Frank Woeste

03/05/2016

Le Duc des Lombards - Paris

Par Thierry de Haro

Photos: Thierry de Haro

Site du groupe : www.frankwoeste.com

Setlist :

Terlingua – Moving Light – Star Gazer – Buzz Addict – Pocket Rhapsody – Nouakchott – Mirage - ??

Sorti en ce début d’année, l’excellent Rhapsody Pocket n’obtient qu’avis positifs et enthousiastes. Frank Woeste était le 12 Mars dernier au Duc des Lombards pour présenter son album à un public venu en masse et qui – autant le dire de suite – quitta les lieux conquis, une heure et demi plus tard. Retour sur une soirée ouatée de début de printemps, traversée par la lumière et le talent de quatre musiciens exceptionnels …

Frank Woeste n’a plus rejoué en tant que leader dans la rue des Lombards depuis de nombreuses années. D’abord, parce que Double You, son album précédent, date de 2011. Mais surtout parce qu’il sillonne les scènes du monde entier avec Ibrahim Maalouf à quasi temps plein depuis 2013 – ce qui laisse bien évidemment peu de place à sa propre formation. Sa présence est donc un évènement pour les amateurs de jazz – preuve en est la vente de l’intégralité des CD lors du premier set du groupe (nous assistons au deuxième set de la soirée). Tout s’explique dès l’écoute des premiers accords de «  Terlingua », où nous comprenons cet engouement : le public est d’abord plongé dans un univers acoustique, balisé par les notes cristallines du piano de Frank. Puis est propulsé dans les sphères d’un Fender Rhodes aérien, glissant progressivement vers une dernière partie plus électrique que dans sa version d’origine.
D’ailleurs, entre enregistrement studio et concert, si l’ordre des morceaux est conservé, ceux-ci diffèrent parfois conséquemment dans leur interprétation en public. Déjà, parce que les musiciens ne sont pas les mêmes. Ainsi, sur la version CD de «  Moving Light » qu’Ibrahim Maalouf ,et sa trompette, venait décorer de ses sonorités si spécifiques, la transcription ‘live’ insiste sur le discours entre les claviers de Frank et ceux de Julien Carton. Et la place de la guitare se fait plus présente – pour le plus grand bonheur du public – l’excellent Romain Pilon assurant avec succès la relève d’un Ben Monder qui avait pourtant placé la barre bien haut sur Rhapsody Pocket. Au final, les titres sont souvent bonifiés dans leur durée, comme avait pu le faire Médéric Collignon en ces lieux quelques semaines auparavant, et ce «  Moving Light » permettra durant 4 mn supplémentaires d’apprécier le jeu ‘à la Scofield’ de Romain ! Il en sera de même sur «  Moving Light » où la voix de l’incroyable Youn Sun Nah est remplacée par les digressions célestes de l’excellent guitariste.

Le titre suivant, «  Buzz Addict », est sans doute l’un des plus époustouflants du set – en grande partie grâce à Stéphane Galland. Si les claviers constituent la rythmique haletante du début de morceau, le batteur illumine de son talent une salle déjà comblée par tant de richesse musicale. Et Frank ‘enfonce le clou’, nous livrant un solo de clavier évoquant Chick Corea ou Herbie Hancock dans leurs grandes envolées électro-acoustiques. Puis, la beauté du titre éponyme de l’album apporte dans un premier temps quelques moments de quiétude – les cordes traduisant un ton mélancolique chargé d’émotion … jusqu’à ce qu’une batterie insomniaque se réveille pour asséner son discours polyrythmique, faisant écho dans un premier temps au Fender qui rode aux environs, puis invitant à la rêverie nocturne une guitare qui n’en demandait pas tant. Epatant !!!
Changement de décor avec «  Nouakchott », morceau créé lors d’une méga-jam avec les musiciens locaux lors d’une tournée de Frank en Mauritanie (et plus précisément … à Nouakchott !). Les notes glissent les unes à côté des autres, les unes sur les autres ou les unes dans les autres : elles confèrent à l’ensemble cette aura légère, celle qui drape l’esprit et l’invite à voyager hors du temps. Le rythme se fait plus présent et hypnotique – la fin du morceau rappelant même les sensations envoûtantes que l’on peut ressentir à l’écoute de musiques plus psychédéliques – voire zheul. Une fois encore, la durée du morceau s’en trouve renforcée, celui-ci ayant pratiquement doublé par rapport à la version studio. Et que dire de «  Mirage » ? Si la beauté avait un son, il serait puisé dans cette suite éthérée où les claviers volatiles s’évaporent dans la pureté d’un rêve qu’on vivrait éveillé : le bouquet final – une pulsion de bien-être extrême qui nous accroche aux étoiles – six minutes d’un bonheur absolu et intense ! La soirée se termine avec «  ?? », titre inédit dans la pure tradition jazz, dont le nom reste à trouver – tâche pour laquelle le public sera convié – sans succès, il faut bien l’avouer.

Frank Woeste et son groupe peuvent alors quitter la scène avec la certitude du devoir accompli : le concert donné ce soir fera partie des moments de l’année dont on se souviendra, tant l’interprétation somptueuse du dernier album s’est projetée au-delà du concept parfaitement maîtrisé de la version studio. On ne peut qu’applaudir à l’idée qu’une version live permette de déambuler à ce point dans le labyrinthe de l’imagination, du plaisir et de l’émotion … et regretter que Frank ne fréquente qu’avec extrême parcimonie les scènes avec sa propre formation.