Leprous – Ascension progressive
Ce n’est un secret pour personne, Leprous est un véritable coup de cœur pour la rédaction de Chromatique. Lorsque l’occasion se présente d’interviewer leur guitariste, même par e-mail, nous ne pouvons décemment nous permettre de passer à côté. Leur petit dernier se nomme Coal, et il bouleverse tranquillement le chaos savamment organisé par les jeunes Norvégiens.
Chromatique : Bilateral semble avoir été très apprécié, on l’a vu atterrir dans de nombreux tops de 2011. Malgré tout, vous avez réalisé quelque chose de très différent avec Coal. Tentez-vous constamment de surprendre votre public ? A ce stade de votre carrière, nombreux sont les groupes qui se seraient contenté de répéter une même formule.
Øystein S. Landsverk : Ce n’est pas réellement notre but de surprendre à tout prix le public, mais on tend à proposer quelque chose de neuf et différent à chaque fois. Si ton but est de copier quelque-chose, je doute que tu puisses jamais atteindre le niveau de ce que tu avais réalisé la première fois. Ce doit être honnête pour être réellement bon, car c’est toujours ta passion qui nourrit le processus créatif. Si tu retires ça, tu supprimes tout le piquant de la chose. Et en toute franchise, on a toujours l’impression d’expérimenter. On se pointe en salle de répet’ et, je sais que ça sonne un peu cliché, on se laisse aller. On trouve une idée de départ sur laquelle se caler, on fait ce qui nous semble approprié sur le moment en essayant d’ignorer ce qu’on a pu faire auparavant. Evidemment, quoi que tu fasses, tu es imprégné de tout ce que tu as pu créer ; on parvient donc à conserver une sorte de signature. Coal sonne toujours comme du Leprous, en différent. Pour nous, c’est un axe majeur de progrès, d’amélioration, on adore travailler là dessus.
C’est probablement une question complexe, l’album étant certainement très frais dans vos esprits, mais pour le moment, de quoi êtes-vous le plus fier sur Coal ?
Je suis fier que l’on ait réussi à obtenir ce type d’approche. Les albums précédents étaient blindés d’idées, mais elles n’étaient pas vraiment interconnectées. Cette fois-ci, on a voulu relever le défi et ne pas simplement « coller » de nouvelles parties lorsque l’on était un peu à sec. La difficulté est de faire évoluer ce que tu as déjà écrit, créer quelque chose qui en soit une extension naturelle. Expérimenter, s’amuser, mais rester dans le cadre de la chanson. On pourrait citer en exemple la thématique rythmique de « Foe » ou l’intro au piano de « Chronic » . Ces deux parties posent les fondations pour le reste du morceau. Je pense que cela rend les chansons très solides.
En quelques mots, comment décrirais-tu Coal à une personne qui n’a jamais écouté une seule note de Leprous ? Comment le comparerais-tu aux autres albums ?
Question difficile ! Du metal passionné, dynamique et ouvert d’esprit ? La principale différence entre Coal et les autres albums, j’en ai déjà un peu parlé précédemment. On est resté un peu sur la retenue en terme d’expérimentation, et on a tenté de demeurer sur la voie qu’emprunte chaque titre. On garde les thèmes ou les ambiances créées, on s’accroche à ce qui fait la personnalité de chaque chanson. Sur Bilateral et Tall Poppy Syndrome on jetait les idées sur le papier telles qu’elles venaient. Parfois ça fonctionnait, et d’autres fois on se prenait un mur (rires). On cherche toujours à trouver une sorte d’équilibre. Je pense que c’est facile pour l’auditeur de reconnaître un morceau de Coal. Il possède une énergie plus sombre et aggressive que les autres.
Peux-tu nous parler un peu de morceau « Contaminate Me » ? C’est une de vos chansons les plus dépressives, mais également une des plus progressives…
C’est vrai, elle est plutôt sombre. Pour moi, c’est un peu le climax, le point culminant de l’album. Pas dans le sens où elle serait « meilleure » que les autres, mais aucune autre n’a ce sens du chaos et du désespoir. Pour moi, c’est peu comme si les autres morceaux construisaient une voie naturelle vers le final de l’album, et ensuite elle se pose là, pour mettre un point final à tout cela. Lors de l’écriture, nous n’avons pas mis longtemps avant de penser à demander la participation de Vegard Tveitan au chant. Il possède cette voix très caractéristique, écorchée, désespérée, qui complétait parfaitement le morceau. Le résultat est excellent !
L’album contient des parties répétitives, comme des échos ou des ostinati. Ces effets hypnotiques étaient-ils intentionnels ?
Ce n’était pas une intention en soi, plutôt une résultante de l’approche dont j’ai parlé un peu plus tôt. L’utilisation d’ostinati ou de thèmes basiques pour créer les fondations de chaque morceau était importante, et a joué un grand rôle dans l’écriture. Cela a créé cette sensation atmosphérique, cette pulsation pour l’album, qui s’est ajoutée à toute notre énergie.
« Sombre » est un mot qui sied parfaitement à l’album. A-t-il été composé dans une période particulière, ou votre volonté était-elle de mettre en avant cette facette de votre personnalité pour ce disque précis ?
Ce n’est pas dû à un évènement en particulier, nous n’avions pas spécialement envie de le rendre « sombre ». Réponse peu excitante, je sais, mais c’est juste la façon dont les choses ont tourné. Contrairement aux albums précédents, Coal a été créé en l’espace de quelques mois, le process ne fût pas très long. C’est peut-être pour cela que ce feeling transparaît tout du long…
Il n’y a aucun solo de guitare, alors que vous êtiez très bons dans ce domaine. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix?
