus vénérable), a droit au premier « happy end » du festival : la présence d’Anaïd, groupe d’obédience Zeuhl / Canterbury, formé au début des années quatre-vingt, qui a compté en son sein feu Hugh Hopper. Le groupe s’était reformé il y a quelques années avec le soutien de la jeune génération (Alexis, fils du batteur Jean-Max Delva et de la chanteuse Emmanuelle Lionet), après une longue interruption, puis avait foulé les planches du Crescendo en 2016 et 2017. Le public encore présent – des connaisseurs essentiellement – accueille avec joie ces quelques titres – dont un hommage à Hopper – portés par la voix lyrique d’ Emmanuelle Lionet.
Cette première journée a donné le « la » pour le reste d’un festival qui sera – on le verra – placé sous le signe de la diversité et de la bonne humeur.
Akiko’s Cosmo Space ou l’ouverture récréative de cette seconde journée. La batteuse d’Ars Nova, épaulée par l’une de ses claviéristes ainsi qu’un guitariste et une bassiste, propose un set à base de rythmes et mélodies entraînantes, sorte de bal populaire survolté façon japonaiseries. Un ensemble un peu décalé dans un festival de prog’ malgré quelques fulgurances instrumentales révélatrices d’un certain pedigree musical. Amusant, distrayant, de quoi faire émerger de sa torpeur un public déjà bien accablé par la chaleur.
Le temps de mettre la main sur un shot de Pink Fluid et une bière artisanale (on salue le choix des organisateurs, qui ont privilégié une belle diversité aux habituelles pils insipides), et voici que les Suisses de Galaad montent sur scène. Inimaginable encore récemment, la reformation du groupe est l’une des belles surprises du festival. Pyt et ses compagnons n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de remporter l’adhésion d’un public qui le lui a bien rendu. A l’honneur évidemment le superbe second album Vae Victis (« L’épistolier » / « Seul » en ouverture, les connaisseurs auront apprécié !) et quelques nouveaux titres prometteurs du futur album à paraître en mai 2019. A la fois fébrile et déchaîné, Pyt met toutes ses tripes dans ce show puissant , où l’énergie brute est contrebalancée par les interventions aériennes à la guitare de Sébastien Froidevaux. Une résurrection de bonne augure pour une suite qu’on espère prolifique !
Avouons-le, Tryo, groupe chilien est une découverte pour nous. Ils viennent pourtant pour fêter leurs 30 ans de carrière, et ils vont le faire de manière très … spectaculaire ! Un show qui démarre tout en puissance, entre rock et jazz-fusion, où chaque membre du public est entraîné dans des circonvolutions musicales hypnotiques qui évoquent l’univers de King Crimson ! Ajoutez à cela une basse virevoltante à tel point qu’on pourrait croire que Jaco Pastorius se serait réincarné sous les doigts de Francisco Cortez Aguilera ! Vous vous laissez alors entraîner corps et âmes dans les affres d’une descente vertigineuse vers des ambiances brûlantes, suivant un parcours jalonné de riffs puissants et de cris de bête – expérience inoubliable !
Puis changement de décor total : la basse sauvage se transforme en violoncelle, la batterie prend l’aspect d’un xylophone accompagné de percussions douces et la guitare se fait plus soyeuse et intimiste. Il en résulte une musique acoustique d’une beauté et pureté sans limites, qui vient caresser les quelques larmes de bonheur qui coulent sur nos joues. Combien de temps ? 45 minutes ? Une heure ? Plus ? Nous sommes emportés au-delà de toute notion de temps par ces notes divines, entre musique de chambre et sonorités traditionnelles où nos esprits divaguent dans l’immensité d’une nuit étoilée. Somptueux !
Le public est envoûté, réceptif, toujours nombreux. Le trio rallume alors la flamme de son répertoire endiablé, celui avec lequel ils avaient choisi de démarrer le concert, et va terminer sous les applaudissements d’une assistance comblée, un show qui restera l’un des plus originaux de cette 20ème édition.
