The Pineapple Thief – Entretiens
(sur des questions de Thierry de Haro)
Après une première escapade en solitaire, Bruce Soord reprend le flambeau de The Pineapple Thief avec Your Wilderness, aux ambiances plus rock, dans la lignée de Little Man. De passage à Paris quelques semaines avant la sortie officielle, Bruce et Steve Kitch, le clavier du groupe, nous donnaient ainsi l’occasion d’en savoir un peu plus sur cet album … et bien plus encore !
Bonjour. Nous sommes très heureux d’être avec vous ce soir car on ne vous voit pas beaucoup en France. En effet, en 17 ans d’existence, The Pineapple Thief est venu pour la première fois en 2012 et depuis, vous n’avez eu que 8 dates. Pourquoi cette rareté sur notre territoire, alors que vous avez un potentiel public intéressant ?
Bruce : Ce n’est jamais facile pour un groupe de planifier des concerts dans des pays où il ne s’est jamais produit. En effet, la première chose que demande un promoteur c’est : « combien de personnes sont déjà venues vous voir ? ». Les premières dates étaient difficiles à obtenir mais, puisque nous sommes déjà venus, nous pourrons revenir encore plus souvent en France.
Vous étiez venus en 2015 en France pour un concert à Villemeux-sur-Eure ? Comment ce concert s’est-il déroulé ? Pensez-vous y revenir ?
Bruce : C’était superbe. A mesure que nous roulions vers cet endroit, nous nous sommes plusieurs fois demandés « Où sommes-nous ? » (rires). C’était vraiment la campagne. Mais l’endroit était très beau et la passion des habitants pour la musique m’a aussi beaucoup marqué.
Bien sûr, si autant de personnes sont venues nous voir, nous pourrions envisager d’y revenir !
Avec Your Wilderness, vous revenez à des compos plus rock, plus roots dans le répertoire The Pineapple Thief (cf. Little Man). Es-tu d’accord avec cela ?
Bruce : Oui, c’est vrai. Nous avons effectivement incorporé moins d’éléments symphoniques dans cet album contrairement à Magnolia, mais il s’agissait d’une décision consciente de notre part.
Selon toi, comment cet album se démarque de vos anciennes productions ?
Bruce : D’abord, il s’agit d’un album beaucoup plus collaboratif. J’ai délibérément partagé les chansons avec les autres membres du groupe dès le début contrairement aux anciens albums où les chansons se situaient déjà dans une phase de production.
Jon, Steve et moi avons donc contribué pour l’essentiel même si Gavin Harrison a beaucoup apporté également. C’était d’ailleurs le plus grand changement : c’était la première fois que la batterie jouait un rôle aussi important dans la conception des chansons.
Avais-tu une idée précise de ce à quoi l’album ressemblerait ?
Bruce : Non, nous nous y sommes pris de manière très relax. Dès le début, je me fichais de là où nous irions avec cet album, s’il plairait ou pas. Evidemment, nous souhaitions qu’il plaise mais si cela avait été le contraire, nous nous y serions fait. Nous nous sommes délibérément mis dans cet état d’esprit dès le début puis, avec une bonne dose de chance et d’esprit critique, le résultat s’est avéré très bon. Tout s’est bien goupillé avec Gavin Harrison, c’était parfait.
Nous sentons effectivement la patte de Gavin Harrison, c’est pour cela que nous tenions à te demander si le résultat est effectivement différent de ce que tu imaginais.
Bruce : Oui, en effet. Quand nous avions commencé à composer, nous n’imaginions pas que Gavin Harrison allait être le batteur sur cet album. Quand le label nous a suggéré Gavin, nous étions très hésitants étant données les nombreuses comparaisons qui ont pu être faites par le passé entre Porcupine Tree et The Pineapple Thief. Puis, après mûre réflexion, nous en avons déduit que Gavin était effectivement le meilleur batteur pour jouer sur ce nouvel album. Aujourd’hui, nous n’avons pas reçu la moindre critique négative par rapport à la présence de Gavin. C’était donc la bonne décision.
Nous ressentons que cet album est à la fois plus orienté rock, plus jovial tout en intégrant des guests de haute facture. Incontestablement, cet album a le potentiel d’élargir votre fan base grâce, notamment, à des chansons telles que« Take your Shot ». Serait-ce votre opus le moins personnel (contrairement à Magnolia qui était beaucoup plus intime) ?
