– Prog en Beauce
Il existe à travers l’Europe une multitude de festivals, petits et grands, dédiés aux musiques dites progressives. Parmi les poids lourds, on trouve le désormais célèbre Night of The Prog qui connaîtra sa douzième édition en 2017 dans son bel écrin, sur les hauteurs du Rhin, en Allemagne, et le plus jeune mais non moins populaire Be Prog ! My Friend à Barcelone. Ces deux événements se veulent fédérateurs et proposent des têtes d’affiche attrayantes, soutenues par des groupes assez variés mais pas trop décourageants, ce qui explique probablement leur succès. A côté de cela, on trouve une myriade d’autres festivals, beaucoup plus modestes, parfois plus spécialisés – notre genre favori a beau être confidentiel, il a ses chapelles – et aux fortunes diverses. La France est ainsi passée maîtresse dans l’art de proposer ces petites rencontres pour initiés. Si notre pays dispose depuis quelques années maintenant de deux événements devenus incontournables (Le festival Crescendo, gratuit, il faut le rappeler, et le RIO Fest, destiné à la frange la plus barrée du genre) il regorge aussi de nombreuses initiatives locales plus modestes, quadrillant une bonne partie de l’Hexagone. Parmi eux, citons Le péage du Rock, le festival Quadrifonic, Prog en Beauce, Rock au château, et le Prog Sud. N’oublions pas la Belgique et le festival annuel du magazine belge Prog’Resiste, et celui du magazine québécois Terra Incognita.
Ce dossier tente de proposer un état des lieux de ces festivals. Dans l’ensemble, les mêmes questions ont été posées à tous les interlocuteurs qui se sont prêtés au jeu. Le premier festival à avoir répondu à notre sollicitation est Prog en Beauce. C’est donc à Jean-Michel que nous laissons l’honneur d’ouvrir ce tour d’horizon qui nous emmènera (presque) aux quatre coins de la France.
Bonjour Jean-Michel. Quelles sont les origines du votre festival ? Qu’est-ce qui a présidé à sa création ?
Le festival Prog en Beauce est né d’une rencontre à un moment où l’envie de produire Lazuli en concert dans notre région (l’Eure et Loir) nous obsédait depuis quelques temps déjà. Nous, Monique et Jean-Michel, avons rencontré Weend’Ô, à l’occasion d’un concert privé de Clive Nolan chez nos amis Agnès et Thomas. C’est lors de cette rencontre que Laetitia (chanteuse de Weend’Ô) nous a déclaré que le groupe possédait son propre matériel et pouvait assurer la sono d’un concert. L’idée d’organiser un concert de Lazuli avec Weend’ô en première partie a pris vie dans notre esprit. Elle s’est transformée en festival quand Agnès et Thomas ont souhaité se joindre à nous pour l’organisation vu qu’ils venaient de se frotter à ce genre d’exercice avec Clive Nolan et motivés par la participation de leurs amis de Weend’ô. Étant proche de The Morganatics, groupe avec lequel ils entretenaient des liens privilégiés, ils ont voulu les emmener avec eux dans cette folie naissante. De notre côté, nous n’envisagions pas d’organiser un premier événement sans nos amis de Nemo.
Le nom de Prog en Beauce entériné, il ne restait plus qu’à organiser ce festival dont nous n’avions aucune idée du succès qu’il rencontrerait et donc de la pérennité.
Quelles sont les caractéristiques principales de votre festival (implantation, nombre d’éditions à ce jour, choix de programmation, fréquentation…) ?
La quatrième édition de notre festival a eu lieu le 29 octobre dernier. Il est implanté en Eure et Loir : Nogent le Roi pour la première édition et Villemeux sur Eure pour les trois suivantes. Nous programmons quatre groupes dans la salle et, pour les deux dernières éditions, nous offrons une scène annexe à un groupe local qui joue pendant les changements de plateau.
Le choix de la programmation est celui de l’équipe organisatrice, qui est donc formée des deux couples Agnès/Thomas et Monique/Jean-Michel.
Nous essayons de privilégier les groupes français qui manquent selon nous de visibilité en France.
Qui sont les acteurs-clés de votre festival ? Comment est-il financé ?
Nous, les quatre créateurs, prenons en charge toute l’organisation du festival : réservation de la salle, contact avec les groupes retenus, réservation des hébergements, organisation de la restauration des groupes et de nos aides bénévoles, réservation des moyens techniques, choix des produits dérivés (t-shirts, mugs), organisation d’un bar et d’une petite restauration, billetterie, …
Pour l’installation de la salle, la tenue des stands, le contrôle à l’entrée, le bar, le service en cuisine pour les groupes et bien d’autres tâches, nous sommes épaulés par une équipe d’une bonne vingtaine de bénévoles qui sont aussi des amis fidèles. Nous n’avons à ce jour bénéficié d’aucune aide en nature, d’aucun sponsoring et d’aucune subvention. Nos seules aides financières sont les dons privés émanant de nos fervents supporters. Nous avons aussi le soutien gracieux des magazines Koid’9 et Big Bang et de la radio en ligne Morow, sous forme d’annonce dans leurs supports respectifs.
