Michael Alizon & Jean-René Mourot - Mark Turner Quartet

19/11/2015

Pôle Sud - Strasbourg

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe : http://markturnerjazz.com/

Le 11 novembre dernier, le Mark Turner Quartet se produisait pour la première fois en France. L’occasion était trop belle pour être ratée, d’autant que le groupe avait séduit Chromatique l’année dernière avec son Lathe of Heaven. Nous voici donc confortablement installés à Pôle Sud, une salle ce soir pleine aux trois quarts, qui a déjà accueilli quelques-uns des plus beaux concerts de Jazzdor ces dernières années. .

En première partie, le duo Alizon / Mourot vient présenter quelques titres de son projet Les couloirs du temps, un disque qui verra le jour prochainement et pour lequel le groupe a lancé une souscription. Le pianiste Jean-René Mourot, qui a sorti récemment un album en duo avec Bruno Tocanne (Chroniques de l’imaginaire), accompagne les saxophones ténor et soprano de Michael Alizon sur des compositions qui évoquent le temps dans la musique. Le concert est bien rôdé car les deux musiciens ont eu l’occasion de tester leurs morceaux plusieurs fois cette année déjà, sur différentes scènes strasbourgeoises notamment.

Très narrative, tantôt véloce et syncopée, tantôt douce et nostalgique, la musique du duo nous promène à travers une succession de tableaux aux titres évocateurs comme « Temps confidentiel », « Subrepticement », « Photo d’enfance en noire et blanche » ou encore « Le monde des ondes ». Les thèmes sont sautillants, joyeux, ou tendus et inquiétants, basés sur la complémentarité des deux instruments. Le saxophone est en conversation avec le piano, bien que le second laisse parfois la parole aux exubérances ou recueillements du premier, se contentant de le souligner. Le concert s’achève sur la première partie d’une suite prometteuse, « Hors Champ », dont la deuxième figurera sur l’album et sur un petit blues « arrangé » fort distrayant en rappel. A suivre…

On reste dans une ambiance finalement assez similaire bien que plus rythmée avec le Mark Turner Quartet. Le saxophoniste américain et Avishai Cohen (le trompettiste, pas son homonyme contrebassiste) forment un duo qui dialogue en permanence. Quand l’un ne s’efface pas poliment devant l’autre pour lui laisser exposer son propos, c’est ensemble qu’ils racontent leurs histoires, secondés par une section rythmique des plus compétentes : Joe Martin à la contrebasse et Obed Calvaire à la batterie. Ce dernier a toutefois du mal à rester en place pendant les échanges saxo/trompette, et profite de quelques espaces de liberté pour s’en donner à cœur joie en improvisant des solos explosifs qui tranchent avec le caractère souvent modéré de l’ensemble. Quitte à être parfois en décalage par rapport à la teneur plus paisible des compositions.

Ces solistes de premier ordre savent néanmoins s’effacer devant la dynamique de groupe pour former un quartette qui ne se résume pas à une juxtaposition de fins techniciens. Sur « Year of The Rabbit », l’un des temps forts de Lathe of Heaven, on peut constater que les structures mises en place par Turner ne paient pas de mine mais sont loin d’être aussi lisibles qu’elles n’y paraissent. Une discrète sophistication qui sert la composition, car c’est avec une fluidité parfaite que tout s’enchaîne. Si stylistiquement parlant, la prise de risque est modérée et si le duo de vents n’a peut-être pas la classe de leur modèle Shorter/Davis, le concert offre suffisamment de contrastes et de brillances individuelles et collectives pour satisfaire un public exigeant. Celui-ci ne manquera d’ailleurs pas de manifester son plaisir.