Höstsonaten - Symphony # 1: Cupid & Psyche
Sorti le: 20/06/2016
Par Jean-Philippe Haas
Label: AMS Records
Site: https://hostsonaten.com
Dans le monde du prog plus qu’ailleurs, il y a des Stakhanov à tous les coins de rue. Des musiciens qui n’arrêtent jamais de composer, d’enregistrer, de jouer, de produire, comme si leur vie dépendait de leur injection quotidienne de gammes chromatiques. Fabio Zuffanti est le représentant italien de ce club de musicomanes acharnés. En effet, avec entre autres un album solo en 2014 (La Quarta Vittima), le projet La Curva Di Lesmo en 2015 – tous deux d’excellente facture – et aujourd’hui la suite des aventures de Höstsonaten, on ne peut pas vraiment dire qu’il se la coule douce, le Fabio. Depuis une vingtaine d’années, le groupe produit de bons, voire d’excellents disques, comme The Rime of The Ancient Mariner – Chapter One en 2012, une bien agréable variation sur le poème de Samuel Coleridge. Cupid & Psyche ne déshonore pas la tradition. L’homme-orchestre italien puise à nouveau dans la littérature, antique cette fois-ci, en s’inspirant d’un conte oral popularisé par Apulée dans ses Métamorphoses. Une histoire d’amour qui, pour une fois, ne se finit pas tragiquement.
Soyons honnêtes : quand il s’agit de se farcir du rock dit « symphonique », plus souvent qu’afficher un enthousiasme débordant on a tendance à se rappeler soudainement d’un rendez-vous chez le dentiste, lorsqu’on n’est pas pris d’une envie irrépressible de classer des timbres. C’est qu’on entend à l’avance les violonnades cheap au synthé, les arrangements dignes d’un boulard des années quatre-vingt ou la grandiloquence d’une musique de supermarché… Des camions entiers d’artistes s’y sont essayés – et la mauvaise réputation du prog’ n’est pas étrangère à ce phénomène – mais peu d’entre eux ont réussi à se montrer convaincants, sans même parler de ceux qui ont laissé derrière eux une œuvre mémorable. After Crying, peut-être ? Car la moindre des choses, quand on se permet de placer le mot « Symphony » dans le titre, c’est d’utiliser de vrais instruments et d’éviter au possible le recours aux pis-aller synthétiques. Zuffanti a mis les petits plats dans les grands en convoquant un quatuor à cordes, un autre de cuivres et un trio de bois. Tout ce beau monde joue en compagnie d’une typique formation de prog’, avec son pack Hammond/Mellotron/Minimoog, fourni par Luca Scherani, qui de plus assure les arrangements et les orchestrations.
Et cette « symphonie » en a sous le capot, c’est le moins qu’on puisse dire. Son compositeur ne fait pas dans le somnolent ou les plages aériennes de remplissage. La cavalcade de l’introduction « The Sacrifice » annonce clairement la couleur. Avec Zuffanti à la basse et Paolo Tixi (Il Tempio Delle Clessidre) à la batterie, on a droit à quelques passages bien rythmés. Il ne s’agit pas pour autant de quarante-trois minutes de charge ininterrompue, car si les cuivres appuient souvent la puissance de l’ensemble, les bois, complices en cela des cordes et de leur caractère émotionnel, prônent l’apaisement ou la légèreté (« Love Scene », « Entrapped (2nd Trial) »). Pas de méprise, toutefois : on n’est que très rarement dans le classique pur et dur. Avec « Sheep and Water (3rd Trial) », on se croirait même presque en compagnie d’un big band de jazz des années soixante dix. On trouve aussi quelques solos de guitare électrique, histoire de faire bonne mesure face à l’attirail acoustique, et des incursions néo-progressives, assez rares néanmoins : envolées de claviers (« Zephyr », « The Awakening ») et, forcément, final emphatique.
Malgré quelques concessions presque « obligatoires », cette belle œuvre instrumentale slalome avec aisance entre les chausse-trappes qui sabotent si souvent de bonnes intentions de départ : les interminables longueurs (qui a dit The Astonishing ?), le pompiérisme outrancier (qui a dit The Astonishing ?) associé à des sons qui sentent la naphtaline, sans parler des visuels qui piquent les yeux (qui a dit The Astonishing ?) et les concepts fumeux (qui a dit The Astonishing ?). Cupid & Psyche, c’est trois quarts d’heure d’un croisement réussi entre prog’ et classique, et c’est tout.