Le crépuscule musical est à peine tombé sur la prestation flamboyante de Tryo que l’ « happy end » du soir nous réserve une belle surprise avec le retour sur scène de Karcius, qui avait fait exploser le Crescendo la veille au soir, pour une reprise – et quelle reprise ! – du « Comfortably Numb » de… qui vous savez. Accompagné de Francisco Cortez Aguilera à la basse, le solo de guitare de Simon l’Espérance va transporter l’auditoire tout là haut, tant sa réinterprétation de Gilmour est puissante et parfaite ! Puis Sylvain Auclair et Sébastien Cloutier (Karcius) assurent le show avec Olivier Castan (Franck Carducci Band, Zio), reprenant, entre autres, Supertramp (notamment une version épurée de « Fool’s Overture » de toute beauté), avant d’enchaîner avec Zio sur un titre d’anthologie de Led Zep (« Rock’N Roll ») qui fera date dans les jams du Crescendo ! Les douze coups de minuit sont déjà dans le rétroviseur depuis quelques kilomètres quand les organisateurs viennent faire leurs adieux à un public survolté … ainsi que nos deux acolytes Sylvain et Sébastien qui sautent sur scène pour faire « un dernier morceau ». Les lumières de la fête peuvent alors s’éteindre pour resplendir de plus belle le lendemain après-midi.
Ce troisième jour voit le retour sur scène du batteur Jimmy Pallagrosi et de son groupe Zio, auteur d’un album de reprises pour le moins assez osées de standards du rock (Jimi Hendrix, Toto, Genesis, Supertramp…). Un peu de Rush, un peu de Nirvana, de l’humour, tout semble commencer sous les meilleures auspices. La suite convainc surtout les amateurs de metal prog’ avec un long solo de batterie de Pallagrosi et la présentation de son nouveau projet qui accueille notamment Joe Payne (The Enid) et Hayley Griffiths, chanteuse de feu Karnataka. Conçue pour un jeu vidéo (sur une histoire de SF/Fantasy), la musique oscille entre Ayreon et Dream Theater, soit rien de fondamentalement original, mais on attend d’entendre le résultat sur disque avant de se prononcer.
Alors que la température caniculaire commence à baisser, Akiko et Mika sont de retour avec Keiko au clavier lead et Shino à la basse pour le concert d’Ars Nova, groupe féminin emblématique de la scène japonaise, né dans les années quatre-vingt. Les tenues bariolées sont de mise, malgré la chaleur et l’âge vénérable de certaines des musiciennes. Beaucoup de claviers, donc, dans un concert fortement influencé par ELP. Grandiloquence, technicité… les amateurs de Keith Emerson et de Rick Wakeman sont visiblement nombreux et convaincus par la performance à en juger par l’accueil enthousiaste qu’ils réservent aux Japonaises.
On se dépêche de se restaurer (heureusement, le menu habituellement à base de sandwiches et de saucisses/frites est cette année étoffé par des plats végétariens notamment), car ce soir, on fête aussi les 20 ans de Mörglbl ! Christophe Godin et ses deux complices ont préparé pour l’occasion quelques belles surprises : reprises de King Crimson, de Yes (un medley « Roundabout » / « Owner of a Lonely Heart » délirant qui fait le grand écart entre les deux facettes du groupe), nouvelles compositions de l’album à venir et très anciens titres datant des débuts du groupe. Godin, archétype du showman et guitar hero loufoque, a le public dans sa poche et on ne voit pas le concert passer. Une performance d’autant plus admirable que la musique du trio, en plus d’être instrumentale, n’est pas la plus accessible qui soit !
