Michel Portal - Vincent Peirani - Émile Parisien
21/01/2016
L'Illiade - Strasbourg
Par Jean-Philippe Haas
Photos: Jean Isenmann
Site du groupe : http://www.vincent-peirani.com/
Des temps forts, il y en a eu dans les salles en 2015, a fortiori à Jazzdor pour sa trentième édition. L’un d’entre eux reste incontestablement cette rencontre mémorable entre la jeunesse, talentueuse, décomplexée, et la maturité aussi vénérable qu’encore flamboyante. Dans une salle de L’Illiade comble, le trio Portal /Peirani/ Parisien a donné avec humour, brio et décontraction, une belle leçon de complicité. « Les 3 P », comme il convient de les appeler désormais, symbolisent ce qu’il y a de plus riche dans la rencontre des générations. Les 4 Fantastiques n’ont qu’à bien se tenir. .
Ce sont les jeunots Émile Parisien et Vincent Peirani qui préparent le terrain de l’aimable confrontation avec des titres tirés de leur collaboration sur l’album Belle Epoque : « Egyptian Fantasy », de Sydney Bechet, suivi de « Temptation Rag » de Henry Lodge. Parisien, comme à son habitude, donne l’impression de danser ou d’exécuter une savante chorégraphie tout en soufflant dans son saxophone, pendant que Vincent Peirani assure la base rythmique. De dialogues échevelés en conversations nostalgiques, les deux musiciens revisitent leurs classiques avec une discrète virtuosité. Après quelques fausses fins, Michel Portal fait une entrée triomphale pour se glisser dans une composition de Peirani (« Schubert’s Oyster »!), calme, ondulante, presque atmosphérique. Un équivalent jazz du post-rock, pour ainsi dire, avec toutefois un crescendo final explosif !
Parisien s’esquive et laisse place au « Blow Up » du Maître, tiré de l’album du même nom sur lequel Richard Galliano tenait l’accordéon. Sautillant, enjoué, le titre provoque des fourmillements dans tout le corps qui donnent envie de battre des pieds et des mains, de danser. Le duo ne fait pas dans l’esbroufe et se « contente » de faire preuve d’un extraordinaire sens du rythme et de la mélodie. On ne sait trop quelle histoire on nous raconte là, mais elle prend parfois des allures de course-poursuite. On connaît peut-être mieux celle qui suit, limpide et évocatrice, tirée de la bande originale de « Max mon amour » de Nagisa Oshima. Durant ce concert, on est d’ailleurs constamment plongé dans une atmosphère soundtrack de films d’espionnage, de suspense, d’amour où les musiciens se font des politesses et jouent en chassé-croisé un jeu de prise et de don de parole. Portal exploite toutes les possibilités de son instrument, de l’émotion purement mélodique à des passages psalmodiés, lorsqu’il n’utilise pas tout bonnement son saxophone comme une percussion. Le grand bazar organisé continue sur « Cuba si Cuba no », où Peirani se fend d’une improvisation pour le moins audacieuse. On n’est parfois pas si loin de la musique contemporaine !
Tout au long du spectacle, les hommages continuent de se succéder avec ici une composition de Peirani initulée « B & H » (B pour Boyan Z et H pour Henri Texier). Le titre est tiré du Thrill Box de l’accordéoniste sorti en 2013 chez ACT sur lequel Portal est invité, tout comme cette valse, « 3 temps pour Michel P. » dont on se demande de qui il peut bien s’agir. Les suppositions vont bon train sur scène, de Michel Petrucciani à Michel Platini, pour le plus grand plaisir d’un public qui n’a depuis belle lurette plus besoin d’être conquis et réagit sans se faire prier aux sollicitations des gais lurons qui squattent les planches. Les solos fusent, les échanges homériques aussi, jusqu’à Peirani qui double à la voix le saxophone de Portal ! Ultime hommage et ultime frisson en rappel : « Dancers In Love » de Duke Ellington. La boucle est bouclée , trois générations de jazz se sont croisées ce soir, offrant à l’assistance ce que le jazz a de plus joyeux (souvent), mélancolique (parfois), de plus relâché et de plus populaire.