Lazuli – L’herbe plus grasse ailleurs ?
2009 marquait un nouveau départ pour Lazuli. Après un changement d’effectif, le groupe sortait tout d’abord (4603 Battements) en 2011, puis en 2013 un DVD, Live @ l’Abeille rôde, enregistré en studio, et aujourd’hui, le tout nouvel album Tant que l’herbe est grasse. Soutenu par une tournée européenne, il devrait immanquablement permettre aux cinq de franchir une nouvelle étape. Dominique Leonetti, auteur et interprète des textes ciselés du groupe, nous expose le cas Lazuli.
Chromatique : Tant que l’herbe est grasse est votre second disque avec cette nouvelle formation. Quelle est la raison de votre « semi-dissolution » en 2009 ?
Dominique Leonetti : Des mésententes artistiques bien sûr, mais surtout de nombreuses raisons humaines et personnelles qui ont fini par avoir raison de notre histoire commune ! De toute façon, il y avait bien longtemps que Claude, Ged et moi avions la sensation de travailler à trois. S’il n’y avait pas eu le plaisir de la scène, le groupe aurait rendu les armes bien plus tôt. Il est toujours décevant de voir des histoires nous échapper mais c’est la vie. Aujourd’hui, je m’aperçois que c’était un mal pour un bien.
Après cette séparation, vous avez rapidement décidé de continuer sous le nom de Lazuli. Comment s’est passé le recrutement de nouveaux musiciens ? Cela a-t-il changé quelque chose dans la composition de (4603 battements ) ?
Nous connaissions Vincent (Barnavol, batterie et percussions) et Romain (Thorel, claviers, basse, cor) pour les avoir enregistrés dans notre studio avec d’autres formations. Quand le clash s’est produit en 2009, nous avons naturellement pensé à ces deux loustics, artistiquement et humainement en parfaite harmonie avec notre vision de la vie et de la musique. Je pensais, avant 2009, que le travail de groupe ne pouvait passer que par des compromis et des discussions houleuses, que ce devait être le lot de toute « communauté ». Bien que la réalisation de tout projet passe inévitablement par une phase de douleur, de remises en question, de choix « existentiels », le changement avec la nouvelle équipe fut radical, puisque pour la première fois, nous avons travaillé sereinement, ce qui m’a libéré dans l’écriture. Tout est devenu plus spontané dans la réalisation et l’enregistrement des morceaux.
Vous autoproduisez vos disques. Est-ce un choix par défaut ou est-ce délibéré ? Pensez-vous que le soutien d’un label peut être important dans certains cas ?
Aujourd’hui les labels n’ont plus forcément les moyens de faire de la promo, leur pouvoir étant totalement limité. Les expériences à ce niveau nous ont souvent déçus, mais nous ont également forgés. C’est donc un choix aujourd’hui d’être indépendant. Nous avons même monté notre propre label (L’Abeille rôde, du nom de notre studio). Nous avons régulièrement des propositions de contrat, mais nous attendons celle qui pourra vraiment être décisive pour faire avancer notre histoire. Celle qui nous laissera notre liberté artistique et dont la volonté première ne sera pas uniquement mercantile. Nous restons ouverts à toutes idées, mais pour l’heure nous poursuivons notre bonhomme de chemin, accompagné de partenaires (distributeurs par exemple), sans signer d’exclusivités.
Il ne doit pas être facile pour un groupe autoproduit de vivre de sa musique. Quelles sont vos activités en-dehors de Lazuli ?
Les concerts et les ventes de disques nous permettent de survivre. C’est déjà une grande chose dans ce monde difficile. Chaque année les choses évoluent mais nous savons que tout ceci est fragile. Alors nous vivons cela avec la conscience de la chance que nous avons. Il est donc primordial pour nous que les ventes de disques et les concerts continuent d’augmenter. Claude, Ged et moi consacrons la majeure partie de notre temps à Lazuli, le groupe est notre raison de vivre. Tout de même, pour rendre la chose plus facile, Ged donne des cours, et Claude et moi travaillons encore de temps en temps comme ingés son à l’Abeille rôde. Vincent et Romain ont une vie extérieure au groupe plus intense, ils donnent des cours et jouent régulièrement dans d’autres formations classiques ou autres. Certaines choses nous aident aussi à éclaircir le tableau comme nos sponsors (c’est très récent) tel que les Guitares Godin, les batteries DW, les cymbales Paiste et les marimbas MalletKat.
