Initiative H – Le maestro et ses douze apôtres
En 2015 Dark Wave révélait de la façon le plus éclatante qui soit un big band à la musique inspirée et ambitieuse, moderne et accessible. Derrière Initiative H nous avons David Haudrechy et une bande d’amis talentueux qui, trois ans après leur coup d’éclat, allument la mèche de leur nouvelle bombe – car c’en est une – nommée Broken Land, un disque conceptuel qui pourrait bien propulser le groupe très haut. Chromatique s’est entretenu avec le maître de cérémonie.
Chromatique : Pour commencer, David, pouvez-vous nous présenter le projet Initiative H ? Quelles sont ses origines ?
David Haudrechy : Mon apprentissage de la musique et du saxophone s’est fait d’abord dans les orchestres d’harmonie mais surtout en big band. Dès que j’ai découvert cette formation et cette musique, je me suis plongé là-dedans à fond : Basie, Ellington, Gil Evans, Carla Bley, j’ai vite eu une passion pour ce format. De plus, à la maison, mon père écoutait aussi beaucoup de jazz en grand ensemble et beaucoup de musique symphonique. Donc j’ai toujours eu envie de monter un groupe en grand format. Il a fallu bosser un peu l’écriture, l’analyse, relever, s’inspirer. Ça a pris un peu de temps pour me décider et pour m’y préparer mais en 2012 c’était parti ! INITIATIVE H était lancé avec notre première suite : Deus Ex Machina. Le groupe est aussi très lié au monde de la glisse, de par l’inspiration, l’équipe (notre vidéaste, notre photographe), nos collaborations ou nos partenaires.
On imagine que ça ne doit pas être simple de rassembler tant de musiciens. Comment avez-vous recruté votre fine équipe ?
C’était assez évident. Pour commencer ce sont des personnes dont je suis proche depuis longtemps et que j’aime, c’est une espèce de famille. Donc, le casting était plutôt simple à réunir, entre les musiciens avec qui je voulais travailler et l’instrumentation souhaitée. Je voulais composer cette équipe au travers de plusieurs prismes, ceux du rock, de l’electro (d’où la grosse rythmique et les synthés), du jazz, mais aussi celui de la musique française du XXème siècle (d’où le soprano, la flûte, la clarinette ou la clarinette basse). Nous avons tous en commun d’avoir fait partie de big bands « traditionnels » mais la grande majorité de l’IH possède aussi une solide formation « classique », ce qui nous donne des références communes, dans la musicalité comme dans le travail d’ensemble de « soufflants ».
Il y a souvent du mouvement dans les grandes formations : départs, arrivées, remplacements… Le line-up d’Initiative H semble au contraire plutôt stable. Comment êtes-vous parvenu à cette stabilité ?
Comme je l’ai déjà dit, l’IH est une espèce de famille, j’essaye de faire attention à tout le monde, dans l’écriture, dans la logistique des enregistrements et des concerts, mais on est d’abord une bande de potes. On adore être en résidence, c’est la colo ! Je crois que les gars sont soudés, et la notion de team building dans le sens des crew de skaters.
L’enregistrement d’un album ne doit pas être chose très aisée non plus ! Comment cela se passe-t-il ? Tout le monde est-il présent physiquement ? Certaines parties sont-elles enregistrées à distance ?
Ah non ! C’est à l’ancienne. On est tous là du début jusqu’à la fin. Tout le monde est présent, tout le monde assiste aux sessions, c’est important pour moi. On est une équipe. On enregistre toujours chez Olivier Cussac au studio Condorcet, j’adore ce studio et tout le monde s’y sent bien, ça aussi c’est important… L’idée est toujours d’enregistrer le plus live possible pour garder le côté vivant et orchestral du groupe, même si, par la suite, il y a du travail de sons additionnels.
Le visuel de Broken Land est assez explicite quant aux thèmes abordés. Peut-on parler d’un album conceptuel sur les désastres écologiques ?
En tous cas c’est le point de départ de cet album. L’idée n’est pas d’être moraliste, mais peut-être d’exprimer un constat d’impuissance et de désolation face à l’ampleur du drame écologique et le pressentiment de cataclysmes à venir. Et je suis très heureux que le photographe Sébastien Zanella nous ait offert cette photo incroyable.