Le « happy end » réserve une belle surprise, encore une fois à destination des plus anciens (et des plus avertis !) : l’interprétation de quelques chansons par le groupe Triangle, autour de son chanteur Denis Duhazé, visiblement ravi d’être sur scène. La sélection jouée ce soir écarte les compositions symphoniques (qu’on peut notamment entendre sur l’album éponyme de 1970) pour se porter sur les chansons les plus accessibles, comme « Peut-être demain » ou « Mama, tu ne sais pas ». Qu’importe, le public et le groupe sont heureux de partager ce moment rare, arraché de haute lutte par les organisateurs. On voit même dans la foule quelques personnes (légèrement plus âgées que nous) qui ont les larmes aux yeux … sans doute la meilleure récompense pour tous ceux qui ont oeuvré à cette reformation, qui restera sans doute aussi éphémère qu’exceptionnelle !
Loin d’être terminée, la soirée est à nouveau l’occasion pour Jimmy Pallagrosi et son groupe de mettre le feu sur scène. D’abord, Joe Payne reprend « Don’t Stop Me Now » avec conviction – sa voix se déplaçant sans encombre sur les territoires jalonnées jadis par Freddie Mercury. Puis Hayley Griffiths apporte toute sa rage et sa sensualité sur une version de « Kashmir » que ne renieraient pas Jimmy Page et Robert Plant. La soirée se termine après une dernière reprise (Toto) et sous les “encore ! encore !” d’un public qui a décidément du mal à aller se coucher …
Les catalans d’On The Raw ont le privilège d’ouvrir cette dernière journée et séduisent d’emblée un public soudain conquis par ces notes canterburiennes qui proviennent de la scène. Trois des musiciens ne sont pas des inconnus puisque faisant partie du groupe Harvest, au programme de l’édition précédente. Ils sont rejoints par Toni Sanchez à la basse et surtout Pep Espasa à la flûte et aux saxophone pour distiller une musique jazz-prog-rock beaucoup plus riche et passionnante que celle, plus « linéaire », proposée avec Harvest. Une excellente surprise, confirmée à l’applaudimètre et une fois encore, par le nombre important d’auditeurs conquis, en quête du seul album réalisé jusqu’à présent, le sublime Big City Awakes, qui s’arrache comme des petits « pan con tomate » à la fin du concert.
Electric Swan, c’est le gros son des Seventies qui s’invite à la fête ! Si ce type de programmation peut en surprendre certains dans un festival de rock progressif, il s’avère au final particulièrement judicieux, tant le blues-rock énergique du groupe italien nous entraîne dans une spirale psychédélique, dont la force est amplifiée par la voix éclatante d’une Monique Sardella enthousiaste et virevoltante. La bande de Lucio Calegari, l’ancien guitariste de Wicked Minds, « envoie du lourd », entre Allman Brothers Band et Grand Funk Railroad, tout en allant lorgner de temps en temps du côté Heavy Rock de Led Zeppelin ou Deep Purple. Le dernier album – l’excellent Windblown, sorti en 2017, se taille la part du lion sur scène – mais les deux albums précédents ne sont pas oubliés pour autant ! Un super moment revival pour un groupe que l’on espère revoir très bientôt sur notre territoire … aussi bien pour leur musique que pour leur gentillesse hors scène.
Les spectateurs de l’édition 2013 se souviennent probablement du concert de Franck Carducci, mais il n’était alors pas encore tout à fait l’artiste de scène qu’il est aujourd’hui. Entre-temps, il y a eu Torn Apart et un DVD de la tournée qui l’a suivi, sur lequel on est convaincu d’être en présence d’un groupe taillé pour le live. Parfaitement rôdé, le spectacle de ce soir démontre à quel point le multi-instrumentiste est devenu l’une des valeurs sûres du hard rock prog’. Car un concert de Carducci régale les yeux autant que les oreilles, non seulement par l’enthousiasme général qui se dégage des musiciens, le jeu de lumières, la mise en scène mais aussi grâce à la délicieuse Mary Reynaud. Désormais élément central du groupe, et pas seulement pour sa belle frimousse, elle éblouit par ses qualités de chanteuse, de danseuse, voire de « meneuse de revue ». En une heure trente, devant un public quasi extatique, le passé, le présent et le futur se mêlent ainsi en un concert qui n’a laissé personne indifférent : des classiques comme « Alice’s Eerie Dream », un medley d’anciennes compositions et des nouveaux titres dont un « The After Effect », sans doute l’une des meilleures choses écrites par le groupe : à la fois vigoureux et très mélodique avec son refrain planant, progressif à souhait, cette histoire de science-fiction ne fait qu’attiser l’impatience d’entendre un nouvel album.