Bruce : Effectivement,« Take your Shot »; est une pure chanson rock même si le refrain a ses propres particularités. Si tu écoutes le reste du morceau, ça ressemble à du rock traditionnel. Je me souviens même avoir demandé aux autres si ce n’était pas un peu trop direct.
Il pourrait s’agir effectivement d’un de nos albums les moins personnels. Même s’il se démarque par son énergie et ses mélodies « joviales », les paroles restent néanmoins mélancoliques. Cela reste un album conceptuellement personnel puisqu’il aborde des aspects de ma vie tels que mon évolution en tant que père. La pochette représentant une mère et son enfant regardant au loin induit justement le thème de l’album : la vie d’un enfant qui grandit. Des pièces telles que « No Man’s Land », évoquant la solitude d’un enfant, ou « That Shore » évoquant une fugue sont toutes basées sur mes propres sentiments, sur ce qui pourrait m’arriver en tant que père.
Est-ce que ta carrière solo a changé ta façon d’aborder la musique de The Pineapple Thief ?
Bruce : Oui, totalement. J’étais initialement tiraillé entre la volonté d’écrire des chansons pour moi et d’autres plus progressives pour le groupe. Le projet solo donne désormais la possibilité de réaliser ces deux choses. Il se pourrait que The Pineapple Thief devienne encore plus progressif à l’avenir pour encore bien différencier ces deux projets.
Comment avez-vous procédé à l’écriture des morceaux ? Êtes-vous partis d’un concept, d’une idée générale ou de compos que vous avez arrangées au fur et à mesure ?
Bruce : Oui, je souhaitais partir d’une idée générale à savoir la relation parent-enfant. Cela devait rester une trame tout en étant un concept émotionnel flexible. Pour ce qui est du processus d’écriture des chansons, celui-ci est resté très similaire à celui des anciens albums. J’ai utilisé une guitare acoustique pour créer les premières chansons mais il s’agissait cette fois-ci d’une guitare baryton qui m’avait été offerte lors la tournée acoustique avec Katatonia. Les particularités de cet instrument, sa tessiture grave en particulier, m’ont permis d’intégrer des idées nouvelles dans l’écriture des chansons. Les autres membres du groupe étaient également beaucoup plus impliqués sur cet album. Aussi, Gavin a contribué pour quelques chansons que je ne parvenais pas à finaliser en créant des parties de batterie qu’il m’avait envoyées. Nous avons ensuite ajouté le reste des instruments par-dessus. Ces chansons possèdent des parties centrales très harmoniques. La créativité de Gavin a donc été très positive durant le processus de composition.
As-tu eu envie de t’éloigner de cette mouvance pop symphonique présente sur certaines de tes productions afin de te rapprocher de quelque chose de plus roots ? Pourquoi cette évolution ?
(Steve nous rejoint).
Bruce : Nous voulions réaliser quelque chose de différent après Magnolia qui était très prog, notamment par l’apport de l’orchestre de Londres. Aussi, nous voulions davantage sonner comme un groupe de quatre instrumentistes. Bien sûr, il subsiste sur ce dernier album des cordes et des claviers mais ce n’est pas aussi symphonique. C’était une évolution naturelle même si nous n’excluons pas de revenir à ces sonorités. Et puis, tout n’est jamais prévu à l’avance. Nous écrivons les chansons naturellement puis nous nous demandons, in fine, ce qui serait le mieux pour chaque pièce.
Your Wilderness est le 1er album de The Pineapple Thief où des guests ont participé. Comment John Helliwell (de Supertramp) est arrivé sur l’album ? Comment l’a-t-il perçu et de manière plus générale, connaissait-il ton travail sur les années antérieures ?
Bruce : Non, (rires) John Helliwell a participé à surtout parce que je suis un énorme fan. Nous avions besoin de nouvelles personnes avec qui jouer et j’ai immédiatement pensé à envoyer un e-mail à John Helliwell. Il est revenu vers nous et nous a proposé d’organiser une session de jam. C’était une superbe expérience et un rêve d’enfant qui se réalisait, c’était un de nos héros.
Une question sur la pochette qui rappelle la pochette Wild Opera (réédition) de No-Man : paysages ‘américains’, grosse bagnole d’époque et personnes donnant dos à la pochette pour observer le paysage …: peux-tu nous expliquer ce choix ? Fait-il référence à quelque chose en particulier ?
