Taennchel – Radiesthésie d’un groupe
Quelque part sur les hauteurs des Vosges, embrumées et arrondies par les siècles, se dresse un sommet discret nommé Taennchel. Mais il ne faut pas se fier à sa modeste hauteur : le lieu recèle des trésors cachés et distille une mystérieuse énergie tellurique. Le groupe alsacien éponyme a sorti récemment Terre lointaine album concept mêlant folk et pop/rock celtique, en hommage à cette montagne fascinante.
Bonjour Taennchel ! La première fois qu’on a eu affaire à vous chez Chromatique (Progressia à l’époque), c’était en 2009 lors d’un concert au Molodoï pour le Cheese Prog Event #2, éphémère festival de prog rock monté par le groupe Camembert. Vous étiez alors sept sur scène, si nos souvenirs sont bons. Depuis, vous avez sorti Terre Lointaine. Que s’est-il passé dans ce laps de temps ? L’idée de ce disque existait-elle déjà alors ? Pouvez-vous nous raconter comment est né ce projet ?
François Koehler : En effet, c’est le premier concert où des morceaux de Taennchel ont été joués. Ce concert nous avait été proposé par nos amis du groupe Camembert avec qui je partage la passion de la musique progressive. Il suit une période de 3 ans de composition et recherche de musiciens. Il existait déjà une notion de scénario, un « fil rouge » entre les morceaux qui consistait alors en une promenade métaphorique le long du sentier initiatique du Taennchel.
Martin Neiss : C’est justement en 2010 que nous nous sommes rencontrés Franz et moi pour la première fois. A l’époque le groupe était à la recherche d’un violoniste et j’en ai entendu parler par une amie musicienne qui m’a mis en relation avec eux, et nous nous sommes vus dans le cadre d’une répétition, pour tester. Le courant est plutôt bien passé, et à en croire Franz ma prestation a été appréciée (rires), mais pour des raisons pratiques un peu diverses, logistiques mais pas que, on en est tout de même resté là. Et c’est deux ans plus tard que nous avons repris contact, le premier line-up n’existait plus à ce moment-là, et à partir de là on s’est mis à remonter progressivement le projet ensemble, jusqu’à l’album que vous connaissez.
Pourquoi avoir choisi comme nom de groupe celui d’une montagne ? D’où vient cet amour pour le Taennchel ?
François Koehler : Le Taennchel est un lieu fascinant. Pour preuve les nombreux livres qui lui sont dédiés ( Taennchel montagne des Dieux », La montagne aux mystères », Taennchel Haut-Koenigsbourg, Frankenbourg, Taennchel, triangle tellurique », etc…). Ses paysages rappellent les images plus connues qu’on se fait de la Forêt de Brocéliande, Carnac, ou même le voisin Mont St Odile. Bien que peu connu, il est très prisé par les randonneurs, les artistes et surtout les radiesthésistes qui y voient un des plus hauts lieux d’énergie en Europe.
Martin Neiss : En fait c’est un lieu à voir avant tout, difficile de se faire une idée avant d’y être au moins allé une fois. Même si l’on n’est pas féru de mythologie ou de radiesthésie, le Taennchel est un lieu assez exceptionnel à explorer pour ses paysages. Depuis que Franz me l’a fait découvrir, j’ai toujours été un peu surpris qu’il soit si peu connu.
Franz, vous êtes à la composition de la plupart des titres. Peut-on appeler Taennchel un groupe au sens habituel du terme ou s’agit-il plutôt d’un collectif réuni autour de vous, qui se retrouve de temps à autres pour répéter ou enregistrer ?
François Koehler : Au départ il s’agissait d’un groupe, mais c’est vrai qu’on se dirige de plus en plus vers la logique du collectif où chacun met un peu de son ressenti et de son expérience par rapport au Taennchel en tant que lieu mais aussi que concept. Après il est difficile de prêcher l’avenir pour le moment puisqu’il sera fait de rencontres et d’idées nouvelles.
Par commodité, on qualifie la musique de Taennchel de folk progressif, bien qu’on devine de nombreuses influences différentes. Quels sont vos principales références musicales, les artistes qui vous ont marqués, inspirés ?