Il est alors l’heure du dernier « happy end » et le public, partagé entre joie des préparations à venir et tristesse d’une fin de 20ème édition toute proche, va avoir une nouvelle occasion de vibrer. Tout d’abord, c’est Joe Payne qui vient seul sur scène, et qui va s’accompagner aux claviers pour 3 titres. Sa voix pure envoie des frissons de plaisir en direction d’un auditoire resté en nombre … notamment quand durant plus de dix minutes, il reprend « One and the Many » qu’il avait magistralement interprété un soir d’août 2013 avec The Enid lors d’un concert inoubliable. Pendant ce temps, les bénévoles s’agitent pour préparer une scène qui va accueillir le Franck Carducci Band, Zio et un invité surprise, en l’occurrence Francis Décamps pour une interprétation originale et fort sympathique du « Whipping Post » des Allman Brothers Band (repris également par Frank Zappa puis Pat Travers une dizaine d’années plus tard). Avec Patrice, un des piliers de l’organisation, Franck Carducci va ensuite proposer un ultime « Let There Be Prog », en invitant, sur la musique d’AC/DC tous les organisateurs et bénévoles de cette édition impeccable … un cadeau bien mérité pour toutes ces personnes qui ont oeuvré à la réussite totale de cette 20ème édition.
Comme les belles histoires finissent toujours bien, les organisateurs ont assuré le public que la vingt-et-unième édition, étant donné le succès de celle-ci, se déroulerait à nouveau sur quatre jours. Mais le Crescendo a toujours besoin de vous ! De nombreuses actions ont été mises en place cette année sur le site pour maintenir le festival en vie (adhésion à l’association, vente de tee-shirts, de DVD, tombola permettant de gagner des guitares): grâce à ces actions, aux bénévoles passionnés et à la fidélité du public, la pérennité du festival est assurée pour une nouvelle année, et c’est un euphémisme de dire qu’on s’en réjouit !
Un compte rendu de Thierry de Haro & Jean-Philippe Haas
Quand le phare vient éclairer de ses rayons les rivages du rock progressif, un seul festival apparaît sur les côtes, bien en avant des autres. Peut-être parce que c’est le seul qui se trouve en bord de mer … Mais surtout parce que, si le Crescendo n’est pas le plus prestigieux des festivals, en regard des programmations que l’on peut avoir au BeProg de Barcelone ou au Loreley, il reste définitivement le plus convivial, le plus novateur (on ne compte plus le nombre de groupes découverts en ces lieux), de manière inégalable le moins cher – car gratuit – et surtout… le plus ancien des festivals ! Une longévité qui traduit bien cet état d’esprit des fondateurs et organisateurs pour faire découvrir année après année cette musique si riche que représente le rock progressif.
Pour souffler ses 20 bougies, quelques Chromaticiens avaient effectué le déplacement. De retour avec les valises pleines de souvenirs et d’émotions, ils vous racontent… Ambiance !
Il est 17h. Comme chaque année, c’est un groupe local qui a l’honneur d’ouvrir le festival. Julián, sous-titré « Cosmic Light », est originaire d’Angoulême et opère dans un registre prog’ rock / art rock assez classique, avec des textes chantés en anglais dans une tonalité qui se veut poétique. Julien Birot, à la guitare et au chant, mène son groupe tout au long d’une prestation sincère à défaut d’être originale, avec des titres tirés essentiellement des 2 EP du groupe. Le public, bien qu’encore peu nombreux, apprécie visiblement le set et encourage avec énergie ce jeune groupe qui offre un potentiel évident.