Bruce :Non, ce n’était pas du tout une référence ! Carl Glover nous a envoyé cette pochette qui correspondait à ce que nous recherchions, nous la trouvions géniale. Nous l’avons ensuite mise en ligne et un fan nous a fait remarquer la chose suivante : « J’adore la pochette mais on dirait No-Man ! ». Malheureusement, tout était déjà bouclé et il était impossible de revenir dessus. J’ai tout de même contacté Steven et Tim de No-Man pour m’en excuser mais ils ont été très cools là-dessus : « Il y aura toujours quelques personnes pour remarquer ce genre de détails » m’ont-ils dit. Mais si nous avions remarqué plus tôt ces similitudes, nous aurions envisagé une autre option pour la pochette.
Le mois prochain, vous jouerez à « Be My Prog ! » à Barcelone. La set-list sera-t-elle essentiellement axée sur le dernier album et Gavin Harrison fera-t-il parti du show ?
Bruce :Non, car nous ne pouvons pas jouer le nouvel album sans Gavin ; son style est inimitable. La première fois que nous avions fait écouter l’album, les personnes reconnurent immédiatement sa façon de jouer. Nous ne pouvions donc envisager de jouer avec un autre batteur en concert.
As-tu prévu une tournée en France et quand ? As-tu connaissance des villes potentielles ?
Bruce : Nous jouerons à Paris. Pour le reste cela dépendra des promoteurs. Je pense que nous déciderons surtout en fonction de l’accueil de l’album.
Je reviens sur l’album solo : pourquoi avoir attendu 16 ans pour sortir ce premier album solo ?
Bruce :D’une part, il y avait une incertitude sur ce que je comptais faire musicalement avec The Pineapple Thief. D’autre part, c’était aussi dû à ma voix. Celle-ci a beaucoup évolué au fil des ans, pas au point d’être virtuose mais suffisamment pour réaliser des choses plus techniques. Ces deux éléments conjugués m’ont poussé à composer cet album solo.
Lors de la sortie de Magnolia, tu parlais d’un album assez intime. Ensuite, tu as sorti ton album solo qui est aussi très personnel. Quelle différence fais-tu entre ces deux approches?
Bruce : C’est justement la raison pour laquelle je tenais à séparer ces deux entités que sont The Pineapple Thief et ma carrière solo. The Pineapple Thief devait avoir sa propre identité plutôt que d’incarner la mienne.
Steve : Aussi, Bruce composait toutes les chansons les premières années du groupe. Il était donc important d’évoluer dans cette direction.
Il y a 2 ans, tu envisageais une possible suite à ta collaboration avec Jonas Renske sur le projet Wisdom of Crowds. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bruce : Cela va dépendre de la volonté de Jonas d’en faire un autre. Aujourd’hui, il est très occupé avec Katatonia, surtout en ce moment avec la sortie de leur dernier album. Nous pensions enregistrer un album cet été si nous avons suffisamment de temps. Ce projet reste néanmoins d’actualité, ce n’est qu’une question de timing.
Pourriez-vous nous indiquer quelles sont ou ont été vos influences?
Bruce : Je suis influencé par toutes les expériences artistiques et musicales auxquelles j’ai participé. Par exemple, j’ai passé les 12 derniers mois à mixer le dernier Tesseract qui fera certainement parti de mes influences. Je me souviens aussi lors du remix de Deliverance d’Opeth avoir passé 4 semaines à décortiquer chaque chanson, chaque ligne de guitare, chaque mélodie, etc., c’est aussi une influence. Encore récemment, j’ai participé au mixage d’un album d’un groupe originaire du Pakistan qui m’a permis de découvrir des styles de musique non-occidentaux bien qu’ils en incorporaient. Je suis donc très chanceux d’être exposé à tous ces styles. Je sais que Steve est pas mal influencé par la Trip Hop (Massive Attack, Portishead, etc.).
Steve : Ce sont effectivement mes influences les plus fortes, notamment pour ce qui est d’incorporer des éléments électroniques. Il y a aussi le fait que j’ai commencé à apprendre la théorie musicale très tôt, ce qui a eu un impact considérable sur ma manière d’appréhender la musique.
Comment envisagez-vous les évolutions à venir pour The Pineapple Thief?
