– Festival Terra Incognita
La cinquième partie de notre dossier nous fait traverser l’Atlantique. Car si l’Europe est la terre-mère du prog, la Belle Province a également produit quelques formations de premier plan, comme Harmonium ou plus récemment Miriodor (qui seront à l’affiche du dixième festival Rock In Opposition en septembre 2017). Du 19 au 21 mai 2017 a eu lieu le treizième festival Terra Incognita en cette contrée si bienveillante à l’égard du rock progressif qu’est la ville de Québec. Michel Bilodeau, créateur du festival et passionné du genre, nous décrit la situation un peu particulière que connaissent les musiques progressives dans un grand pays… si peu peuplé.
Quelles sont les origines du festival ? Qu’est-ce qui a présidé à sa création ?
J’ai mis le festival sur pied en 2004. Pour moi c’était un peu comme la suite logique de l’émission de radio Terra Incognita (www.ckrl.qc.ca) ainsi que du magazine du même nom. Après avoir lu sur les groupes et avoir écouté leur cd je me suis dit que les amateurs auraient probablement aussi le goût de voir ces groupes à l’œuvre sur scène. Dès les débuts de l’émission et du magazine, l’idée était de faire connaître de nouvelles formations. Donc peu ou pas de diffusion de groupes des années 70 comme Genesis , Yes , King Crimson ou Gentle Giant. Le festival a poursuivi dans cette veine. Au fil des ans plusieurs formations nous ont visités : The Flower Kings, Agents of Mercy, Kaipa da Capo, Anekdoten, R.P.W.L., Glass Hammer, Zuffanti, The Watch, IZZ, Discipline , Matthew Parmenter, Galahad, Sky Architect, Sylvan , Unreal City, Edensong, Il Castello di Atlante, Arabs in Aspic, Pineapple Thief, Abel Ganz, The Tangent, Wobbler, Mars Hollow, Beardfish, 3rd Degree, Elephants of Scotland, Frogg Café, Kinetic Element, Rhys Marsh…
Quelles sont les caractéristiques principales de votre festival (implantation, nombre d’éditions à ce jour, choix de programmation, fréquentation…) ?
En mai 2017, le festival en sera à sa 13e édition. Nous sommes demeurés fidèles à notre formule de concert intime et à notre volonté de permettre à des groupes émergents de se produire devant des mordus de musique. Un public d’amateurs enthousiastes qui a fait la renommée du festival. Les gens apprécient par dessus tout le côté intimiste et convivial du festival et ils sont d’ailleurs nombreux chaque année à venir me voir et me demander de conserver cette formule. Les musiciens se mêlent au public et il est possible pour les amateurs d’avoir des conversations avec eux entre les concerts. Les musiciens apprécient aussi l’atmosphère « relax » et cette possibilité d’échanger avec le public.
Qui sont les acteurs-clés de votre festival (organisateurs, bénévoles, collectivités,…) ? Comment est-il financé (sponsors, subventions,…) ?
Hormis moi-même qui m’occupe de la programmation, de la publicité, des réservations , de la logistique, on retrouve des bénévoles qui s’impliquent lors de la fin de semaine du festival en s’occupant notamment du transport des musiciens entre l’aéroport et l’hôtel et entre l’hôtel et la salle. Il y a aussi bien sûr l’équipe technique de la salle qui sans faire partie de l’équipe du festival… en fait tout de même partie lors de cette fin de semaine ! Le festival ne reçoit aucune subvention et ne bénéficie du support d’aucun commanditaire.
Le cas échéant, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez (ou avez rencontrées) dans l’organisation de votre festival ?
Ne bénéficiant d’aucune subvention vous devinez que la principale difficulté demeure de travailler avec un budget limité et sans véritable marge de manœuvre. A chaque année on ne sait jamais si la vente de billets permettra de boucler le budget. Et puis le fait qu’une bonne partie des groupes qui s’y produisent soit européenne complique énormément les choses. En ce qui concerne l’assistance, le principal problème réside dans la fragmentation du public prog. On constate parfois que les amateurs de prog ne sont pas …des amateurs de prog mais des fans de certains groupes prog. Il faut dénicher des têtes d’affiche qui vont susciter l’intérêt car souvent les autres groupes présentés la même journée ne sont pas toujours assez « connus ». C’est là que réside la difficulté dans la préparation de la programmation. Si l’on tient compte de la volonté du festival d’inviter des groupes émergents et de présenter des concerts dans un cadre intimiste, il faut donc trouver un équilibre en dénichant la « locomotive » susceptible de faire bouger les choses tout en respectant les limites qu’imposent le côté intimiste de la salle en terme de vente de billets.
Comment définiriez-vous votre public ? S’agit-il de locaux, de gens de toute la province de Québec ? Des initiés, des curieux ?
Une partie du public est de la grande région de Québec mais une bonne partie provient d’un peu partout au Québec et une autre partie nous arrive des États-Unis et de l’Ontario. Ce sont avant tout des initiés qui sont familiers avec la scène progressive contemporaine. Il y a très peu de curieux. La curiosité, qui était un des moteurs du prog dans les années 70, a disparu depuis un bon moment.
