Steven Wilson – Histoires de fantômes
Chromatique : Alors, es-tu prêt pour ta prochaine tournée ?
Steven Wilson : Non ! (rires) Mais je le serai. Pour l’instant je suis en phase de promotion donc je n’y ai pas encore trop pensé, mais quand je rentrerai, nous commencerons tout de suite à nous préparer et à répéter.
Peut-être peux-tu nous dire ce que l’on peut en attendre ? Est-ce qu’elle sera très différente de la précédente ?
Très différente, non, je ne pense pas. Ce sera similaire mais, je l’espère, en plus grand et en mieux ! Tout le principe pour le spectateur, c’est qu’au moment où il rentre dans la salle, il se passe quelque chose, il intègre déjà une atmosphère. Il n’y a pas de première partie… mais il y a quelque chose en place au moment où il arrive. Du son, des images…
Nous allons évidemment nous concentrer sur les nouveaux morceaux, en jouer la majorité si ce n’est la totalité. Il y aura des films projetés, des nouvelles idées visuelles. Nous utiliserons, comme lors de la tournée passée, la quadriphonie, et ce sera je l’espère, un peu plus spectaculaire. Ce sera une production de plus haute qualité. Gobalement, nous restons dans cette idée d’une immersion audio visuelle totale.
Je suppose donc que Lasse Hoile est de la partie encore une fois ?
Oui, il travaille actuellement sur des nouveaux visuels pour moi, absolument.
Concernant l’immersion prévue, est-ce que cela veut dire que tu es sur un nouveau Bass Communion ? Tu sais que tu as de nombreux fans…
Ah, oui ! (rires) J’avais utilisé la musique de Bass Communion pour la tournée précédente, pour l’intro et l’outro… et là… c’est la même chose.
Si tu ne veux pas trop en révéler, ne dis rien !
Je ne veux pas trop en dire, mais c’est quelque chose de similaire quoiqu’un peu différent. Tout ce que je fais, découle de ce que j’ai appris ; de mes expérimentations passées, de ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas été concluant. Ce que je vais présenter sera donc une nouvelle approche, meilleure je l’espère, de cette même idée.
Au sujet de la tournée, j’ai lu que la précédente avait été compliquée financièrement. Est-ce que ce sera encore le cas cette fois-ci ?
Je le crois… Le problème, c’est qu’il est très difficile de faire ce que j’essaie de réaliser, en termes de performance live, au niveau où je me situe actuellement. Je ne suis pas Peter Gabriel, je ne peux pas jouer devant quinze mille personnes tous les soirs, je joue devant… mille personnes, et malgré cela, j’essaie de monter un spectacle dont les qualités de production sont équivalentes à celle d’un concert en stade, et ça coûte cher. J’ai aussi cinq musiciens qui sont parmi les meilleurs au monde, pas vrai ? Ils veulent tous être payés, et comme ils le peuvent, ils demandent beaucoup d’argent, et ils ont raison puisqu’ils sont excellents ! Je suis dans une situation où j’ai d’autres projets dans ma carrière qui me permettent de gagner de l’argent et financer mon projet solo, ce qui en fait au final un travail purement passionnel, c’est-à-dire que je fais ce que j’ai envie de faire, au plus haut niveau.
Je n’ai pas vraiment envie de faire des compromis, ce serait trop facile pour moi de dire « je ne peux pas me permettre d’avoir un écran et des films en fonds, de faire une tournée », non, je veux monter sur scène et jouer ma musique, c’est tout.
C’est très intéressant de voir qu’après vingt ans de carrière, tu fais passer avant tout le « passionnel », c’est un retour aux sources finalement, faire de la musique parce que l’on aime ça.
C’est ce que j’ai toujours fait. Tout ce que j’ai fait, c’était parce que j’en avais envie. Mais c’est le fait d’être en solo qui rend la situation financière compliquée, parce qu’on ne paye pas uniquement son équipe, mais le groupe aussi. Dans Porcupine Tree par exemple, je n’ai pas à payer les musiciens, nous étions tous au même niveau. On jouait devant plus de monde mais cela nous a quand-même pris des années avant de gagner de l’argent ! Nous étions déficitaires sur chaque tournée jusqu’à la sortie de Deadwing en 2004. Ce fut la première fois où nous revenions de tournée avec de l’argent, après des années et des années… mais c’est ça les tournées, malheureusement. La différence, c’est qu’autrefois elles servaient à promouvoir l’album, maintenant promouvoir l’album ne sert à rien, puisque de nos jours les ventes ont tant baissé. On ne peut plus dire « bon, on va perdre de l’argent en tournée mais c’est pas grave parce que les ventes vont rattraper tout ça ». La plupart des groupes essaient donc de partir et de gagner de l’argent quand même. Donc, je me retrouve dans une situation où je vais en tournée et j’en perds, mais ça m’est égal. Au final, si les gens viennent au concert et qu’ils en prennent plein les yeux et les oreilles, je me dis qu’ils vont en parler à leurs amis, et la fois suivante, quand je reviendrai, peut-être que je jouerai devant plus de personnes, et je finirai par gagner de l’argent. Pour l’instant, on peut dire que c’est un investissement. Et puis il faut dire que je m’amuse beaucoup aussi, donc ça c’est bien ! Au moins j’ai ça.