Bruce : Nous ne sommes pas encore lassés. Tant que nous serons encore en vie, nous continuerons. Ce que j’ai apprécié durant la conception de cet album était notre capacité à prendre plus de recul. Certaines choses n’ont pas marché, je dois bien l’admettre, mais pour l’essentiel c’était très positif. J’ai le sentiment que ce que nous avons créé et assemblé est bien plus important que ce que nous aurions pu faire chacun de notre côté.
Steve : Aussi, Jon, Bruce et moi sommes au sein The Pineapple Thief depuis les débuts donc nous resterons le cœur du groupe même si d’autres musiciens pourront toujours aller et venir.
Qu’est-ce qui a changé depuis que vous êtes chez Kscope ?
Bruce : Beaucoup de choses. Intégrer un des labels indépendants les plus reconnus était un moyen d’accéder à une notoriété que nous aurions obtenue difficilement. Nous nous sentons donc très chanceux.
Steve : Sans compter l’important réseau de distribution et les nombreuses antennes du label à l’international.
Bruce : De nombreuses personnes disent que The Pineapple Thief a accédé à la notoriété avant d’intégrer Kscope mais je dois admettre que nous étions encore très petits. Je reçois souvent des demandes de jeunes groupes pour savoir comment signer chez un label mais je n’ai malheureusement pas d’autre réponse à leur fournir que de continuer à persévérer tout en restant patients. C’est ce que nous avions fait.
Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie du disque qui se digitalise toujours un peu plus ? Plutôt une menace ou une opportunité?
Bruce : Nous voyons cela comme une opportunité même si beaucoup voient cela comme une menace. Cela a été très positif pour nous.
Steve : Le streaming n’a pas que des inconvénients, il nous permet de nous faire connaître même s’il ne permet pas de générer de recettes à court terme.
Bruce : On ne peut en effet pas ignorer le streaming car il permet d’attirer de nouveaux fans aux concerts et cela a un impact considérable sur la vente de produits dérivés.
Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique?
Non, à part dire que nous trouvons génial que de tels sites avec des personnes aussi passionnées existent. J’adore rencontrer des passionnés de musique et discuter avec eux. Sans eux nous ne serions certainement pas ici pour en parler.
(sur des questions de Thierry de Haro)
Après une première escapade en solitaire, Bruce Soord reprend le flambeau de The Pineapple Thief avec Your Wilderness, aux ambiances plus rock, dans la lignée de Little Man. De passage à Paris quelques semaines avant la sortie officielle, Bruce et Steve Kitch, le clavier du groupe, nous donnaient ainsi l’occasion d’en savoir un peu plus sur cet album … et bien plus encore !
Bonjour. Nous sommes très heureux d’être avec vous ce soir car on ne vous voit pas beaucoup en France. En effet, en 17 ans d’existence, The Pineapple Thief est venu pour la première fois en 2012 et depuis, vous n’avez eu que 8 dates. Pourquoi cette rareté sur notre territoire, alors que vous avez un potentiel public intéressant ?
Bruce : Ce n’est jamais facile pour un groupe de planifier des concerts dans des pays où il ne s’est jamais produit. En effet, la première chose que demande un promoteur c’est : « combien de personnes sont déjà venues vous voir ? ». Les premières dates étaient difficiles à obtenir mais, puisque nous sommes déjà venus, nous pourrons revenir encore plus souvent en France.
Vous étiez venus en 2015 en France pour un concert à Villemeux-sur-Eure ? Comment ce concert s’est-il déroulé ? Pensez-vous y revenir ?
Bruce : C’était superbe. A mesure que nous roulions vers cet endroit, nous nous sommes plusieurs fois demandés « Où sommes-nous ? » (rires). C’était vraiment la campagne. Mais l’endroit était très beau et la passion des habitants pour la musique m’a aussi beaucoup marqué.
Bien sûr, si autant de personnes sont venues nous voir, nous pourrions envisager d’y revenir !
Avec Your Wilderness, vous revenez à des compos plus rock, plus roots dans le répertoire The Pineapple Thief (cf. Little Man). Es-tu d’accord avec cela ?
Bruce : Oui, c’est vrai. Nous avons effectivement incorporé moins d’éléments symphoniques dans cet album contrairement à Magnolia, mais il s’agissait d’une décision consciente de notre part.
Selon toi, comment cet album se démarque de vos anciennes productions ?
