Nick Gardel – Polar Express
Il n’est pas courant dans la littérature populaire – et c’est un euphémisme – de trouver des références à un genre musical aussi peu glamour que le prog’. François Appas avait certes consacré un petit volume absolument hilarant à l’histoire de PaillasSon, groupe de prog’ fictif et délicieusement caricatural, mais Nick Gardel incorpore le genre dans un vrai polar, Musical Box, un roman qui a l’appréciable qualité de s’adresser autant au novice qu’à l’initié pendant la paire d’heures que nécessite sa lecture. L’auteur nous expose le pourquoi du comment, et bien plus encore.
Chromatique.net : Raconte-nous un peu la genèse de ta passion pour l’écriture (car je suppose que c’en est une !). Quand as-tu réellement commencé à écrire ? Quel a été ton parcours ?
Nick Gardel : J’hésite toujours à parler de passion, je trouve le terme galvaudé. J’ai des histoires à raconter, c’est tout. C’est autant un plaisir qu’un besoin. Ça ne date pas d’hier, d’ailleurs. Mes premiers écrits ont été produits à l’âge de quinze ans. C’était plus de la science-fiction mais toujours avec un fond policier. C’étaient alors des nouvelles. J’en écrivais régulièrement. Un jour, j’ai produit avec mes élèves un petit livre de leurs productions que nous avons fait imprimer de façon « pro ». Le résultat était vraiment beau si bien que j’ai décidé de regrouper toutes mes nouvelles « potables » en un recueil. Puis, sous cette impulsion, j’ai écrit d’autres nouvelles qui ont commencé à s’articuler en un tout. Le roman n’était pas loin, j’ai sauté le pas. Depuis, j’en écris un par an.
Comme pour beaucoup d’auteurs, ton art ne doit pas suffire à payer toutes tes factures. Peux-tu nous parler de ton « vrai métier » ?
Je suis enseignant pour des élèves, disons, « compliqués ». Mais j’écrivais avant cette carrière qui reste l’essentiel de ma vie éveillée et qui me nourrit. J’essaye de bien segmenter ma vie professionnelle et mes écrits, néanmoins certains passages de mes romans sont des exutoires de situations vécues.
Tu as écrit « Lâches déraisons » pour la célèbre série Le Poulpe. Comment ta contribution à ce monument a-t-elle vu le jour ?
C’est une rencontre avec le créateur de la série, Jean-Bernard POUY. Il était en dédicace dans un salon du livre où je me trouvais pour un roman. J’étais (je suis) un grand fan de la série, du film aussi d’ailleurs. Entre deux discussions, il m’a proposé d’en écrire un et de le soumettre à l’éditrice. Par rebond, mon personnage de Peter Raven est né à ce moment-là. Comme je n’étais pas sûr que le manuscrit soit accepté, j’ai imaginé un autre personnage qui prendrait sa place en cas de refus. Il y a une grande parenté entre les deux. Le héros du Poulpe s’appelle Gabriel, il était normal que mon héros s’appelle Peter…
Suite à cela, as-tu reçu des propositions d’éditeurs ? N’est-ce pas un peu le parcours du combattant aujourd’hui pour se faire publier ?
J’ai eu presque immédiatement des espoirs de propositions (notez les deux degrés de décalage par rapport à un contrat concret…) pour des romans plus personnels. Mais rien ne s’est concrétisé. Je reste encore en relation avec des gens qui travaillent dans l’édition, cela débouchera peut-être sur une proposition, un jour… Il y a une réelle crise du livre, ou plus de l’édition et de la distribution. Les auteurs sont malmenés dans ce monde. On trouve maintenant des escrocs qui se font passer pour des éditeurs et qui ne sont que des imprimeurs déguisés. Ceux-là n’ont aucune volonté de vendre le livre et font payer à prix fort la simple fabrication sans aucune distribution. Les vrais éditeurs sont très frileux et signent finalement peu de nouveaux noms. Reste l’autoédition qui demande une énergie folle, mais permet de créer un vrai lien avec les lecteurs.
Pourquoi avoir choisi de publier sous un pseudonyme ? D’ailleurs, ton pseudo contient-il un de ces jeux de mots dont tu es friand ?
La réponse est moins romanesque que ça. Quand on commence à écrire à quinze ans, une partie du plaisir est justement le pseudonyme. Le mien vient des jeux de rôles et d’un personnage d’elfe inventé pour l’occasion. Les elfes ont des noms finissant par « -el » comme Glorfindel, Galadriel etc… Je venais de changer ma façon d’écrire les G, Gardel s’est imposé. Un lien avec mes (lointaines) origines espagnoles ? Je ne sais pas.