Le cas échéant, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez (ou avez rencontré) dans l’organisation de votre festival ?
Nous n’avons pas rencontré de réelles difficultés dans l’organisation des quatre premières éditions, des craintes, des doutes, nous en avons eus, mais le seul point que nous ne maîtrisons malheureusement pas, c’est la fréquentation. Les deux premières éditions ont été sold-out bien avant la date du festival, mais les deux dernières manquaient un peu de public. De plus, la difficulté de trouver des subventions pour une manifestation de moins de deux jours nous prive de potentielles subventions publiques ou SACEM.
Comment définiriez-vous votre public ? S’agit-il de locaux, de gens de toute la France ? Des initiés, des curieux ?
Notre public est majoritairement constitué d’initiés, français de toutes les régions, même des plus éloignées, mais aussi étrangers (surtout lors de la deuxième édition) au-delà des habituels Belges et Suisses. Par contre, nous touchons très peu le public local.
Dans le reportage diffusé récemment sur Arte, l’organisateur du Night of the Prog avoue que son public est constitué principalement de quadragénaires et de quinquagénaires, d’un milieu plutôt aisé. Partagez-vous cette analyse concernant votre propre festival ? Quelle tranche d’âge y est la plus représentée ? Pensez-vous qu’il existe un public plus jeune pour ce type de musique ?
Il est évident qu’une grande partie de notre public se situe dans la tranche d’âge quarante-soixante ans, ce qui est habituel dans les festivals et concert de rock progressif. Les moins de trente ans ne sont pas totalement absents de nos festivals, mais ce sont souvent les enfants des précédents et le rock progressif est rarement leur principal centre d’intérêt. La dispersion géographique des trop rares festivals de ce genre nécessite un budget conséquent pour le spectateur désireux d’assister à plusieurs d’entre eux.
Quel(s) a(ont) été le(s) meilleur(s) moment(s) du festival depuis sa naissance ? Les groupes/concerts qui vous ont marqués ?
Difficile de mettre en avant un moment, il y en a eu tant de merveilleux … nous avons fait tellement de belles rencontres, avant, pendant et après les concerts … et tous les groupes nous ont offert de grands moments. Avec le recul, on se rend compte qu’il faut quand même être un peu dingo pour se lancer dans ce genre d’aventure.
La prochaine édition de votre festival est-elle déjà planifiée ? Des artistes sont-ils d’ores et déjà à l’affiche ?
La cinquième édition est déjà planifiée et l’affiche est complète. Nous avions décidé que, quel que soit le résultat financier de l’édition IV, nous ferions une cinquième édition, parce que cinq ans ça se fête et qu’il n’était pas admissible de rester sur un échec. Ce sera une édition vraiment spéciale, puisque nous changeons de salle (pour offrir plus de places) et nous passons à deux jours de concert avec sept groupes qui ont participé au succès des précédentes éditions : Weend’ô, Harvest, JPL, Gens De La Lune, Clepsydra, Franck Carducci et Lazuli.
Comment voyez-vous l’avenir de votre festival ? Avec optimisme/pessimisme ?
L’avenir proche, l’année prochaine, étant déjà planifié, nous sommes plutôt optimistes, mais à plus long terme, il est difficile de ne pas avoir quelques craintes. Nous fréquentons la plupart des organisateurs de festivals de prog en France et nous ne pouvons que constater que nous avons tous les mêmes craintes devant le manque de mobilisation du public et les difficultés croissantes pour trouver des subventions ou des aides locales.
Selon vous, peut-il exister dans les pays francophones, un grand festival de rock progressif, populaire, qui puisse attirer un public nombreux, à l’image du Night of The Prog en Allemagne ou du Be Prog ! My Friend en Espagne ?
De notre point de vue d’organisateurs, cela nous semble peu probable de pouvoir créer en France un festival de l’envergure de NotP. Le public français ne répond déjà pas suffisamment présent sur les concerts de prog dans les petites structures, contrairement au public allemand. Le public français n’est peut-être pas assez ouvert à la découverte. Quand on a assisté aux succès de Lazuli et de Gens de la Lune à la Lorelei, on ne peut que regretter de ne pas avoir chez nous un public aussi accueillant et réactif, prêt à plébisciter un groupe presque inconnu.
Un dernier mot ?
Les festivals et les concerts de rock progressif ne peuvent exister que si le public répond présent. Nous sommes trop peu nombreux, nous les fans de prog, et si chacun ne se sent pas un peu une âme de mécène – car c’est une sorte de mécénat que d’assister aux concerts – le spectacle mourra.