Bruce : D’abord, il s’agit d’un album beaucoup plus collaboratif. J’ai délibérément partagé les chansons avec les autres membres du groupe dès le début contrairement aux anciens albums où les chansons se situaient déjà dans une phase de production.
Jon, Steve et moi avons donc contribué pour l’essentiel même si Gavin Harrison a beaucoup apporté également. C’était d’ailleurs le plus grand changement : c’était la première fois que la batterie jouait un rôle aussi important dans la conception des chansons.
Avais-tu une idée précise de ce à quoi l’album ressemblerait ?
Bruce : Non, nous nous y sommes pris de manière très relax. Dès le début, je me fichais de là où nous irions avec cet album, s’il plairait ou pas. Evidemment, nous souhaitions qu’il plaise mais si cela avait été le contraire, nous nous y serions fait. Nous nous sommes délibérément mis dans cet état d’esprit dès le début puis, avec une bonne dose de chance et d’esprit critique, le résultat s’est avéré très bon. Tout s’est bien goupillé avec Gavin Harrison, c’était parfait.
Nous sentons effectivement la patte de Gavin Harrison, c’est pour cela que nous tenions à te demander si le résultat est effectivement différent de ce que tu imaginais.
Bruce : Oui, en effet. Quand nous avions commencé à composer, nous n’imaginions pas que Gavin Harrison allait être le batteur sur cet album. Quand le label nous a suggéré Gavin, nous étions très hésitants étant données les nombreuses comparaisons qui ont pu être faites par le passé entre Porcupine Tree et The Pineapple Thief. Puis, après mûre réflexion, nous en avons déduit que Gavin était effectivement le meilleur batteur pour jouer sur ce nouvel album. Aujourd’hui, nous n’avons pas reçu la moindre critique négative par rapport à la présence de Gavin. C’était donc la bonne décision.
Nous ressentons que cet album est à la fois plus orienté rock, plus jovial tout en intégrant des guests de haute facture. Incontestablement, cet album a le potentiel d’élargir votre fan base grâce, notamment, à des chansons telles que« Take your Shot ». Serait-ce votre opus le moins personnel (contrairement à Magnolia qui était beaucoup plus intime) ?
Bruce : Effectivement,« Take your Shot »; est une pure chanson rock même si le refrain a ses propres particularités. Si tu écoutes le reste du morceau, ça ressemble à du rock traditionnel. Je me souviens même avoir demandé aux autres si ce n’était pas un peu trop direct.
Il pourrait s’agir effectivement d’un de nos albums les moins personnels. Même s’il se démarque par son énergie et ses mélodies « joviales », les paroles restent néanmoins mélancoliques. Cela reste un album conceptuellement personnel puisqu’il aborde des aspects de ma vie tels que mon évolution en tant que père. La pochette représentant une mère et son enfant regardant au loin induit justement le thème de l’album : la vie d’un enfant qui grandit. Des pièces telles que « No Man’s Land », évoquant la solitude d’un enfant, ou « That Shore » évoquant une fugue sont toutes basées sur mes propres sentiments, sur ce qui pourrait m’arriver en tant que père.
Est-ce que ta carrière solo a changé ta façon d’aborder la musique de The Pineapple Thief ?
Bruce : Oui, totalement. J’étais initialement tiraillé entre la volonté d’écrire des chansons pour moi et d’autres plus progressives pour le groupe. Le projet solo donne désormais la possibilité de réaliser ces deux choses. Il se pourrait que The Pineapple Thief devienne encore plus progressif à l’avenir pour encore bien différencier ces deux projets.
Comment avez-vous procédé à l’écriture des morceaux ? Êtes-vous partis d’un concept, d’une idée générale ou de compos que vous avez arrangées au fur et à mesure ?
Bruce : Oui, je souhaitais partir d’une idée générale à savoir la relation parent-enfant. Cela devait rester une trame tout en étant un concept émotionnel flexible. Pour ce qui est du processus d’écriture des chansons, celui-ci est resté très similaire à celui des anciens albums. J’ai utilisé une guitare acoustique pour créer les premières chansons mais il s’agissait cette fois-ci d’une guitare baryton qui m’avait été offerte lors la tournée acoustique avec Katatonia. Les particularités de cet instrument, sa tessiture grave en particulier, m’ont permis d’intégrer des idées nouvelles dans l’écriture des chansons. Les autres membres du groupe étaient également beaucoup plus impliqués sur cet album. Aussi, Gavin a contribué pour quelques chansons que je ne parvenais pas à finaliser en créant des parties de batterie qu’il m’avait envoyées. Nous avons ensuite ajouté le reste des instruments par-dessus. Ces chansons possèdent des parties centrales très harmoniques. La créativité de Gavin a donc été très positive durant le processus de composition.