François Koehler : La musique de Taennchel est inspirée par de multiples courants. A la base l’idée était de créer un opéra rock, inspiré par des groupes tels que Dream Theater, Iron Maiden, Nightwish, Therion, Magma, Pink Floyd, King Crimson, The Who. Puis la thématique et l’envie d’expérimentation ont poussé cette musique vers une instrumentation acoustique. Les mêmes morceaux révélèrent naturellement des sonorités folk, celtiques, médiévales, sans que ce soit recherché. Plus tard, diverses influences se sont ajoutées : le folk progressif de Jethro Tull, le folk hypnotique de Loreena McKennitt, le folk inspiré de Damh The Bard, les albums acoustiques de Blind Guardian, des emprunts aux sonorités latines.
Martin Neiss : L’idée du « folk progressif », c’est un peu une façon de réconcilier tradition et modernité. On privilégie le unplugged avec des instruments classiques » (orientaux et occidentaux) mais dans une structure et un concept plutôt hérités du rock, et notamment du rock prog. Damh The Bard est assez proche de l’esprit qu’on veut donner à Taennchel à mon avis, mais en ce qui me concerne je peux rajouter aussi des influences éparses comme King Crimson, Anekdoten, The Moon and the Nightspirit, Caprice, pour ne citer qu’eux ; je suis pas mal inspiré par la scène neoprog et post-prog actuelle, notamment tout ce qui va explorer des racines folk, world ou classiques. Je pense que c’est surtout cette philosophie de ne pas se limiter aux codes d’un genre et d’allier des influences librement qui fait le versant « progressif » de notre démarche.
Terre lointaine privilégie les instruments acoustiques, comme le violon et la flûte. Par ailleurs, aucun clavier n’est utilisé. Le chant et en particulier les voix féminines occupent également une place très importante dans votre musique. Est-ce une volonté de votre part ou simplement le fruit du hasard ?
François Koehler : Le synthétiseur n’aurait aucune place dans la musique de Taennchel. La démarche de l’instrumentation acoustique suit la logique de créer une musique qui inspire la connexion à la nature. J’ai toujours voulu que la musique de Taennchel puisse se jouer sans électricité. Le chant occupe une place très importante dans l’album Terre lointaine, parce qu’il s’agit d’un opéra folk, dont on suit le scénario à travers la vision de personnages incarnés par les chanteuses et chanteurs. Cette musique a toujours été plus prisée par les chanteuses que par les chanteurs ce qui explique la prépondérance des voix féminines. Martin, co-compositeur de cet opéra folk, et moi sommes très heureux des collaborations que nous avons pu faire avec tous les vocalistes et instrumentistes apparaissant sur Terre lointaine.
Martin Neiss : Tout à fait. En fait nous nous sommes vite rendus compte que Taennchel est un projet pas toujours très simple à aborder compte tenu de la multiplicité des influences qu’il rassemble. On nous a déjà fait remarquer l’absence de claviers, voire de guitares avec disto, mais ça ne ferait pas sens dans la ligne musicale que nous nous sommes choisie. D’ailleurs, on a parfois des désaccords sur tel arrangement ou telle instrumentation, du fait de ces influences diverses qu’on ne partage pas toujours… mais il nous arrive d’être d’accord, quand même (rires).
Terre lointaine s’apparente assez à un concept-album. Pouvez-vous développer un peu les thématiques abordées ?
François Koehler : Il se divise en 2 parties. Le début est une expérience métaphorique directe du lieu et de son atmosphère sur le plan du ressenti. Puis sur invitation de la voix de Marc Schultz, ex-garde forestier du Taennchel en réalité, et d’ailleurs auteur d’un livre sur le sujet, on bascule dans la légende. A partir de ce moment, on suit une intrigue inspirée par l’univers d’une légende emblématique du lieu : la légende de l’Anneau. Ce fut un travail très intéressant, puisqu’en unissant les connaissances et les expériences des compositeurs, du garde-forestier et de l’illustratrice, nous sommes arrivés à décrypter cette légende et à y trouver une assise dans l’Histoire européenne connue. L’intérêt de ce récit repose aussi dans le fait qu’il rappelle par moments les enjeux et problématiques de la situation du monde tel que nous le vivons actuellement. En fait, une des thématiques sous-jacente de cette partie de l’album est la place de l’individu par rapport à son environnement dans un monde en changement. Les légendes, les mémoires nous donnent des clés.
Martin Neiss : Il y a beaucoup d’inspirations de type odysséennes ou similaires dans le « fil rouge » de Terre Lointaine si on peut dire, l’idée d’un voyage initiatique qui nous amènerait métaphoriquement à en apprendre plus sur nous-mêmes et à dépasser les carcans et schémas dans lesquels nous avons fini par nous enfermer. La « Terre Lointaine », c’est un peu une sorte de Graal, une allégorie pour une nouvelle sagesse du monde et de nous-mêmes à laquelle nous devrions nous efforcer d’accéder.