Alors que le changement de plateau est effectué, la foule se fait plus dense pour accueillir Frédéric L’Épée et Yang, auteur d’un album remarqué en 2017, The Failure of Words. L’ex Shylock et son groupe proposent un concert exigeant, technique, où les références à King Crimson sont nombreuses, tout comme le « discours » instrumental très engagé de l’œuvre. L’accent est mis sur le dernier album (« El Diablo », « Jago », « 9/8 Variations », « El Diablo », « Six Four Five »….), avec quelques titres néanmoins issus de Machines (2010). Soutenu par un second guitariste, L’Épée s’adresse à un public de connaisseurs (et ils sont bien présents !), capables d’apprécier les boucles rythmiques et les motifs entrelacés, particularités d’une musique qui tient autant du jazz-rock, du prog’ que du math rock.
Une semaine après avoir mis le feu à Rock Au Château, les cousins québécois de Karcius se présentent, pour la troisième fois en 20 ans, sur la scène de l’Esplanade du Concié. Le groupe nous propose une musique riche, variée, alternant passages instrumentaux et parties plus rock portées par la voix impeccable de Sylvain Auclair. Le mot “progressif” prend tout son sens tant les explorations musicales sont nombreuses : jazz-rock, riffs tranchants, voix douce puis rageuse, mélodies au clair de lune … de circonstance dans ce Crescendo porté par la clémence du ciel et par la grâce des étoiles. Les musiciens sont au sommet de leur art et égrènent des compositions magnifiques – celles de leur dernier album The Fold attirent un peu plus l’oreille, en raison de leur nouveauté (l’album était présenté en France en avant-première mondiale). Le public ne s’y trompe pas et réserve une ovation au groupe, avant de migrer en masse vers le coin merchandising pour y acquérir le précieux dernier sésame – voire compléter sa collection d’une discographie en tous points remarquable.
Après le concert très largement plébiscité des Canadiens, le public (en particulier le plus vénérable), a droit au premier « happy end » du festival : la présence d’Anaïd, groupe d’obédience Zeuhl / Canterbury, formé au début des années quatre-vingt, qui a compté en son sein feu Hugh Hopper. Le groupe s’était reformé il y a quelques années avec le soutien de la jeune génération (Alexis, fils du batteur Jean-Max Delva et de la chanteuse Emmanuelle Lionet), après une longue interruption, puis avait foulé les planches du Crescendo en 2016 et 2017. Le public encore présent – des connaisseurs essentiellement – accueille avec joie ces quelques titres – dont un hommage à Hopper – portés par la voix lyrique d’ Emmanuelle Lionet.
Cette première journée a donné le « la » pour le reste d’un festival qui sera – on le verra – placé sous le signe de la diversité et de la bonne humeur.
Akiko’s Cosmo Space ou l’ouverture récréative de cette seconde journée. La batteuse d’Ars Nova, épaulée par l’une de ses claviéristes ainsi qu’un guitariste et une bassiste, propose un set à base de rythmes et mélodies entraînantes, sorte de bal populaire survolté façon japonaiseries. Un ensemble un peu décalé dans un festival de prog’ malgré quelques fulgurances instrumentales révélatrices d’un certain pedigree musical. Amusant, distrayant, de quoi faire émerger de sa torpeur un public déjà bien accablé par la chaleur.
Le temps de mettre la main sur un shot de Pink Fluid et une bière artisanale (on salue le choix des organisateurs, qui ont privilégié une belle diversité aux habituelles pils insipides), et voici que les Suisses de Galaad montent sur scène. Inimaginable encore récemment, la reformation du groupe est l’une des belles surprises du festival. Pyt et ses compagnons n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de remporter l’adhésion d’un public qui le lui a bien rendu. A l’honneur évidemment le superbe second album Vae Victis (« L’épistolier » / « Seul » en ouverture, les connaisseurs auront apprécié !) et quelques nouveaux titres prometteurs du futur album à paraître en mai 2019. A la fois fébrile et déchaîné, Pyt met toutes ses tripes dans ce show puissant , où l’énergie brute est contrebalancée par les interventions aériennes à la guitare de Sébastien Froidevaux. Une résurrection de bonne augure pour une suite qu’on espère prolifique !
