Jeudi dernier, la salle mythique du Bus Palladium accueillait quelques journalistes afin qu’ils jettent une oreille au très attendu nouvel album de Deep Purple. Une conférence de presse en la présence des vénérables Ian Gillan et Ian Paice était également prévue à l’issue de cette séance d’écoute studieuse, et Chromatique fût présent pour couvrir l’évènement.

S’il n’avait fallu que trois petites années à Deep Purple pour donner un successeur au controversé Bananas, c’est sept ans après le solide Rapture of the Deep que débarque leur nouvel album. Un titre aussi espiègle et énigmatique que Now What?! peut être source de spéculations quant à sa signification, mais c’est probablement la seule et unique question qui taraude les journalistes présents lors de cette préécoute de l’album : et maintenant, de quoi sont-ils encore capables ? Peuvent-ils encore nous surprendre, se renouveler, pondre de furieuses pépites à la « Highway Star » ou « Burn »? Autant l’avouer, nous ne pourrons apporter à ces questions qu’une réponse de Normand : oui et non. L’exercice du compte-rendu après une seule écoute s’avérant hautement périlleux, nous remercierons donc nos lecteurs pour leur compréhension et ne porterons en aucun cas un jugement définitif quant à la valeur de cet album.

Petite déception de prime abord : la sono fortement portée sur les basses ne permet pas d’émettre un avis quant à la qualité globale de la production. Ian Gillan se voit propulsé en retrait dans le mix alors que Steve Morse semble parfois exagérément présent. Passons donc sur cet aspect technique pour se concentrer sur le principal : « A Simple Song », un titre qui ne ment pas sur son contenu et inaugure l’album en misant tout sur l’efficacité d’un mid tempo propre, moderne et sans autre fioriture que celle d’un orgue Hammond. Les trois premiers morceaux constituent ainsi une entrée en matière relativement molle (le tempo ne s’élevant que rarement) et finalement peu surprenante si l’on excepte le solo guitare/clavier plutôt tordu de Weirdestan. Les riffs se font lourds et quelque peu convenus mais s’avèrent rattrapés par des refrains aux harmonies plus travaillées. On retrouve ainsi Ian Gillan là où on l’avait laissé en 2005, en bonne forme, à l’aise dans un registre naturel et chaleureux.
« Hell to Pay » avait déjà été révélé au format single, et prend dans sa version longue un rôle de pierre angulaire, marquant l’entrée dans la substance la plus dense de l’album. On apprécie d’emblée son tempo plus relevé, l’urgence et l’intensité qui s’en dégagent, tout en se doutant que son refrain à la Kiss, calibré pour les stades, ne plaira pas nécessairement à tous les fans. Les lignes vocales se font plus intéressantes, on retrouve les envolées néoclassiques chères à tout amateur du groupe, et le long solo d’orgue Hammond, quasi improvisé, semble là pour nous rappeler que le Deep Purple des 70’s est inscrit dans leurs gênes. On effectue un détour en territoire hard blues sur le groovy « Body Line » qui rappelle Whitesnake, pour repartir sur un très efficace et heavy « Above and Beyond. Ses envolées lyriques et son refrain marquant mettent parfaitement en valeur Gillan alors qu’on regrette un peu l’absence d’un réel décollage de l’ensemble qui promettait plus que ce qu’il nous offre au final.
On entre ensuite dans le triptyque le plus progressif de Now What ?! avec « Blood From a Stone », « Uncommon Man » et « Après Vous ». Les breaks se font plus dynamiques, plus surprenants, souvent à l’unisson entre la guitare et le clavier qui gagne en présence, alternant les sonorités classiques et modernes sans complexe. On en vient parfois à penser à Yes ou Rush sur des passages hard prog accrocheurs et quelques sonorités délicieusement datées (ce son de « trompettes » risque de faire parler de lui…). De nombreux indices laissent à penser que les compos sont nées de séances d’improvisations et la conférence de presse à l’issue de l’écoute viendra confirmer cette impression. Après ces passages plus intenses, que l’on adorerait pouvoir se repasser immédiatement, l’heure de la conclusion est venue.
On retrouve un blues cette fois teinté de sonorités country grâce à « All the Time in the World », morceau qui serait des plus classiques si l’on oubliait son magnifique lead de guitare. Sans aucune note de trop, Steve Morse réalise sur ce disque l’exploit de retenir un peu son médiator et de ne pas shredder à outrance. Peut-être l’un des effets bénéfiques de la présence de Bob Ezrin à la production ? Petite curiosité, « Vincent Price » joue sur les accents horrifiques et théatraux d’un hard rock plus caricatural et pataud, tentant de piétiner maladroitement les plates-bandes d’un Ozzy ou d’un Alice Cooper qui n’en demandaient pas tant. Dispensable sans être déplaisant.
En résumé, le Deep Purple de 2013 semble être en quête d’authenticité et de modernité, concédant certaines facilités en terme de riffs ou de refrains pour mieux nous surprendre par son feeling live particulièrement prégnant. Hasard ou réel hommage à John Lord, un des faits marquants restera la liberté donnée à Don Airey, particulièrement mis en valeur sur une majeure partie des morceaux.

Ian Gillan et Ian Paice prennent alors place sur scène, se prêtant au jeu des questions-réponses face à un parterre de journalistes plutôt intimidés et désarmés face à la simplicité de ces géants du rock.

A propos de la pochette et du titre de l’album.
Now What ?! est en quelque sorte une réponse un peu ironique aux demandes incessantes d’un nouvel album après huit ans d’absence. La simplicité de la pochette et du titre sont surtout là pour attirer l’attention, intriguer. Ils indiquent par ailleurs que cette symbolique, cette pochette, serviront à illustrer la tournée et paraîtront beaucoup moins étranges dans quelques années.