Je souhaitais évoquer ce sujet, même si ce n’est pas forcément très plaisant ; tu dois être au courant que le nouvel album a filtré sur Internet…
Oui, bien sûr.
Est-ce que tu souhaites en dire deux mots ?
Hum… non pas vraiment. Cela arrive à tous les albums maintenant, pas vrai ? La différence cette fois, c’est que c’est arrivé beaucoup plus tôt qu’à l’accoutumée. J’aurais préféré… je pense que j’ai intégré l’idée qu’il allait filtrer, mais j’aurais préféré que ce soit une semaine avant sa sortie, pas six Je ne sais pas quoi en dire… c’est inévitable.
Je suppose que c’est une bonne manière de voir les choses.
Oui… ça ne veut pas dire que c’est bien !
Qu’utilises-tu comme matériel sur scène actuellement, pour la guitare et le clavier ?
Je joue beaucoup moins de guitare qu’autrefois, qu’avec Porcupine Tree, parce que… eh bien déjà, j’ai un guitariste exceptionnel. De plus, j’essaie de me concentrer sur un rôle de frontman. Je suis très attaché à ma Paul Reed Smith, mes Paul Reed Smith plutôt, et mon ampli Bad Cat. J’ai un pédalier TC G System… je crois sincèrement qu’il faut rester simple en concert. Je sais que certains guitaristes ont trois cents racks d’effets, et ils passent leur temps à les régler, c’est toujours un cauchemar pour les soundchecks, un câble de mal branché et cette pédale ne fonctionne pas… Je reste simple, j’ai un compresseur, une pédale Wah-Wah, une pédale de volume et à part ça, simplement ma Paul Reed Smith branchée directement au Bad Cat. Concernant le clavier, puisque j’enregistre avec Logic Pro en studio, je prends tous les VST pour les concerts, et j’utilise Main Stage, tu vois ce que c’est ?
Oui absolument.
La partie concert de Logic Pro en gros. C’est très facile à manier au final, j’ai tous les patchs que j’utilise sur l’album à disposition, je les mets sur Main Stage, et voilà mon clavier ! Et je donne tous les patchs à Adam, l’autre claviériste du groupe. Pour l’enregistrement, il a surtout travaillé sur les « vrais » claviers, le Hammond, le piano, le piano électrique… mais pour les concerts il doit aussi s’occuper en partie du reste. Donc encore une fois, ça reste très simple.
Mais en restant simple, ça fonctionne bien.
Oui c’est sûr, enfin parfois on peut se planter quand même !
J’ai remarqué que tu avais tendance à perdre tes médiators sur scène !
Oh oui. Tout le temps ! Mais je suis un si mauvais guitariste ! Tu vois, je ne suis pas un vrai guitariste, je n’ai jamais pris de cours, et mon style est très… désordonné. Je pense que ça a son charme, mais ma technique de jeu serait sans doute le cauchemar d’un prof de guitare. Je fais toujours tomber mes médiators, mais c’est pas grave, comme ça les fans peuvent les récupérer et ça fait des souvenirs.
Et alors, qu’est-ce que ça fait de jouer avec Guthrie Govan ?
