Electric Electric

24/10/2016

Molodoï - Strasbourg

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe : http://muraillesmusic.com/artistes/electric-electric/

Qu’on le veuille ou non, les nuits de pleine lune éveillent toujours chez l’Homme des comportements anormaux. Ces moments sont propices au mysticisme, aux esprits, aux transes et font sortir de leur tanière des êtres habituellement confinés dans l’obscurité. Ce samedi 15 octobre 2016, la salle du Molodoï à Strasbourg fut le théâtre de l’une de ces manifestations collectives où d’étranges troubadours de l’extrême ont offert à un public envoûté des instants d’une rare intensité. Organisée par l’association Radical Câlin, cette orgie sonore a connu quelques sommets de bravoure tonitruante.

Pourtant, la foule ne se bouscule pas devant la scène lorsque les Haut-Rhinois de KG entament la lourde tâche d’ouvrir le bal. Avec plusieurs albums au compteur, ils sont loin de débuter, mais on comprend qu’il n’est pas aisé pour un groupe qui se définit lui-même comme « schuh »-gaze de chauffer une salle avide de décibels. Sonoriser convenablement trois guitares et trois claviers (sans compter la basse et le batterie) ne doit pas être chose évidente, et toutes les subtilités de la musique ne sont par conséquent pas toujours discernables. Néanmoins, le public se fait plus nombreux au fur et à mesure de l’avancée du concert. Un tempo souvent binaire accompagne cette configuration atypique où la marque de la fin des années quatre-vingts/ début des années quatre-vingt-dix revient régulièrement. La voix du chanteur, qui s’exprime tantôt en français tantôt en allemand est quelque peu noyée sous ce tapis sonore, mais la prestation trouve un écho favorable chez une partie des spectateurs.

Le temps de refaire le plein de carburant – bière locale et vin naturel, encore une belle initiative – et voici déjà ceux qui vont constituer le choc de la soirée. Ils s’appellent Partout Partout, un duo guitare-batterie et projet parallèle de membres de 100% Chevalier et de Pauwels. Le groupe s’installe au milieu de la fosse, entouré d’un public plus curieux que réellement au courant de ce qui va se passer. Puis la machine de guerre se met en route. Math rock extrême, rouleau compresseur rythmique, orage de syncopes, tous les qualificatifs sont insuffisants pour décrire le maelström qui se déploie sous les yeux et dans les oreilles. Dans l’œil du cyclone, le batteur et le guitariste alignent un set court, dense, hypnotique, et entraînent avec eux une foule à la fois désorientée et survoltée. Le concert s’arrête aussi brusquement qu’il a commencé, sous une ovation bien méritée. Voici un binôme qui va sans le moindre doute possible faire parler de lui, et très prochainement, puisqu’on le retrouvera fin octobre à l’affiche du festival du label indépendant October Tone dans cette même salle, et le 10 novembre à Jazzdor, en compagnie de Electric Vocuhila.

Attendus au tournant, le trio Electric Electric n’a pas déçu l’assemblée. Sous une lumière des plus chiches, diffusée par des rampes de spots clignotants, le groupe vient présenter III, nouvel album qui repousse encore un peu les limites de leur noise rock mâtiné d’electro. Boucles minimalistes, tapis roulant polyrythmique, c’est une tempête quasiment ininterrompue qui déferle sur scène et se propage dans la fosse. Animé d’une frénésie incontrôlable, Eric Bentz fait corps avec sa guitare et semble évoluer à l’intérieur d’une bulle, même lorsqu’il prend le micro. Tout aussi expressif, trônant au milieu de ses camarades de jeu, tel le phare pendant le coup de tabac, Vincent Redel assure une impressionnante assise rythmique qui, si elle est visuellement moins démonstrative que celle de Partout Partout, reste d’une redoutable précision. Quant à Vincent Robert, maître de l’électronique mais aussi homme à tout faire, il semble être le seul élément ancré dans la réalité, œuvrant au four et au moulin, au micro, sur son synthé ou aux percussions. Le trio offre un « concert » détonnant (les guillemets sont de rigueur, tant on est loin d’une succession de chansons entrecoupée de « Merci Strasbourg ! »), qui demande beaucoup de la part des spectateurs, a minima une immersion totale. Pari tenu, si on se réfère à leur réaction enthousiaste.

Après le cataclysme, il fallait bien un DJ pour calmer tout ça. C’est Amy Binouze qui s’en charge, le temps que se remettent et se dispersent les nombreux jeunes gens (et quelques moins jeunes) ayant fait le déplacement. On ne peut que les féliciter, tout comme les organisateurs, d’avoir permis la tenue d’un événement qui, à première vue, n’était pas calibré pour attirer les foules. Qu’il est bon de faire mentir les prédictions !