Merci pour le compliment ! On a laissé tomber l’idée des solos car cela ne fonctionnait nulle part sur les morceaux. Nous sommes de plus en plus focalisés sur le fait de garder un cap bien précis sur chaque chanson. Les solos de guitare sont généralement ajoutés pour de mauvaises raisons, souvent plus démonstratives que musicales. On n’a pas fait un trait dessus pour le futur, mais disons que Coal ne correspond pas à cela, pas à ce type de sortie. En fait, j’avais prévu d’en faire un pour la chanson bonus « Bury », en toute fin d’album. Finalement, l’idée m’a déplu, et j’ai préféré développer la guitare rythmique pour qu’elle se rapproche un peu plus de ce que faisaient la basse et la batterie. J’ai ajouté également une partie de guitare lead, pour être dans la continuité du chant.
As-tu ressenti l’intérêt plus prononcé du public pour Leprous en 2013 ? Cela a-t-il rendu ta vie de musicien plus facile ?
On a été booké cette année pour la plupart des festivals d’été, donc cet intérêt, nous le ressentons. Tout cela est certainement dû aux efforts fournis et aux nombreux shows que nous avons donné à la suite de Bilateral. On a tout fait pour terminer Coal à temps afin de le promouvoir sur 2013, et par chance, on a déjà pas mal de concerts programmés ! C’est évidemment une bonne chose que cet intérêt pour le groupe, mais on reste dans une position où les revenus générés par Leprous ne nous permettent pas d’en faire un job à plein temps. Du coup, s’il pouvait y avoir encore un peu plus d’intérêt pour nous, je serais preneur (rire). Au quotidien, c’est plus dur à gérer dans le sens où la partie administrative prend plus de place, mais ça ne nous décourage pas. Pouvoir jouer toujours plus de concerts, ça, ça en vaut la peine !
Chacun de vos albums possède sa propre identité musicale, mais également une identité visuelle très forte. Parlez-nous un peu de celle de Coal, et de la signification de ce crâne ?
Pour nous, le visuel est toujours un peu la dernière pièce du puzzle. Tu dis que chaque album a sa propre identité, et tu as raison. Mettre en avant ces aspects musicaux caractéristiques aide beaucoup à orienter le travail graphique. Coal est foncièrement différent de Bilateral, et inclure sur la pochette une « sirène-à-bulles-pressant-du-jus-au-milieu-des-champignons », cette fois, ça ne collerait pas… C’est à la fois plus sombre et plus sérieux, et appelle donc quelque-chose de différent. Notre première approche fût celle d’une pochette très très simple, un peu comme le design du livret. Au final nous avons à nouveau contacté Jeff Jordan, et tout s’est résolu. Concernant le crâne de diamant, nous en laissons l’interprétation aux auditeurs.
Vous allez jouer cette année au Hellfest et serez à l’affiche le même jour qu’Ihsahn. Cela vous est-il déjà arrivé, et quel en sera le challenge principal ?
Le fait de jouer à la fois pour notre groupe et pour Ihsahn n’est pas inédit. On l’a fait plusieurs fois, notamment l’année dernière au Graspop en Belgique. De manière générale, nous faisons un set plutôt court pour Leprous, puis reprenons notre souffle cinq minutes, nous posant un peu, avant de remonter rapidement sur scène pour un show plus long. C’est un challenge physique, mais le jeu en vaut la chandelle. Sincèrement, c’est du gagnant-gagnant pour Ihsahn et nous. On a tous les deux la possibilité de jouer, et les promoteurs n’ont à payer les frais de déplacement qu’une seule fois (sourire). Cet été, la plupart de nos concerts seront de ce type.
Je profite que nous parlions d’Ihsahn pour aborder à nouveau le sujet de sa participation à l’album sur « Contaminate Me ». Quelle est la chose la plus importante que vous ayez apprise à ses côtés ?
Nous avons déjà travaillé avec Vegard par le passé, cela nous vient très naturellement. On le connaît tous depuis de nombreuses années, c’est une personne exceptionnelle en plus d’être un musicien talentueux. Je crois que lui et Heidi Solberg Tveitan ont participé d’une manière ou d’une autre à l’ensemble de nos disques. Ils sont tous deux excellents dans ce qu’ils font, et nous ont beaucoup aidés lors de l’enregistrement dans leur studio : « Ivory Shoulder ». Ils sont souvent là pour nous pousser à être plus spontanés, plus pertinents dans ce que nous faisons. Cela peut être réellement gratifiant, car ce que tu improvises s’avère souvent être la musique la plus honnête et passionnée que tu crées.
Un album tous les deux ans, beaucoup de temps passé sur les routes, pensez-vous avoir trouvé votre rythme ? Pensez-vous que de nos jours cela soit la seule façon pour un jeune groupe d’espérer un jour vivre de sa musique ?
Pour le moment, nous sommes loin de pouvoir vivre de notre activité avec Leprous, mais on espère de tout cœur y parvenir. Toutes les tournées que l’on a pu faire n’ont pas vraiment boosté nos finances, bien au contraire, mais cela s’améliore petit à petit. La dernière en tête d’affiche était sympa, on espère faire encore mieux cette automne. En ce moment, l’industrie du disque est plutôt un territoire hostile et difficile à pratiquer, mais on fait de notre mieux pour tourner le plus possible et sortir de nouveaux albums. C’est une route longue et difficile, mais tout musicien sait que c’est la seule voie envisageable. Il faut se donner corps et âme, et on s’est toujours préparé à faire ce qui était nécessaire. On a bon espoir de pouvoir sortir de nouveaux disques un peu plus fréquement, mais en attendant, on a un été très long et une tournée devant nous, j’ai hâte !