As-tu eu envie de t’éloigner de cette mouvance pop symphonique présente sur certaines de tes productions afin de te rapprocher de quelque chose de plus roots ? Pourquoi cette évolution ?
(Steve nous rejoint).
Bruce : Nous voulions réaliser quelque chose de différent après Magnolia qui était très prog, notamment par l’apport de l’orchestre de Londres. Aussi, nous voulions davantage sonner comme un groupe de quatre instrumentistes. Bien sûr, il subsiste sur ce dernier album des cordes et des claviers mais ce n’est pas aussi symphonique. C’était une évolution naturelle même si nous n’excluons pas de revenir à ces sonorités. Et puis, tout n’est jamais prévu à l’avance. Nous écrivons les chansons naturellement puis nous nous demandons, in fine, ce qui serait le mieux pour chaque pièce.
Your Wilderness est le 1er album de The Pineapple Thief où des guests ont participé. Comment John Helliwell (de Supertramp) est arrivé sur l’album ? Comment l’a-t-il perçu et de manière plus générale, connaissait-il ton travail sur les années antérieures ?
Bruce : Non, (rires) John Helliwell a participé à surtout parce que je suis un énorme fan. Nous avions besoin de nouvelles personnes avec qui jouer et j’ai immédiatement pensé à envoyer un e-mail à John Helliwell. Il est revenu vers nous et nous a proposé d’organiser une session de jam. C’était une superbe expérience et un rêve d’enfant qui se réalisait, c’était un de nos héros.
Une question sur la pochette qui rappelle la pochette Wild Opera (réédition) de No-Man : paysages ‘américains’, grosse bagnole d’époque et personnes donnant dos à la pochette pour observer le paysage …: peux-tu nous expliquer ce choix ? Fait-il référence à quelque chose en particulier ?
Bruce :Non, ce n’était pas du tout une référence ! Carl Glover nous a envoyé cette pochette qui correspondait à ce que nous recherchions, nous la trouvions géniale. Nous l’avons ensuite mise en ligne et un fan nous a fait remarquer la chose suivante : « J’adore la pochette mais on dirait No-Man ! ». Malheureusement, tout était déjà bouclé et il était impossible de revenir dessus. J’ai tout de même contacté Steven et Tim de No-Man pour m’en excuser mais ils ont été très cools là-dessus : « Il y aura toujours quelques personnes pour remarquer ce genre de détails » m’ont-ils dit. Mais si nous avions remarqué plus tôt ces similitudes, nous aurions envisagé une autre option pour la pochette.
Le mois prochain, vous jouerez à « Be My Prog ! » à Barcelone. La set-list sera-t-elle essentiellement axée sur le dernier album et Gavin Harrison fera-t-il parti du show ?
Bruce :Non, car nous ne pouvons pas jouer le nouvel album sans Gavin ; son style est inimitable. La première fois que nous avions fait écouter l’album, les personnes reconnurent immédiatement sa façon de jouer. Nous ne pouvions donc envisager de jouer avec un autre batteur en concert.
As-tu prévu une tournée en France et quand ? As-tu connaissance des villes potentielles ?
Bruce : Nous jouerons à Paris. Pour le reste cela dépendra des promoteurs. Je pense que nous déciderons surtout en fonction de l’accueil de l’album.
Je reviens sur l’album solo : pourquoi avoir attendu 16 ans pour sortir ce premier album solo ?
Bruce :D’une part, il y avait une incertitude sur ce que je comptais faire musicalement avec The Pineapple Thief. D’autre part, c’était aussi dû à ma voix. Celle-ci a beaucoup évolué au fil des ans, pas au point d’être virtuose mais suffisamment pour réaliser des choses plus techniques. Ces deux éléments conjugués m’ont poussé à composer cet album solo.
Lors de la sortie de Magnolia, tu parlais d’un album assez intime. Ensuite, tu as sorti ton album solo qui est aussi très personnel. Quelle différence fais-tu entre ces deux approches?