Actuellement, produire un disque comme celui de Taennchel ne doit pas être chose facile. Avez-vous recherché un label ou privilégié dès le départ l’autoproduction et un financement via Ulule ?
Martin Neiss : Produire un album concept en guise de premier disque surtout n’est pas simple, c’est le genre de projet qui demande un crédit préalable auprès d’un label, quel qu’il soit, d’où l’idée pour nous de favoriser la proximité et de faire appel au public, qui a merveilleusement répondu présent.
Comment assurez-vous la distribution et la promotion de votre album ?
Martin Neiss : C’est nous qui prenons entièrement en charge la promotion, tout comme pour la production : c’est aussi le prix de cette « indépendance » qu’offre l’autoproduction, mais bien sûr nous voulons viser au-delà de ce que nos propres moyens permettent. L’intérêt de s’autoproduire est surtout de pouvoir conserver toute latitude sur la direction artistique, mais promouvoir et distribuer son travail, c’est une autre paire de manches.
Cela ne doit pas être chose facile non plus de réunir tout ce beau monde pour se produire sur scène. Avez-vous malgré tout des projets de concert ?
Martin Neiss : Les concerts, c’est quelque chose qui est beaucoup revenu dans les questions qui nous ont été posées lors du lancement de Terre Lointaine. C’était grisant de sentir chez le public ce vrai désir de voir l’album performé sur scène, y compris chez ceux qui n’avaient pas connu la précédente formule du groupe. C’est aussi ce qui nous conforte par rapport à cette suite possible du projet : on sait que les amateurs de Taennchel seront au rendez-vous si nous nous orientons de nouveau vers la scène.
En dehors de Taennchel, certains d’entre vous travaillent-ils dans la musique ou jouent-ils dans d’autres groupes ?
François Koehler : Pour ma part, je joue de la contrebasse dans Jungle Revival, un tribute band de Creedence Clearwater, avec entre autres Natali Zlatanovic, chanteuse et infographiste sur le projet Taennchel. Je fais également partie du trio acoustique No Stairway, avec la chanteuse Marion Grzegrzulka qui interprète le rôle féminin principale de Terre lointaine. Martin et moi avons créé il y quelques années un duo acoustique Lugnasadh autour de morceaux traditionnels médiévaux, celtiques et de reprises de Damh The Bard.
Martin Neiss : C’était un side project un peu préexistant à la reprise du projet Taennchel, en standby pour l’instant, mais susceptible de reprendre, sait-on jamais… En ce qui me concerne, je suis plus tourné vers la compo que vers la scène en ce moment, dans un registre un peu soundtracky le plus souvent dans le cadre de musiques d’ambiance pour des commandes ou des collaborations, mais aussi dans les influences que nous affectionnons Franz et moi, notamment le rock prog. J’ai d’ailleurs participé au deuxième album du groupe de rock progressif Jardin Mécanique, originaire du Québec et aussi très versé dans l’alliance entre musicalité et théâtralité ; l’un de ses membres d’ailleurs est venu poser sa voix sur Terre Lointaine, dans le morceau-titre.
Quels sont vos projets immédiats pour le groupe ? Envisagez-vous la réalisation d’un second album dans le futur ou cela est-il encore prématuré d’en parler ?
François Koehler : Actuellement, nous sommes encore pris par la diffusion de l’album. Nous avons plusieurs pistes de progression, mais il est effectivement trop tôt pour en parler plus en détail.
Martin Neiss : Je suis assez d’accord, la phase post-release dans laquelle nous sommes encore signifie non seulement qu’il faut promouvoir l’album, mais revenir aussi à des contraintes plus terre-à-terre que nous avons chacun ajournées pour pouvoir nous consacrer entièrement à la production l’année passée. Grâce au soutien inestimable de notre public, nous avons réussi à produire le fruit d’une dizaine d’années de fragments et de tentatives… je pense qu’il va nous falloir encore un peu digérer cette réussite avant d’arrêter une décision pour la prochaine étape, même si nous y réfléchissons activement.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Martin Neiss : Merci de nous avoir lus, j’espère que cela vous donnera envie de découvrir Terre lointaine et que vous apprécierez ce petit voyage en musique. Et à l’attention de tous ceux qui nous ont soutenus dans la réalisation de ce projet, un grand merci encore et à très bientôt pour la suite !