Avouons-le, Tryo, groupe chilien est une découverte pour nous. Ils viennent pourtant pour fêter leurs 30 ans de carrière, et ils vont le faire de manière très … spectaculaire ! Un show qui démarre tout en puissance, entre rock et jazz-fusion, où chaque membre du public est entraîné dans des circonvolutions musicales hypnotiques qui évoquent l’univers de King Crimson ! Ajoutez à cela une basse virevoltante à tel point qu’on pourrait croire que Jaco Pastorius se serait réincarné sous les doigts de Francisco Cortez Aguilera ! Vous vous laissez alors entraîner corps et âmes dans les affres d’une descente vertigineuse vers des ambiances brûlantes, suivant un parcours jalonné de riffs puissants et de cris de bête – expérience inoubliable !
Puis changement de décor total : la basse sauvage se transforme en violoncelle, la batterie prend l’aspect d’un xylophone accompagné de percussions douces et la guitare se fait plus soyeuse et intimiste. Il en résulte une musique acoustique d’une beauté et pureté sans limites, qui vient caresser les quelques larmes de bonheur qui coulent sur nos joues. Combien de temps ? 45 minutes ? Une heure ? Plus ? Nous sommes emportés au-delà de toute notion de temps par ces notes divines, entre musique de chambre et sonorités traditionnelles où nos esprits divaguent dans l’immensité d’une nuit étoilée. Somptueux !
Le public est envoûté, réceptif, toujours nombreux. Le trio rallume alors la flamme de son répertoire endiablé, celui avec lequel ils avaient choisi de démarrer le concert, et va terminer sous les applaudissements d’une assistance comblée, un show qui restera l’un des plus originaux de cette 20ème édition.
Le crépuscule musical est à peine tombé sur la prestation flamboyante de Tryo que l’ « happy end » du soir nous réserve une belle surprise avec le retour sur scène de Karcius, qui avait fait exploser le Crescendo la veille au soir, pour une reprise – et quelle reprise ! – du « Comfortably Numb » de… qui vous savez. Accompagné de Francisco Cortez Aguilera à la basse, le solo de guitare de Simon l’Espérance va transporter l’auditoire tout là haut, tant sa réinterprétation de Gilmour est puissante et parfaite ! Puis Sylvain Auclair et Sébastien Cloutier (Karcius) assurent le show avec Olivier Castan (Franck Carducci Band, Zio), reprenant, entre autres, Supertramp (notamment une version épurée de « Fool’s Overture » de toute beauté), avant d’enchaîner avec Zio sur un titre d’anthologie de Led Zep (« Rock’N Roll ») qui fera date dans les jams du Crescendo ! Les douze coups de minuit sont déjà dans le rétroviseur depuis quelques kilomètres quand les organisateurs viennent faire leurs adieux à un public survolté … ainsi que nos deux acolytes Sylvain et Sébastien qui sautent sur scène pour faire « un dernier morceau ». Les lumières de la fête peuvent alors s’éteindre pour resplendir de plus belle le lendemain après-midi.
Ce troisième jour voit le retour sur scène du batteur Jimmy Pallagrosi et de son groupe Zio, auteur d’un album de reprises pour le moins assez osées de standards du rock (Jimi Hendrix, Toto, Genesis, Supertramp…). Un peu de Rush, un peu de Nirvana, de l’humour, tout semble commencer sous les meilleures auspices. La suite convainc surtout les amateurs de metal prog’ avec un long solo de batterie de Pallagrosi et la présentation de son nouveau projet qui accueille notamment Joe Payne (The Enid) et Hayley Griffiths, chanteuse de feu Karnataka. Conçue pour un jeu vidéo (sur une histoire de SF/Fantasy), la musique oscille entre Ayreon et Dream Theater, soit rien de fondamentalement original, mais on attend d’entendre le résultat sur disque avant de se prononcer.