Parlons maintenant de votre dernier disque « Tant que l’herbe est grasse ». Y a-t-il un fil conducteur, un « concept » ?
Non, si ce n’est que cet album est encore une fois un regard sur l’être humain. Tout un concept, n’est-ce pas ?
Dans la grande tradition du rock théâtral à la Ange, vous travaillez soigneusement vos paroles qui, dans l’ensemble, sont plutôt pessimistes. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Les paroles sont en général à l’origine de nos chansons. Je n’imagine pas pouvoir chanter des mots sans sincérité. J’avoue qu’il y a une certaine noirceur dans mes textes. Il est évident que mes tristesses, mes colères, mes angoisses, mes mélancolies, sont un déclencheur d’écriture, une sorte d’exutoire. Mes contemporains m’inspirent plus que je ne le voudrais, quelquefois pour leur grandeur d’âme, leur beauté, leur amour mais le plus souvent pour leur absurdité, leurs horreurs, leurs erreurs, leurs incohérences. Plus je regarde ce monde plus je suis déconcerté et éprouve le besoin de le faire savoir à ma manière. Je ne sais pas si cela fait avancer le Schmilblick mais le fait de le partager me fait du bien et j’espère fait du bien à d’autres. Mon paradoxe est d’aimer les gens et de détester l’être humain.
Fish chante sur la seconde partie de « J’ai trouvé ta faille ». Comment cette collaboration est-elle née ?
Nous nous connaissons depuis 2007 car nous avions ouvert sa tournée française à l’époque. Il a très rapidement été généreux avec nous et l’idée d’oser parler d’une collaboration est née il y a longtemps. Depuis, nous nous sommes régulièrement croisés sur des festivals et nous avons souvent trinqué ensemble. C’est lors d’un repas avec Fish, au mois de novembre 2013, chez nos amis de Arpegia que la chose s’est concrétisée. Nous avons toujours adoré l’homme et son travail, sa présence sur notre album est un immense cadeau ! Nous avions d’ailleurs donné un indice sur cette collaboration secrète puisque la sortie de l’album était annoncée pour le 1er avril.
Outre la qualité des textes, « Tant que l’herbe est grasse » et « A Feast of Consequences » ont d’autres points communs, comme un travail important sur les atmosphères, le contraste entre les différents passages, tantôt dépouillés, tantôt explosifs. C’est assez flagrant sur les deux derniers titres. Trouvez-vous cette comparaison pertinente ? Vous sentez-vous proches musicalement d’un artiste comme Fish ? Vous considérez-vous comme un groupe « engagé » ?
Je suis flatté que tu puisses parler de points communs entre Fish et nous !!! J’ai écouté A Feast of Consequences après avoir écrit notre album et je dois dire qu’en le découvrant, je me suis senti tout petit, tant ce disque est magnifique et tant le magnétisme de Fish est grand ! La comparaison me gène et me rend fier à la fois ! Oui, nous nous sentons proche d’un artiste comme Fish car il correspond à ce que nous attendons de la musique ; à savoir qu’elle soit riche de ses racines, tout en étant dans son époque et avec un pied dans l’avenir. Fish sait faire cela, comme des Peter Gabriel ou autres Radiohead… Les nuances dont tu parles, communes à nos univers, sont je pense imposées par les textes et par l’envie de se laisser emporter dans une sorte d’océan musical avec ses eaux tantôt paisibles, tantôt tumultueuses. Quant à savoir si nous sommes engagés ou pas, tout dépend ce que l’on entend par ce terme. J’emploie rarement le premier degré dans les textes. En général le ton n’est pas vindicatif comme chez de nombreux chanteurs engagés. Mais notre engagement est total, oui, quand nous parlons d’écologie dans « On nous ment comme on respire », de l’irrationalité des hommes dans « Je te laisse ce monde » dans « Déraille », dans « Multicolère », dans « Homo sapiens », de la condition féminine dans « Prisonnière d’une cellule mâle », de la dérive du monde moderne dans « Chansons nettes », dans « Le miroir aux alouettes », etc.