Comment t’est venue l’idée (saugrenue !) d’écrire un polar dont le fil rouge est le prog’ ? Comment est née l’intrigue de ce « Musical Box » ?
Cette question plonge au cœur de l’inspiration… C’est toujours très complexe de tenter de l’expliciter. Musical Box est né d’un vrai désir de mettre la musique et le rock progressif en particulier au cœur de l’intrigue. Sa conception s’étale sur deux ans. Peter Raven existait déjà, son goût pour la musique progressive et les cassettes audio aussi. L’essentiel du travail a été de conceptualiser le groupe décrit dans le roman, Valaquenta. Certains personnages vous échappent ensuite. Le fil conducteur (avec et sans jeu de mot) de l’histoire, Estebàn, ne devait pas rester au-delà de deux ou trois chapitres, par exemple.
Ta vision des relations à l’intérieur d’un groupe de rock est très drôle dans sa caricature (le manager magouilleur, le chanteur drogué, etc.). Pourquoi avoir créé des personnages aussi typés ?
Je n’avais pas l’intention d’écrire une fresque où on aurait pu diluer ces traits de caractères entre plusieurs personnages. J’ai donc dû grossir le trait pour chacun des protagonistes. Et puis, je suis sûr que quelques-uns de ces personnages outranciers réservent quand même quelques surprises au fil de la lecture… D’autres répondent à des impératifs. J’ai deux policiers car, ainsi, ils peuvent dialoguer. Et puis j’avais deux « Jon » à placer.
Ton style (dans « Musical Box », du moins) est très axé sur les dialogues, les répliques. On sent Audiard qui tire les ficelles. La comparaison te semble-t-elle pertinente ?
Pertinente je ne sais pas, flatteuse, c’est sûr ! Je fais très attention aux dialogues en tout cas. Ce n’est pas une singularité de Musical Box. Nevermore, l’autre aventure de Peter Raven est aussi très orientée « dialogues ». Fourbi étourdi, mon précédent roman est ce qu’on pourrait appeler un festival du genre. Là aussi, j’ai eu la joie d’entendre des comparaisons à Audiard ou Frédéric Dard.
Tes personnages ont d’ailleurs tous le sens de la répartie. Es-tu toi-même ainsi dans la vie ?
C’est la grande force de l’écrivain, mettre à plat ce qu’on pourrait dire dans la vie avec l’illusion de l’immédiateté. J’ai un humour beaucoup plus cynique que mes personnages, je pense. Mais la répartie est un mythe, elle demande beaucoup de travail et une gymnastique mentale assez épuisante.
Selon toi, quels sont les ingrédients pour écrire un bon polar ? Quels sont tes auteurs favoris dans le genre ?
C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Je ne sais pas écrire autre chose, alors j’essaye toujours de faire du mieux que je peux. Comme les groupes de musique, je reste persuadé qu’ils ne tentent pas de correspondre à l’étiquette qu’on leur a collée. Ils créent leur musique et les auditeurs, les critiques, les fans font le reste. Certains passent même tout un album à essayer de décoller cette étiquette. Pour ma part, je fonctionne comme un fan, je lis tout d’un même auteur. Jean-Bernard POUY, Patrick Raynal, Dominique Sylvain, Fred Vargas. C’est très éclectique même au sein de la famille « polar ». Je crois avoir dépassé ma période « mimétisme » d’écriture. Ces lectures m’enrichissent, mais mon style se construit au-delà d’elles.
Ton livre s’achève dans un festival de rock. Es-tu toi-même amateur de concerts ? A-t-on des chances de te croiser au Night of The Prog, par exemple ?
J’aime les concerts, mais moins que lorsque j’étais plus jeune. L’âge sans doute… Mais je dois dire que l’envie me revient, avec les deux derniers que j’ai vus !
Quel est le dernier concert auquel tu as assisté ? …et quel est le prochain ?!!
Transatlantic au Bataclan à Paris et Peter Gabriel à Strasbourg. J’ai aussi assisté par hasard à un concert du groupe de Glam rock : Steel Panther. Je décris d’ailleurs ce show et son public dans le roman. Je n’ai pas encore de billet pour le prochain concert. Cela dépend souvent de mes disponibilités et de mes possibilités financières…
En lisant ce roman, on serait tenté de dire que tu as une préférence pour le prog « classique ». Quels sont les groupes et artistes qui ont tes faveurs ?