Alors que la température caniculaire commence à baisser, Akiko et Mika sont de retour avec Keiko au clavier lead et Shino à la basse pour le concert d’Ars Nova, groupe féminin emblématique de la scène japonaise, né dans les années quatre-vingt. Les tenues bariolées sont de mise, malgré la chaleur et l’âge vénérable de certaines des musiciennes. Beaucoup de claviers, donc, dans un concert fortement influencé par ELP. Grandiloquence, technicité… les amateurs de Keith Emerson et de Rick Wakeman sont visiblement nombreux et convaincus par la performance à en juger par l’accueil enthousiaste qu’ils réservent aux Japonaises.
On se dépêche de se restaurer (heureusement, le menu habituellement à base de sandwiches et de saucisses/frites est cette année étoffé par des plats végétariens notamment), car ce soir, on fête aussi les 20 ans de Mörglbl ! Christophe Godin et ses deux complices ont préparé pour l’occasion quelques belles surprises : reprises de King Crimson, de Yes (un medley « Roundabout » / « Owner of a Lonely Heart » délirant qui fait le grand écart entre les deux facettes du groupe), nouvelles compositions de l’album à venir et très anciens titres datant des débuts du groupe. Godin, archétype du showman et guitar hero loufoque, a le public dans sa poche et on ne voit pas le concert passer. Une performance d’autant plus admirable que la musique du trio, en plus d’être instrumentale, n’est pas la plus accessible qui soit !
Le « happy end » réserve une belle surprise, encore une fois à destination des plus anciens (et des plus avertis !) : l’interprétation de quelques chansons par le groupe Triangle, autour de son chanteur Denis Duhazé, visiblement ravi d’être sur scène. La sélection jouée ce soir écarte les compositions symphoniques (qu’on peut notamment entendre sur l’album éponyme de 1970) pour se porter sur les chansons les plus accessibles, comme « Peut-être demain » ou « Mama, tu ne sais pas ». Qu’importe, le public et le groupe sont heureux de partager ce moment rare, arraché de haute lutte par les organisateurs. On voit même dans la foule quelques personnes (légèrement plus âgées que nous) qui ont les larmes aux yeux … sans doute la meilleure récompense pour tous ceux qui ont oeuvré à cette reformation, qui restera sans doute aussi éphémère qu’exceptionnelle !
Loin d’être terminée, la soirée est à nouveau l’occasion pour Jimmy Pallagrosi et son groupe de mettre le feu sur scène. D’abord, Joe Payne reprend « Don’t Stop Me Now » avec conviction – sa voix se déplaçant sans encombre sur les territoires jalonnées jadis par Freddie Mercury. Puis Hayley Griffiths apporte toute sa rage et sa sensualité sur une version de « Kashmir » que ne renieraient pas Jimmy Page et Robert Plant. La soirée se termine après une dernière reprise (Toto) et sous les “encore ! encore !” d’un public qui a décidément du mal à aller se coucher …
Les catalans d’On The Raw ont le privilège d’ouvrir cette dernière journée et séduisent d’emblée un public soudain conquis par ces notes canterburiennes qui proviennent de la scène. Trois des musiciens ne sont pas des inconnus puisque faisant partie du groupe Harvest, au programme de l’édition précédente. Ils sont rejoints par Toni Sanchez à la basse et surtout Pep Espasa à la flûte et aux saxophone pour distiller une musique jazz-prog-rock beaucoup plus riche et passionnante que celle, plus « linéaire », proposée avec Harvest. Une excellente surprise, confirmée à l’applaudimètre et une fois encore, par le nombre important d’auditeurs conquis, en quête du seul album réalisé jusqu’à présent, le sublime Big City Awakes, qui s’arrache comme des petits « pan con tomate » à la fin du concert.