Les aspects électroniques et world sont plus discrets depuis (4603 battements ) , au profit des guitares. Tant que l’herbe est grasse laisse lui aussi plus de place à un rock moderne. Est-ce volontaire, ou s’agit-il d’une évolution naturelle ?
Ce n’est pas réfléchi, pas prémédité, simplement le résultat du moment. Tu as raison, la part electro et world est toujours là mais plus en demi teinte. Nous ne nous imposons rien, si ce n’est essayer de retranscrire nos sentiments, nos sensations. Cette fois-ci, je suis d’accord avec toi, l’album a cette couleur rock moderne.
Considérant la sophistication de votre musique, le soin apporté aux textes et aux arrangements, on aurait tendance à vouloir vous coller l’étiquette « art rock ». Est-ce un qualificatif qui vous convient ? A quel genre musical vous identifiez-vous le plus ?
Comment se choisir une étiquette sans qu’elle ne soit trop réductrice ou, si on s’en invente une, trop pompeuse ! S’il faut s’en coller une, et bien « Prog « ou « Art Rock » nous va très bien, nous l’acceptons avec fierté, dans le sens où ce courant réunit tant de choses éclectiques, et tant de groupes qui nous ont nourris. En tout cas la famille du Prog nous a accueillis à bras ouvert et nous aimons le respect et la passion qui la caractérise.
A peine Tant que l’herbe est grasse est-il sorti que vous allez démarrer une tournée européenne. Rares sont les groupes français qui tournent à l’étranger. Peut-on en déduire que vos disques sont en général bien reçus dans les pays que vous visitez ? Ou est-ce votre réputation de groupe de scène qui joue en votre faveur ?
Je pense que nos concerts passés en sont à l’origine. Je reste persuadé que la scène est le seul et véritable endroit où l’on peut faire ses preuves. Mais aujourd’hui, c’est un mélange des deux car nos disques circulent de plus en plus et aident à présent à remplir les salles.
Vous partagez l’affiche avec Moon Safari sur les dates anglaises. Comment ces concerts ont-ils été organisés ? De façon générale, comment trouvez-vous des dates pour vous produire ?
La tournée anglaise avec Moon Safari est organisé par The Merch Desk. Nellie Pitts l’organisatrice a fait un beau travail, soutenu par une journaliste Anglaise, Alison Henderson, et le magazine CLASSIC ROCK PROG. C’est toujours symbolique et flippant pour un groupe français d’aller jouer au pays des Beatles, et en l’occurrence, l’accueil qui nous a par deux fois déjà été réservé fut magnifique. Ce tour s’annonce merveilleux, les réservations vont déjà bon train ! Il est très difficile de trouver des dates, la plupart du temps nos démarches restent lettres mortes, surtout en France. Alors aujourd’hui, nous avons pris le parti de laisser venir les propositions à nous. Le bouche-à-oreille fait son travail. Nous devons beaucoup à nos fans qui sont souvent les déclencheurs de nouvelles histoires. Le plus serait aujourd’hui d’avoir des tourneurs qui nous permettraient d’assouvir encore plus notre envie d’être sur scène.
Outre la tournée qui s’annonce, quels sont vos projets pour le futur ?
Nous avons pratiquement enchaîné la réalisation du DVD Live @ l’Abeille rôde et celle de Tant que l’herbe est grasse. Nous devons les faire vivre maintenant et nous concentrer sur les concerts. Donc pas de projet en tant que tel pour l’instant, malgré les idées qui émergent déjà. Une paire de clips vidéo serait pourtant la bienvenue, mais nous n’en avons pas les moyens à ce jour. A voir.
Quelque chose à ajouter ? Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ?
C’est un peu solennel mais sincère : faire de la musique, écrire des chansons n’a de sens que si on le partage avec les autres. Alors MERCI à vous tous qui faites vivre notre musique.
Merci infiniment !
Merci infiniment plus !