A l’image de Dark Wave, Broken Land brasse de nombreux styles, bien au-delà du jazz. Certains titres sont très pop, d’autres évoquent la musique de films. Quelles ont été vos influences majeures dans l’écriture ?
En vrac : Air, Moussorgsky, Philipp Glass, Grieg, Magnetic Ensemble, Vincent Artaud, Woodkid, Berlioz, Carla Bley…la liste pourrait être longue !
Accepteriez-vous de vous prêter à un petit « track by track » ? Une phrase ou deux pour décrire chaque morceau ?
– « Broken Land »: sombre état des lieux de notre planète, le titre commence par un cœur qui s’essouffle.
– « Signes » : pas besoin d’explication je crois.
– « The Point of no Return » : c’est le nom de l’étude des climatologues qui nous apprend que nous vivons à crédit.
– « Just Dust » : le retour à la poussière, les grands espaces.
– « Far West » : nom des expéditions radicales de Sea Shepherd.
– « Fun Kills » : clin d’œil aux surfers de grosses vagues. Expression utilisée par les journalistes qui expliquent que la recherche de fun extrême peut tuer…
– « Failure » : à lire en anglais ou en français !
– « Trouble » : titre qui illustre notre schizophrénie.
– « Polaroid » : un titre d’espoir, pour croire que tout n’est pas perdu.
Vous êtes le compositeur principal des titres, mais ceux-ci sont-ils figés ou laissez-vous chaque musicien apporter sa pierre à l’édifice ?
J’écoute les idées de tout le monde mais en général j’arrive avec la forme définitive. C’est plutôt des ajustements de couleurs, de sons mais rarement de forme.
Vous avez utilisé le financement participatif pour cet album. Selon vous, est-ce une solution d’avenir pour les artistes ? Peut-on encore vivre de sa musique aujourd’hui lorsqu’on n’est pas sur-médiatisé ?
Je ne sais pas si c’est une solution d’avenir mais c’est une manière d’impliquer ceux qui nous soutiennent ainsi que de faire découvrir des projets. Pour ce qui est de vivre de sa musique, avec un grand format ça paraît compliqué, c’est une grosse et lourde machine.
Initiative H est maintenant reconnu comme l’un des ensembles montants du jazz français, à l’image du Supersonic de Thomas de Pourquery, par exemple, qui sera également à Marciac cette année. Cette entrée dans un grand festival représente-t-elle une consécration pour vous ?
Merci beaucoup ! J’adore Thomas, il est venu jouer avec l’IH il y a quelques années. Et oui jouer cette musique sous le grand chapiteau de Marciac c’est un sacré truc pour nous ! Surtout que Marciac nous soutient depuis le début. Nous y avons fait la résidence de création de Broken Land, à l’Astrada.
A propos de concert, avec un effectif aussi élevé, les spectacles ne sont-ils pas un casse-tête à organiser ?
Si, un peu, surtout que quasiment tous les musiciens de l’IH ont leur propre projet. Mais ils font tous beaucoup d’efforts, ils savent que la moindre répétition, session ou concert est un vrai « chantier » d’organisation et de … convergence des astres !
Quels sont vos projets immédiats concernant Initiative H ?
Là évidemment c’est la sortie de l’album, le 26 mai au Metronum à Toulouse, le 31 mai au café Montparnasse à Paris. Il y aura aussi Marciac cet été donc, et je travaille sur un nouveau programme pour l’année prochaine autour de Moondog.
En dehors d’Initiative H, quelles sont vos autres activités musicales ?
Je joue avec le pianiste Gregoire Aguilar dans le duo Endless, avec lequel nous avons sorti un album, Lost Lake, il y a quelques mois, toujours sous le label Neuklang. Je joue aussi avec Somesax, un quatuor de saxophones dirigé par David Pautric, dont le dernier album, Suites, est également sorti il y a quelques mois. Je suis aussi enseignant, je dirige la classe de jazz et musiques actuelles du conservatoire de Montauban, j’interviens à « l’école de musiques vivaces » de Toulouse, Music’Halle, ainsi qu’à l’Isdat (le pôle supérieur de musique et de danse de Toulouse).
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
J’espère qu’ils auront plaisir à écouter ce nouvel album et à se plonger dans l’univers INITIATIVE H !