C’est incroyable, c’est super. C’est une personne exceptionnelle, très humble, et un guitariste talentueux comme on ne pourrait l’imaginer. Dès que je l’ai vu jouer, j’ai su qu’il était celui qui allait pouvoir prendre ma musique et l’emmener à un niveau supérieur. C’est fantastique d’avoir un guitariste de ce niveau dans le groupe. Un des avantages, c’est que les musiciens sont tellement bons que d’abord je me sens plus en confiance, même si je suis mauvais, je sais que le groupe va en mettre plein la vue au public et ensuite cela veut dire que je peux me concentrer sur un rôle de frontman et de chanteur. Jamais je n’avais imaginé me retrouver dans ce rôle. Les autres peuvent tout gérer, et pour la première fois, je suis juste là à chanter des chansons. Je n’avais jamais envisagé devenir un chanteur, et vingt ans plus tard, non seulement je le suis mais en plus je bouge sur scène et j’interagis avec le public. Ce n’est vraiment pas quelque chose qui me vient naturellement, mais avoir des gens comme Guthrie derrière, ça aide ! (rires)
C’est vrai qu’avec le groupe solo, tu as l’air plus libéré sur scène, plus décontracté !
Oui, bien plus qu’avant. Avoir ces musiciens avec moi me donne la confiance nécessaire pour pouvoir le faire. Même si Guthrie n’était pas là pour le tour précédent, j’avais d’autres très bons guitaristes. Cela donne un sentiment d’invincibilité. Quand j’arrive sur scène, je me dis que quoi qu’il arrive, on va réussir à impressionner le public. Dès lors, je me sens plus calme, plus confiant, et je suis prêt à le regarder dans les yeux.
Comment ça s’est passé avec Alan Parsons ?
C’était génial ! Il était en haut de la liste des ingénieurs du son avec qui je voulais travailler. Je cherchais quelqu’un qui avait de l’expérience dans la manière dont les artistes enregistraient leurs albums autrefois : à l’ancienne, avec des microphones, des compresseurs, des égaliseurs et des tables de mixage analogiques, pas d’ordinateurs. Je voulais que l’album sonne un peu début des années soixante-dix, mais sans tomber dans le rétro, dans la nostalgie. Je savais que cela sonnerait moderne de toute façon, ma musique ne ressemble pas vraiment à celle que l’on composait en 1972, mais je voulais aussi capturer cette impression que l’on peut avoir en écoutant les grands albums de ces années-là. Un son très organique, très poli. Je voulais travailler avec quelqu’un qui était habitué à ce procédé, et ils ne sont plus si nombreux. C’est un art perdu, du moins c’est en train de le devenir ; de nos jours tout le monde, moi y compris, enregistre la musique avec la technologie moderne. Alan ne touche même pas un ordinateur, ils le terrifient ! Il était en haut de ma liste parce qu’il a travaillé sur The Dark Side of the Moon qui pour beaucoup de gens est l’album au meilleur son de tous les temps. Que tu apprécies la musique ou non (personnellement je l’adore), il est difficile de le nier : il a un son absolument exceptionnel ! Alan a été le premier à m’appeler. J’ai été heureux de constater qu’il savait qui j’étais, il appréciait mon travail, et donc c’était fantastique. Une de mes craintes était de savoir s’il allait être capable de travailler comme ingénieur du son sur mon album, parce qu’il est habitué à être producteur et artiste. Au final, ça s’est très bien passé ! Il a vite accepté le fait que j’étais le producteur, que c’était ma vision qui comptait, que je suis un maniaque qui veut tout contrôler. Il a fait un excellent travail.
Fantastique. Parlons un peu plus du nouvel album et notamment des paroles, si cela te convient. Est-ce que « The Holy Drinker » est inspiré du film ? Ou du roman ?
Non, mais j’ai volé le titre ! (rires) J’ai vu le film, je n’ai pas lu le livre, qui a écrit ça, Joseph Conrad ?
Non, je ne crois pas…
Je n’ai pas lu le livre, j’ai vu le film, il y a très longtemps, je crois me souvenir que Rutger Hauer joue dedans pas vrai ?
Oui !
J’ai toujours aimé le titre, je l’ai volé et j’ai développé ma propre histoire. « The Holy Drinker », c’est l’histoire – tout l’album est basé sur des histoires fantastiques, de fantômes et de ce genre là, dans son sens très classique – d’un homme, très religieux, sanctimonieux même. Il est aussi alcoolique, comme beaucoup, et il lance un défi au diable, sans le savoir, dans un concours de descente d’alcool, et évidemment, comme on ne peut pas gagner contre lui, il finit en enfer. D’une certaine manière, il obtient la preuve de l’existence de Dieu et du diable, mais de la pire des manières possibles. Donc l’approche est assez… humoristique, c’est du fantastique, mais du fantastique drôle.
Est-ce que « The Watchmaker » parle de religion également ?