Bruce : C’est justement la raison pour laquelle je tenais à séparer ces deux entités que sont The Pineapple Thief et ma carrière solo. The Pineapple Thief devait avoir sa propre identité plutôt que d’incarner la mienne.
Steve : Aussi, Bruce composait toutes les chansons les premières années du groupe. Il était donc important d’évoluer dans cette direction.
Il y a 2 ans, tu envisageais une possible suite à ta collaboration avec Jonas Renske sur le projet Wisdom of Crowds. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bruce : Cela va dépendre de la volonté de Jonas d’en faire un autre. Aujourd’hui, il est très occupé avec Katatonia, surtout en ce moment avec la sortie de leur dernier album. Nous pensions enregistrer un album cet été si nous avons suffisamment de temps. Ce projet reste néanmoins d’actualité, ce n’est qu’une question de timing.
Pourriez-vous nous indiquer quelles sont ou ont été vos influences?
Bruce : Je suis influencé par toutes les expériences artistiques et musicales auxquelles j’ai participé. Par exemple, j’ai passé les 12 derniers mois à mixer le dernier Tesseract qui fera certainement parti de mes influences. Je me souviens aussi lors du remix de Deliverance d’Opeth avoir passé 4 semaines à décortiquer chaque chanson, chaque ligne de guitare, chaque mélodie, etc., c’est aussi une influence. Encore récemment, j’ai participé au mixage d’un album d’un groupe originaire du Pakistan qui m’a permis de découvrir des styles de musique non-occidentaux bien qu’ils en incorporaient. Je suis donc très chanceux d’être exposé à tous ces styles. Je sais que Steve est pas mal influencé par la Trip Hop (Massive Attack, Portishead, etc.).
Steve : Ce sont effectivement mes influences les plus fortes, notamment pour ce qui est d’incorporer des éléments électroniques. Il y a aussi le fait que j’ai commencé à apprendre la théorie musicale très tôt, ce qui a eu un impact considérable sur ma manière d’appréhender la musique.
Comment envisagez-vous les évolutions à venir pour The Pineapple Thief?
Bruce : Nous ne sommes pas encore lassés. Tant que nous serons encore en vie, nous continuerons. Ce que j’ai apprécié durant la conception de cet album était notre capacité à prendre plus de recul. Certaines choses n’ont pas marché, je dois bien l’admettre, mais pour l’essentiel c’était très positif. J’ai le sentiment que ce que nous avons créé et assemblé est bien plus important que ce que nous aurions pu faire chacun de notre côté.
Steve : Aussi, Jon, Bruce et moi sommes au sein The Pineapple Thief depuis les débuts donc nous resterons le cœur du groupe même si d’autres musiciens pourront toujours aller et venir.
Qu’est-ce qui a changé depuis que vous êtes chez Kscope ?
Bruce : Beaucoup de choses. Intégrer un des labels indépendants les plus reconnus était un moyen d’accéder à une notoriété que nous aurions obtenue difficilement. Nous nous sentons donc très chanceux.
Steve : Sans compter l’important réseau de distribution et les nombreuses antennes du label à l’international.
Bruce : De nombreuses personnes disent que The Pineapple Thief a accédé à la notoriété avant d’intégrer Kscope mais je dois admettre que nous étions encore très petits. Je reçois souvent des demandes de jeunes groupes pour savoir comment signer chez un label mais je n’ai malheureusement pas d’autre réponse à leur fournir que de continuer à persévérer tout en restant patients. C’est ce que nous avions fait.
Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie du disque qui se digitalise toujours un peu plus ? Plutôt une menace ou une opportunité?
Bruce : Nous voyons cela comme une opportunité même si beaucoup voient cela comme une menace. Cela a été très positif pour nous.
Steve : Le streaming n’a pas que des inconvénients, il nous permet de nous faire connaître même s’il ne permet pas de générer de recettes à court terme.
Bruce : On ne peut en effet pas ignorer le streaming car il permet d’attirer de nouveaux fans aux concerts et cela a un impact considérable sur la vente de produits dérivés.
Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique?
Non, à part dire que nous trouvons génial que de tels sites avec des personnes aussi passionnées existent. J’adore rencontrer des passionnés de musique et discuter avec eux. Sans eux nous ne serions certainement pas ici pour en parler.