Electric Swan, c’est le gros son des Seventies qui s’invite à la fête ! Si ce type de programmation peut en surprendre certains dans un festival de rock progressif, il s’avère au final particulièrement judicieux, tant le blues-rock énergique du groupe italien nous entraîne dans une spirale psychédélique, dont la force est amplifiée par la voix éclatante d’une Monique Sardella enthousiaste et virevoltante. La bande de Lucio Calegari, l’ancien guitariste de Wicked Minds, « envoie du lourd », entre Allman Brothers Band et Grand Funk Railroad, tout en allant lorgner de temps en temps du côté Heavy Rock de Led Zeppelin ou Deep Purple. Le dernier album – l’excellent Windblown, sorti en 2017, se taille la part du lion sur scène – mais les deux albums précédents ne sont pas oubliés pour autant ! Un super moment revival pour un groupe que l’on espère revoir très bientôt sur notre territoire … aussi bien pour leur musique que pour leur gentillesse hors scène.
Les spectateurs de l’édition 2013 se souviennent probablement du concert de Franck Carducci, mais il n’était alors pas encore tout à fait l’artiste de scène qu’il est aujourd’hui. Entre-temps, il y a eu Torn Apart et un DVD de la tournée qui l’a suivi, sur lequel on est convaincu d’être en présence d’un groupe taillé pour le live. Parfaitement rôdé, le spectacle de ce soir démontre à quel point le multi-instrumentiste est devenu l’une des valeurs sûres du hard rock prog’. Car un concert de Carducci régale les yeux autant que les oreilles, non seulement par l’enthousiasme général qui se dégage des musiciens, le jeu de lumières, la mise en scène mais aussi grâce à la délicieuse Mary Reynaud. Désormais élément central du groupe, et pas seulement pour sa belle frimousse, elle éblouit par ses qualités de chanteuse, de danseuse, voire de « meneuse de revue ». En une heure trente, devant un public quasi extatique, le passé, le présent et le futur se mêlent ainsi en un concert qui n’a laissé personne indifférent : des classiques comme « Alice’s Eerie Dream », un medley d’anciennes compositions et des nouveaux titres dont un « The After Effect », sans doute l’une des meilleures choses écrites par le groupe : à la fois vigoureux et très mélodique avec son refrain planant, progressif à souhait, cette histoire de science-fiction ne fait qu’attiser l’impatience d’entendre un nouvel album.
Il est alors l’heure du dernier « happy end » et le public, partagé entre joie des préparations à venir et tristesse d’une fin de 20ème édition toute proche, va avoir une nouvelle occasion de vibrer. Tout d’abord, c’est Joe Payne qui vient seul sur scène, et qui va s’accompagner aux claviers pour 3 titres. Sa voix pure envoie des frissons de plaisir en direction d’un auditoire resté en nombre … notamment quand durant plus de dix minutes, il reprend « One and the Many » qu’il avait magistralement interprété un soir d’août 2013 avec The Enid lors d’un concert inoubliable. Pendant ce temps, les bénévoles s’agitent pour préparer une scène qui va accueillir le Franck Carducci Band, Zio et un invité surprise, en l’occurrence Francis Décamps pour une interprétation originale et fort sympathique du « Whipping Post » des Allman Brothers Band (repris également par Frank Zappa puis Pat Travers une dizaine d’années plus tard). Avec Patrice, un des piliers de l’organisation, Franck Carducci va ensuite proposer un ultime « Let There Be Prog », en invitant, sur la musique d’AC/DC tous les organisateurs et bénévoles de cette édition impeccable … un cadeau bien mérité pour toutes ces personnes qui ont oeuvré à la réussite totale de cette 20ème édition.
Comme les belles histoires finissent toujours bien, les organisateurs ont assuré le public que la vingt-et-unième édition, étant donné le succès de celle-ci, se déroulerait à nouveau sur quatre jours. Mais le Crescendo a toujours besoin de vous ! De nombreuses actions ont été mises en place cette année sur le site pour maintenir le festival en vie (adhésion à l’association, vente de tee-shirts, de DVD, tombola permettant de gagner des guitares): grâce à ces actions, aux bénévoles passionnés et à la fidélité du public, la pérennité du festival est assurée pour une nouvelle année, et c’est un euphémisme de dire qu’on s’en réjouit !