Non, d’un couple en proie à l’apathie, d’un homme et d’une femme qui ont été ensemble pendant presque toute leur vie, et qui sont maintenant très vieux. Ils ont passés cinquante ans ensemble, mais ils ne s’aiment pas vraiment. C’est l’idée d’être avec quelqu’un parce que c’est pratique, ça facilite la vie, mais il n’y a pas de vraie passion, de vraie… alchimie. C’est comme quand tu sors avec quelqu’un, que tu n’es pas complètement dingue de cette personne. Même si c’est bien d’avoir quelqu’un, un jour tu réalises que cinquante ans ont passé, et tu es encore avec elle. Cinquante ans que tu ne peux plus rattraper. C’est centré sur la notion du regret, ce qui aurait pu arriver, ce qui aurait dû arriver. L’horloger, le héros de cette histoire, pense à sa vie gâchée de cette manière, et le côté fantastique n’arrive qu’à la fin de la chanson, lorsqu’il finit par tuer sa femme. Il l’enterre sous le plancher de son atelier, et elle revient le hanter. « Tu m’as eu à tes côtés pendant cinquante ans, tu ne vas pas te débarrasser de moi aussi facilement ! ». Beaucoup de ces histoires de fantômes, comme c’est le cas pour les textes du fantastique classique, sont avant tout des histoires sur des personnes. Des émotions, des sentiments, des relations, et le fantastique n’arrive qu’après cela. Elle est surtout centrée sur le regret, sur l’apathie, sur le fait d’être avec quelqu’un sans que cela ne mène à rien de vraiment bien.
Cette histoire ressemble beaucoup à la nouvelle de Poe intitulé « le Chat noir »
Je ne la connais pas. C’est une nouvelle ?
Oui, c’est une nouvelle. Ça parle d’un homme marié qui a une querelle avec sa femme, de manière similaire, et sans trop en raconter, le fantastique n’intervient réellement qu’à la fin.
Je pense que beaucoup d’histoires fantastiques de cette période peuvent être lues comme des histoires « normales », centrées sur la condition humaine, et en cela elles diffèrent des films hollywoodiens. Les personnages sont souvent des adolescents insupportables, dont on se fiche éperdument, et il ne passe rien d’intéressant. Ce que j’aime, c’est le fait que l’on puisse comprendre les morceaux du dernier album comme des histoires sur la condition humaine.
D’accord. J’ai pensé qu’il y avait peut-être un lien avec la religion du fait de la théorie du « watchmaker », à propos de l’existence de Dieu.
Ah oui ! Je vois.
Donc j’ai supposé que la relation dans la chanson était métaphorisée pour une relation entre un homme et Dieu.
Je n’avais pas pensé à ça. Pour moi « The Watchmaker » est typiquement une histoire du romantique gothique classique, avec un héros, un cordonnier par exemple, dont le travail est extrêmement mécanique, et cela finit par refléter son mode de pensée. Mais c’est intéressant que tu en sois venu à quelque chose de complètement différent.
As-tu une routine pour écrire tes paroles ? Est-ce que tu as déjà commencé par écrire les textes d’un morceau par exemple, ou une trame narrative, avant de penser à la musique ?
En vingt ans de carrière, j’ai tout fait. J’ai à peu près essayé toutes les méthodes. J’ai essayé de commencer par les paroles, mais avec l’expérience acquise au cours des années, j’ai compris qu’il ne fallait pas essayer d’inverser la machine, d’adapter la musique aux paroles. C’est assez maladroit à mon sens. Je pense qu’elles doivent être au service de la musique, et pas l’inverse. Parfois ça s’entend d’ailleurs, quand on écoute de la musique et que les textes sont devenus plus importants que le reste. Il en résulte en une musicalité maladroite à mon goût. Je n’aime pas ça. Donc, en général j’écris d’abord la musique, en faisant des mélodies vocales, je chante en yaourt, pour voir ce qui colle, et ensuite je cherche les mots, la poésie qui corresponde à la mélodie. Avant tout, il est question de musique, pas de romans ou de nouvelles ou de poésies. Mais en même temps je veux que les paroles soient intéressantes en elle-même, qu’elles aient aussi un certain degré de profondeur, donc le processus est complexe. Quelquefois, elles sont très simples : dans le morceau qui a donné son titre à l’album, The Raven That Refused To Sing, par exemple. Au point que si on les considère seules, elles ont l’air tout ce qu’il y a de plus banal. Tout ce que cela dit, c’est « stay with me, dalida », mais la combinaison des paroles et de la musique a une sacrée puissance ! Nous avons organisé quelques sessions d’écoutes à New York et à Los Angeles la semaine dernière, et j’ai vu des gens pleurer à la fin.
