Ange - Heureux !

Ange est unique. Toujours debout , toujours vivant, toujours la banane et moins titubant que mister Renard après quasiment un demi-siècle, le groupe franc-comtois a poursuivi sa trajectoire artistique malgré un désintérêt indélicat de la part des médias et autres « professionnels » de la musique. Il a connu des hauts, des bas, des changements de personnel et diverses turpitudes, mais contre vents et marées a continué à produire des albums dont le niveau est resté bien au-dessus des galettes fadasses et formatées qui squattent les bacs et la bande passante. Fidèle à lui-même au fil des années et néanmoins différent à chaque fois, Ange a défié les modes, se nourrissant d’influences choisies et non opportunistes, forgeant sa légende – car c’en est une ! – souvent loin des caméras et au plus près des gens. Unique, on vous dit.

Heureux ! n’est pas moins unique. C’est à la fois un recueil de nouvelles chansons, mais pas vraiment un album studio. Un disque enregistré en public, mais pas un live. En effet, au terme d’une résidence à l’ED&N de Sausheim, Haut-Rhin, le groupe n’a ni plus ni moins convié ses fans à assister le 6 octobre 2017 à un enregistrement dans les conditions de prises de son d’un studio. Le public s’est plié de très bonne grâce au silence absolu requis par l’apparition régulière du « On Air » rouge, conscient d’être le témoin d’une naissance atypique, dont Prévert est le parrain posthume. « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple », disait-il.

Le quintette Décamps père / Décamps fils / Sidhoum / Cazzulini / Hajdi déploie avec une aisance bien rodée un attirail bariolé qui comprend des titres très directs en format carte de visite (« L’autre est plus précieux que le temps »), des trésors de poésie où Christian Décamps livre une vague nostalgie (« Ce que murmurent les pierres »), ses petits instants de bonheur paisible (« Heureux ») ou ses humeurs coquines (« Sens et jouissances »), mais aussi de superbes épopées progressives, théâtrales et angéliques à souhait (« Nancy-Jupiter à la nage ») qui parfois renvoient à l’emphase symphonique de ce bon vieux néo-prog (« Jour de chance »). Et comme un pied de nez à tout le sérieux inutile de nos futiles existences, Ange conclut en nous entraînant dans la grande sarabande finale et pleine d’espoir de « Chante n’importe quoi ». Bref, Heureux ! couvre en un seul disque plus de quatre décennies de musique à contre-courant avec force humour et onirisme. Tout est dit… enfin, pas tout quand même, on le souhaite !

Si on a cessé d’attendre que les médias musicaux retirent leurs doigts de leurs fondements pour redonner à Ange les lauriers qu’il mérite, on a tout de même des raisons de se réjouir, car le groupe entame une tournée marathon qui comportera quelques jolis sommets, comme le festival Night of The Prog le 15 juillet 2018 et une date parisienne pour fêter ses 50 ans le 31 janvier 2020. A bientôt soixante-douze ans, on espère bien que le père Christian, aidé de ses compères, offrira encore de beaux instant à son public indéfectible sans lequel la fantastique épopée du général Décamps n’aurait pu s’écrire.