Sur le processus créatif
. Ils ont tenté pour cet album de retrouver la méthode de composition de la grande époque de Machine Head, une période où l’instrumental prévalait sur le reste, où ils composaient d’abord de la musique au sens propre avant de penser au format chanson. L’idée était de gagner en fraîcheur tout en retrouvant ce plaisir qu’ils ressentent sur scène. Ils sont particulièrement satisfaits de la manière dont Bob Ezrin a su capter cet esprit live. De plus, il a eu tendance à corriger très rapidement les errances des musiciens, pour un gain de temps indéniable en studio et un nombre de prises limité, donnant un résultat plus spontané à l’ensemble.

L’origine du morceau « Après Vous »
. Le titre de la chanson est tiré d’une anecdote remontant à un concert de Ian Gillan durant la tournée Rock meets Classic. Lors du rappel sur « Smoke on the Water », le public s’est précipité au devant de la scène, et une femme très ronde (une « femme Michelin » selon ses termes) attirait l’attention dans son accoutrement provocateur. Au moment d’entrer sur scène, il demande à Steve Lukather de se « sacrifier » en lui glissant à l’oreille : « Après Vous ». Cette histoire fût le point de départ de la chanson.

L’enregistrement à Nashville
. L’ambiance fût particulièrement stimulante, le studio étant à proximité de nombreuses salles de répétition ou d’audition, dans différents styles musicaux. Bob Ezrin vit de façon permanente à Nashville, il forme lui même ses propres ingénieurs du son, ajoutant encore une plus-value à un studio déjà exceptionnel. En comparaison à Los Angeles et New York, Nashville concentre au même endroit les meilleurs musiciens et les meilleures infrastructures existantes. C’est définitivement la destination qu’ils choisiront s’ils décident d’enregistrer à nouveau un album.

Leurs impressions sur Facebook
. Ian Paice déclare que les millions de fans sur leur page Facebook sont tous des membres de sa famille, déclenchant des rires dans la salle. Il explique qu’un jour en état d’ébriété, il s’inscrivit sur Facebook, ce qui lui semblait au départ une bonne idée. Jusqu’à ce qu’il se réveille le lendemain avec 3000 demandes « d’amis », puis 25 000 avant la fin de la journée… Depuis cette expérience effrayante, il utilise un nom factice sur Facebook.

L’origine du morceau « Vincent Price »
. « Vincent Price » était au départ un titre provisoire, car la chanson pouvait évoquer l’ambiance d’un film d’horreur. Le groupe a réellement connu Vincent Price, car il a travaillé avec lui à une époque lointaine, et a imaginé les paroles à la manière dont il réaliserait un film d’épouvante. Ils ont donc tout naturellement pioché dans le champ lexical du genre horrifique, évoquant les zombis, les femmes dénudées ou les éclairs pour donner vie au morceau.

Le secret de leur longévité
. A l’origine, lorsqu’ils étaient de simples gamins jouant de leurs instruments, le but était de prendre du plaisir, d’être heureux. Et c’est toujours dans cet esprit qu’ils montent sur scène, après toutes ces années, comme des gamins de quinze ans voulant s’éclater devant un public désormais bien plus important. Ils prennent toujours du plaisir et ne voient absolument pas pourquoi ils pourraient vouloir mettre fin à ce mode de vie. L’improvisation reste également une constante dans leur musique, ce qui leur permet de se renouveler d’un soir à l’autre sans éprouver de lassitude.

Le fait de devoir jouer encore et toujours les vieilles chansons sur scène ne les frustre t-il pas ?
Ils sont conscients de leur devoir de faire plaisir aux spectateurs. En concert ils tentent ainsi de mélanger en proportions relativement équivalentes les classiques, les improvisations, les morceaux plus obscurs et les nouveautés. Mais ces dernières doivent être réparties intelligemment dans la set-list afin d’être mises en valeur de façon appropriée par les chansons plus connues. Ils réfléchissent régulièrement à la manière la plus efficace de construire un « show » au sens propre, avec ses moments clefs, ses passages obligés… Dans les années soixante-dix, il leur arrivait de demander au public de s’asseoir pendant des sets de blues, afin de mieux capter leur attention. Sur la prochaine tournée, quatre ou cinq morceaux de Now What ?! devraient être interprétés, et ils les feront tourner jusqu’à déterminer les candidats « naturels » qui resteront sur la setlist.

Leur relation avec la France.
Ils ne savent pas vraiment ce qui a pu se passer, mais ils n’ont jamais autant joué en France qu’à l’heure actuelle. C’était pendant de nombreuses années un marché mineur pour le groupe, bien qu’ils aient régulièrement tenté d’y percer. Au final, ils partent du principe qu’ils n’ont jamais changé, et que c’est donc le public qui est aujourd’hui différent (ils ont reçu de nombreuses lettres d’ados et d’enfants il y a quelques années, démontrant l’intérêt et l’aspect probablement « viral » du phénomène). Ils nous font remarquer que nous sommes chanceux d’avoir autant de Zéniths, des salles permettant selon eux de conserver une certaine intimité sans sacrifier l’aspect spectaculaire de l’événement. Ils terminent en soulignant que la situation en Angleterre ou Allemagne est loin d’être la même, les villes de taille moyenne ne sont pas aussi bien équipées.

Prochaines dates de concert :

30 mai – Rabat (Maroc) / festival Mawazinz
25 juillet – Montecarlo / Sporting
13 août – Colmar / Foire aux Vins
20 octobre – Paris / Le Zénith


Merci à Olivier Garnier (Replica Promotion) et Sabrina Cohen (Verycords) pour leur invitation.