Je pense sérieusement que c’est un des meilleurs morceaux que tu as écrit à ce jour.
Moi aussi ! Mais les paroles sont tellement simples. Et je pense que c’est un bon exemple.
C’est vrai. Sur un sujet complètement différent : est-ce que tu vas continuer à remixer des albums, comme ceux de King Crimson ?
Je pense que nous avons terminé les King Crimson. Enfin, je dis terminé, mais ce n’est pas moi qui m’occupe de tous les albums. Je les ai tous remixés jusqu’à Three of A Perfect Pair, et il y en a encore deux qui doivent être publiés : Beat et Three of A Perfect Pair. Autrement, je travaille sur Jethro Tull en ce moment, j’en ai fait quatre, deux sont sorties, et je travaille sur d’autres groupes de la même époque, mais je ne peux pas en parler plus parce que ce n’est pas à moi de les annoncer. Je continue à remixer, ça c’est sûr, j’adore ça, et il y a toujours des gens pour me pousser à le faire. Je pense que la réception a été plutôt bonne. D’habitude il y a toujours des gens pour dire qu’on ne devrait pas toucher aux albums classiques, mais les fans ont vraiment apprécié ce que l’on a fait avec King Crimson et Jethro Tull pour l’instant.
Les remixes de King Crimson ont poussé certains de mes amis à se lancer dans leur musique.
Ça pour moi, c’est la justification parfaite : attirer de nouveaux fans, plus jeunes, et leur faire découvrir cette musique. Ces albums sont si bons ! Ils ne méritent pas de prendre la poussière et d’être recouverts de toiles d’araignées. Parfois, il faut – un peu comme avec la Chapelle Sixtine – , passer un coup de chiffon ; ça a été une superbe expérience pour moi aussi, j’ai beaucoup appris en travaillant sur la musique, sur la manière dont les artistes enregistraient à l’époque.
Aurais-tu quelque chose à dire sur le récent changement de carrière de Robert Fripp ?
Hmm. Je le comprends totalement si je me mets dans sa peau, il a fait de la musique pendant si longtemps. Être un musicien professionnel, vivre de cela, vraiment c’est un don, mais c’est un travail épuisant. Et Robert en a juste eu assez, et je comprends. Déjà, être Robert Fripp, cela implique beaucoup de pression, il y a tellement d’attentes vis à vis de ce qu’il fait, et je pense qu’il en a juste eu marre de tout ça. Et de plus, il est essentiellement guitariste, il doit énormément pratiquer tous les jours, quatre heures au moins. Maintenant, je pense qu’il n’a plus envie de faire ça, il a soixante-cinq ans, il lui reste quoi, dix, vingt, trente ans à vivre, il veut faire autre chose de sa vie. Et puis il y a d’incroyables histoires à raconter, dont certaines assez déprimantes sur sa vie et l’industrie musicale, et il veut écrire à ce sujet. Je pense que ça sera tout aussi fascinant que le reste, parce qu’il sait très bien comment raconter des histoires : comment aller dans le vif du sujet, révéler toutes les conneries – et il y en a beaucoup ! Je respecte entièrement sa décision, et il a fait tellement de musique !
Je pense que je vais devoir m’arrêter avec une dernière question… Comment as-tu rencontré Jess Cope [la réalisatrice du clip de « Drag Ropes » pour Storm Corrosion et du prochain The Raven That Refused to Sing, ndlr] ?
Jess est la sœur de quelqu’un qui travaille à Roadrunner. Quand nous étions en train de travailler sur l’album de Storm Corrosion, que Roadrunner a voulu distribuer, la sœur de Jess, Lisa, était la chef de produit. J’ai dit un jour : « ce serait super si on pouvait faire un clip avec des poupées, un truc très noir pour la vidéo avec des jeux d’ombres », parce qu’on ne voulait pas nous voir nous dans le clip, et Lisa a dit « oh, ma sœur sait faire ça ! ». Alors, ma première réaction a été « oui, bien sûr, tout le monde connaît quelqu’un qui… » et là elle a ajouté « en ce moment elle bosse sur le nouveau Tim Burton, Frankenweenie ». « Ah, d’accord ! Elle doit être plutôt douée alors ! ». Nous l’avons rencontré, et ça c’est très bien passé, elle a fait un travail excellent sur Storm Corrosion, et sur The Raven de ce que j’en ai vu. Elle n’a pas encore fini mais en tout cas visuellement c’est impressionnant.