Dans le reportage diffusé en 2016 sur la chaîne franco-allemande Arte, l’organisateur du Night of the Prog (le plus gros festival de rock progressif européen) avoue que son public est constitué principalement de quadragénaires et de quinquagénaires, d’un milieu plutôt aisé. Partagez-vous cette analyse concernant votre propre festival ? Quelle tranche d’âge y est la plus représentée ? Pensez-vous qu’il existe un public plus jeune pour ce type de musique ?
Cette description correspond au public de Terra Incognita. Je dirais que le moyenne des spectateurs de Terra se situe entre 40 et 65 ans. Il y a vraiment très peu de jeunes qui assistent à ces concerts. Il y a bien quelques groupes de jeunes musiciens dans la région mais très peu d’amateurs du même âge. En fait ici le rock progressif n’intéresse pas les jeunes.
Quel(s) a(ont) été le(s) meilleur(s) moment(s) du festival depuis sa naissance ? Les groupes/concerts qui vous ont marqué ?
Immensément difficile de répondre à cette question ! Il y a eu tellement de bons concerts au cours des douze dernières années ! Je pense au concert de Kaipa da Capo, Pineapple Thief , Glass Hammer, R.P.W.L. , IZZ, Il Castello di Atlante, Unreal City… Le concert solo de Matthew Parmenter m’a touché au plus haut point. Il y a aussi eu des « surprises » inattendues comme par exemple un concert improvisé dans l’aire réservée aux groupes et vendeurs avec le guitariste Gadi Caplan et John Galgano de IZZ interprétant des chansons de Pink Floyd, The Beatles…
Quels ont été les artistes à l’affiche cette année ?
En mai dernier nous avons reçu lors de la première journée : Glass Hammer (États-Unis), Edensong (États-Unis) et Universe Effects (Québec). Pour la deuxième nous avons accueilli Höstsonaten (Italie), Comedy of Errors (Écosse) et Il Paradiso degli Orchi (Italie)
Comment voyez-vous l’avenir de votre festival ? Avec optimisme/pessimisme ?
Je ne pense plus en ces termes depuis des années. Je dirais plutôt fatalisme. Une bonne année n’est pas garante du succès de la prochaine édition. Loin de là. A chaque année tout est pour ainsi dire à recommencer. Il n’est pas impossible que la situation du prog s’améliore mais je suis un brin sceptique. Que le situation se dégrade est tout aussi possible. Il ne faut pas avoir trop d’espoir car on risque d’être déçus et de jeter la serviette. L’important pour moi est de réussir à boucler chaque événement avec peu ou pas de perte. C’est l’essentiel. J’ai l’habitude de dire que chaque édition tient du miracle. Il faut beaucoup d’imagination et de persévérance pour mener une édition à terme. Et je ne parle pas uniquement pour moi. Tous les groupes qui participent font aussi des efforts pour que ce petit miracle annuel se produise !
Quel est selon vous le statut de la musique prog’ au Québec, et plus généralement au Canada, par rapport à l’Europe ? Est-ce un genre aussi marginal que sur le Vieux Continent ? Le public non-initié est-il ouvert à ce genre de musique ? Y a-t-il des concerts régulièrement dans votre ville ?
Je ne suis pas familier avec la situation en Europe mais selon ce que les musiciens me racontent lorsqu’ils se produisent chez nous la situation me semble assez similaire. Le prog est un style musical marginal et ignoré des médias. Une musique « underground ». Le prog n’existe pour ainsi dire pas au Canada. Seule une certaine portion de l’Ontario, la Province voisine du Québec, peut accueillir quelques concerts de groupes connus. Il y a quelques groupes prog à Toronto comme par exemple Druckfarben mais on ne peut pas parler véritablement de scène prog. C’est assurément au Québec que le prog est le plus populaire et la place forte demeure la ville de Québec. Mais le public prog est partagé entre ceux qui ne s’intéressent presque uniquement qu’au prog des années 70, c’est une majorité, et ceux qui s’intéressent aussi aux groupes actuels. Les concerts prog à Québec sont donc en partie des spectacles de noms établis comme Steve Hackett, Steven Wilson, Neal Morse ou des noms un peu moins connus comme par exemple IQ ou Haken. Et il y a aussi évidemment les spectacles de groupes hommages à Pink Floyd et Genesis qui fonctionnent toujours.
En France, les festivals de ce genre ont une fréquentation plutôt modeste. Selon vous, peut-il exister au Québec, ou plus généralement au Canada, un grand festival de rock progressif, populaire, qui puisse attirer un public nombreux, à l’image du Night of The Prog en Allemagne ou du Be Prog ! My Friend en Espagne ?
La population du Québec est de 8 millions et une faible portion s’intéresse au prog. Ça me paraît difficile d’imaginer qu’un festival comme Night of The Prog pourrait avoir lieu au Québec. Pour le reste du Canada ce n’est même pas imaginable !