Ma passion pour le prog date d’aussi longtemps que celle de l’écriture (un rapport à creuser ?). J’ai eu une période très active dans ce style et j’ai même fait partie de l’équipe de Muséa (des gens ABSOLUMENT formidables). J’ai donc une culture progressive assez étendue. J’ai un temps écouté des groupes beaucoup plus confidentiels et j’ai découvert les premiers albums de quelques-uns qui sont devenus des pointures depuis. Je suis bien évidemment attaché à Genesis, Marillion, Yes, Pink Floyd etc… Mais je reste critique vis-à-vis de ces groupes et de leurs évolutions. Comme tous les fans, j’ai mes chapelles, mes adorations et mes haines… J’essaye d’expliciter cela dans le roman aussi.
Le prog survit, dit-on, grâce aux fans qui sont réputés pour préférer l’objet physique à la version dématérialisée. De quelle catégorie fais-tu partie ?
Je corresponds bien à cette description. Il y a une grande richesse de production progressive en ce moment. J’en écoute beaucoup, numériquement en premier lieu. Si le disque dépasse le cap de deux ou trois écoutes sans me lasser, je l’achète. Mais il y a aussi une crise de la distribution. Je me souviens avoir mis presque six mois à trouver un exemplaire du CD de Parzivals Eye que j’écoutais donc en version piratée pendant ce temps. J’ai découvert ainsi des groupes comme Knight Area ou Longdistancecalling que je possède physiquement désormais.
Que penses-tu de la scène prog’ d’aujourd’hui, artistiquement parlant ? Quel est ton sentiment sur son évolution ?
La scène prog est très riche actuellement. Je n’adhère pas à tout, mais j’essaye d’écouter le maximum. J’ai été assez déçu par les dernières productions des groupes mythiques. Le dernier Yes, le dernier Asia, le dernier PF, Genesis qui sort une compilation, Peter Gabriel qui sort tout sauf un album etc… Pourtant je possède la plupart de ces œuvres décevantes. J’ai vu arriver des nouveautés très intéressantes ces dernières années : RPWL, Transatlantic, le second Flying Colors, par exemple. Je n’arrive pas à rentrer dans les productions de Wilson, si ce n’est Blackfield (en oubliant le IV). Je passe à côté de Pineapple Tree. De même, j’ai beaucoup plus de mal à adhérer au progressif latin (de l’italien au sud-américain), je ne sais pas pourquoi mais je m’y ennuie très vite, ce qui n’est pas le cas chez les Polonais par exemple, même si souvent je n’arrive pas à distinguer les groupes les uns des autres. J’ai le sentiment de ne plus ressentir le même frisson que lorsque nous arrivaient les premiers Aragon, Pendragon et IQ pour ne citer que ces apprentis dinosaures. Il faut mettre en cause le vieillissement de l’auditeur sans doute, autant que la qualité du style musical.
Quels sont tes projets d’écriture ? D’autres polars ? Penses-tu un jour écrire un ouvrage « sérieux » sur le prog’ (comme le récent « Prog100 » de Frédéric Delâge par exemple) ou cet exercice ne t’intéresse-t-il pas le moins du monde ?
Comme je l’ai dit plus haut, je ne sais pas écrire autre chose… je vais donc continuer à creuser mon sillon. Je n’ai pas lu encore l’ouvrage de Frédéric Delâge, je viens de lui envoyer Musical Box, peut-être m’offrira-t-il le sien en retour (non, ce n’est pas un appel…). Le prochain roman est en cours. Il sera encore plus basé sur cette folie qu’on retrouve dans les scénarios d’Audiard. Le héros principal est un fan de MAGMA. Je n’en sais pas plus. J’y intégrerai sans doute une 2CV noire décorée de trois logos du groupe que je croisais parfois à Strasbourg…
Le mot de la fin pour les lecteurs de Chromatique ?
Musical Box a été écrit pour les fans de prog. Les autres ne seront pas exclus, mais les fans y trouveront une deuxième lecture que j’ai voulu la plus légère et la plus plaisante possible. Valaquenta a été créé pour eux, son histoire prolonge encore la lecture et d’autres clins d’œil se trouvent dans la biographie et la discographie du groupe. Musical Box est un roman à tiroirs, certains sont évidents, d’autres demandent une tournure d’esprit particulière pour en faire jouer les serrures. J’ai toujours écrit de cette façon, j’espère que les lecteurs de ce roman découvriront mon style et se lanceront dans l’aventure d’une ou plusieurs autres lectures.