Marillion
16/12/2013
Le Bataclan - Paris
Par Christophe Manhès
Photos:
Site du groupe : www.marillion.com
Quand depuis toujours, on écoute Marillion avec intérêt sans en faire pour autant le pilier de sa collection « rock progressiste » et que, pour la première fois, l’on se rend à l’un des concerts de ce groupe phare, inévitablement, avant que la salle ne soit plongée dans l’obscurité, votre imagination travaille comme une locomotive. Le groupe est-il vraiment à la hauteur de l’adulation de ses fans ? Hogarth, chanteur exceptionnel en studio, est-il aussi performant en live ? Et le son Marillion, nappé et lyrique, passe-t-il sans dommage ? Car il faut reconnaître que les albums de ces vétérans sont non seulement d’une qualité remarquable, mais également d’une grande efficacité pop. Qu’en est-il sur scène ? Évidemment, impossible de se fier aux fans pour se faire une idée. D’autant que Marillion, précurseur dans l’usage du web, a su tricoter une relation quasi fusionnelle avec eux, laissant craindre l’hallucination collective.
De retour dans la grisaille parisienne pour une prestation unique au Bataclan, voilà donc l’occasion pour un non-initié de prendre la dimension scénique d’un groupe qu’il faut bien qualifier de phénomène après autant d’années d’activité.
Une fois n’est pas coutume, la première partie du concert a retenu l’attention de tous grâce à un jeune artiste canadien au nom poétique de Jacob Moon. Très bon chanteur et guitariste, il a séduit sans difficulté les fans de Marillion en interprétant avec beaucoup d’engagements, seul sur les planches, des versions très personnelles de titres célèbres comme « Come Talk to Me » de Peter Gabriel et « Subdivisions » de Rush. Ravi de cette incursion substantielle dans un patrimoine musical proche de lui, le public lui a réservé un excellent accueil, largement mérité.
Après une mise en place un peu longue, le temps de laisser quelques consommations suivre la pente du gosier, Marillion se lance finalement dans son set. Bonne surprise, dès le premier titre, le classique « The Invisible Man », les Anglais montrent un enthousiasme et une énergie étonnante. Jamais d’ailleurs Marillion ne se montrera blasé au cours de cette soirée, attitude qui inspire forcément le respect au vu de leur longue expérience scénique. Détendu, impliqué, le groupe envoie du bois, au point de surprendre tous ceux qui seraient restés sur la période planante sans avoir entendu leur dernier album, Sounds That Can’t Be Made, un des plus rugueux de leur discographie. Heureux de retrouver sa formation fétiche en grande forme, le public se connecte immédiatement à elle.
Seul bémol, le son déçoit. Si d’aucuns l’ont jugé bon pour le Bataclan, on pouvait aussi le trouver très fort et plombé par le jeu sec et trop présent de la caisse claire de Ian Mosley, retirant en finesse ce que le groupe gagnait en énergie.
Grosse surprise pour le béotien, l’incroyable présence de Steve Hogarth dont on comprend désormais l’adulation dont il fait l’objet. Un brin cabot, on découvre un dandy totalement investi dans son rôle de frontman, à l’attitude très théâtrale mais qui, il faut bien le dire, peut donner parfois l’impression d’être excessif. Trop poussée dans le mixage, impossible pourtant de ne pas reconnaître l’exceptionnelle qualité de sa voix, sa justesse et sa puissance. Hogarth est indiscutablement un grand chanteur qui ne peut laisser indifférent et que la scène galvanise. Quant aux autres musiciens, plus discrets, ils ne déméritent pas non plus. Pete Trewavas, jovial, jambes écartées, fait ronfler sa basse de manière très rock’n’roll, et Steve Rothery, concentré, réussi à émouvoir tout le monde avec son style autant lyrique que contrasté. Seul Mark Kelly déroute par son attitude plus fermée et par quelques choix esthétiques rappelant certains travers néo-progressif.
Durant une trop courte heure, Marillion jouera des titres du dernier album studio (« Sounds That Can’t Be Made », « Pour My Love » et « Power »), puis des classiques de son répertoire comme « Somewhere Else » ainsi que le vaste et magnifique « This Strange Engine » qui, malgré l’intervention trop voyante d’un saxophone préenregistré, donne une belle — mais fausse — conclusion à cette soirée. Car s’en suivirent trois rappels particulièrement imposants doublant l’heure du concert. Curieuse manière qui a le défaut de conférer au spectacle un rythme bancal. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a des moyens plus subtils de se faire désirer. Dommage, surtout que le menu à venir va se révéler de très bonne tenue avec un « Neverland » en premier rappel totalement habité par Hogarth et, en second rappel, un surpuissant « Gaza » qui devrait entériner cette composition comme nouveau classique dans le cœur des fans. « Garden Party » viendra clore, cette fois définitivement, la soirée par une évocation plus ou moins judicieuse du Marillion de la période Fish.
Le concert terminé, le nouveau venu dans l’univers live de Marillion ne peut conclure que de l’excellence du groupe malgré les défauts du son. Mais il finit aussi par s’interroger sur la place prise par la personnalité écrasante d’Hogarth. Parce qu’autour de ce drôle d’oiseau au ramage certes envoûtant, comme un coucou qui aurait envahi le nid, nous pouvons trouver frustrant de ne pas plus profiter des autres locataires rejetés en arrière plan. Sans voler sa réputation, le chanteur prouvant sans cesse sa valeur, il est regrettable que durant le show nous ne puissions pas goûter davantage à la part instrumentale de la musique de Marillion, celle qui donne justement toute sa saveur et son originalité au groupe. Si en studio la restitution des talents est mieux répartie, en live, nous découvrons que Marillion, plus pop que progressif, est avant tout le band d’un sieur Hogarth, et qu’il accapare beaucoup d’espace.