Mike Portnoy (Flying Colors) – « All you need is pop »
Neal Morse, Steve Morse, Dave Larue et Mike Portnoy. La réunion de ces quatre musiciens au sein d’un même projet ne pouvait que titiller la curiosité du plus grand nombre et c’est avec surprise que l’on a découvert un album bien éloigné des rivages progressifs auxquels on aurait été en droit de s’attendre. Le prolifique Mike Portnoy se confie à Chromatique et revient sur l’origine de ce groupe, tout en explicitant certains choix artistiques.
Chromatique : Le mois de mars semble être le mois Portnoy. Est-ce un soulagement pour toi que ces sorties simultanées de Flying Colors et Adrenaline Mob, ou te sens-tu simplement excité à cette idée?
Mike Portnoy : Les deux ! C’est véritablement une période excitante pour moi. En fait, 2011 fut pleine de projets, au moins dix différents, tous aussi passionnants les uns que les autres, et 2012 est en bonne voie. Mais ce mois de mars reste particulièrement étonnant, car deux albums que j’adore sortent au même moment, et tous deux sont très représentatifs de ce que je suis en ce moment. Deux faces d’une même pièce, que j’apprécie de la même manière.
Du coup, doit-on attendre un nouvel album pour 2012 ou plus rien avant 2013 ?
Il devrait y en avoir quelques autres un peu plus tard dans l’année, dont deux concerneront Neal Morse. Nous nous sommes attelés à un nouvel album de reprises, et dans quelques mois ce sera le tour de son septième album solo, Momentum, sur lequel je suis également présent. Il reste donc encore plein de bonnes choses à venir, et également du live avec différents groupes. En avril je jouerai avec Fates Warning au Brésil ainsi qu’un concert en Californie avec les mecs de Megadeth, Anthrax et Slayer.
C’est Bill Evans, le producteur, qui est à l’origine du projet Flying Colors. D’où lui est venue cette idée ? Cela a-t-il été simple pour lui de tous vous convaincre ?
Je pense que ça n’a pas été très compliqué étant donné l’immense respect que nous avons les uns envers les autres, en tant qu’artistes. Evidemment Neal (Morse) et moi avons un long passé en commun, Steve (Morse) et Dave (Larue) également, et je suis un admirateur de Casey depuis un certain temps. Donc le jour où l’idée de nous rassembler au sein d’un même groupe a émergé, nous étions immédiatement tous partants, et très enthousiastes.
Il est surprenant d’entendre Casey McPherson sur ce projet. Comment est-il devenu le chanteur principal ? Neal Morse nous a confié en interview que Ted Leonard (Enchant, Spock’s Beard) avait été approché dans un premier temps…
Nous voulions un chanteur « extérieur » pour Flying Colors, afin de rendre le projet très différent de que ce nous avions déjà réalisé par le passé. Et j’ai suggéré Casey car j’étais réellement fan de son travail avec Endochine et Alpha Rev. J’ai toujours pensé qu’il avait un talent incroyable, encore trop peu reconnu. Nous sommes amis depuis quelques années, et lorsque l’idée d’un chanteur pop/alternatif pour Flying Colors fut mise sur la table, c’est à lui que j’ai pensé en premier. J’étais persuadé qu’il serait parfait pour ce rôle. Dès le début des sessions de travail, il n’a fait absolument aucun doute que nous avions fait le bon choix : son talent et son état d’esprit positif nous ont réellement inspiré pour explorer de nouveaux horizons.
Il a en quelque sorte sorti le projet de l’univers progressif que l’on s’attendait à retrouver vu la formation…
Pourtant, cela a toujours été l’idée, dès le jour où Bill Evans a expliqué son idée à tout le monde. Il s’agissait vraiment de regrouper des musiciens de la sphère progressive ou instrumentale, et de produire une musique un peu plus accessible, plus « commerciale » (sans connotation péjorative). Les exemples qu’il a utilisés furent « Bohemian Rhapsody » de Queen, « Carry on Wayward son » de Kansas ou « Roundabout » de Yes : de grands musiciens se dirigeant vers un format de chansons plus orienté « radio ». Et Casey était vraiment le chaînon manquant nous permettant d’explorer cet univers.
N’as tu pas peur de la réaction du public ? Y avait-il une certaine volonté de les provoquer et leur proposer quelque chose de différent ?
Toute l’idée de Flying Colors est là : apporter quelque chose de différent. Il aurait été complètement inutile pour Neal et moi de sonner comme Transatlantic car nous avons déjà Transatlantic, qui est le groupe de prog ultime, et ce n’était pas le propos de Flying Colors. Tout comme pour Adrenaline Mob, dont le but était d’aller vers quelque chose de différent et ne pas faire du Dream Theater ou du Symphony X, ce qui aurait été redondant. Nous nous sommes réunis pour produire quelque chose de nouveau, nous imposer un challenge et nous aventurer dans d’autres styles. Nous espérons simplement que les goûts de nos fans soient aussi variés que les nôtres (rires). Personnellement, je suis un grand fan de musique en général, et je ne me limite ni au metal, ni au progressif. J’écoute à peu près tout ce qui peut se situer entre Jellyfish et Lamb of God, et j’aime à penser qu’un grand nombre de mes fans – qu’ils le soient par l’intermédiaire de Dream Theater, Transatlantic ou quoique ce soit d’autre – ont à peu près la même ouverture d’esprit et apprécieront Adrenaline Mob ou Flying Colors tout autant que Dream Theater ou Transatlantic.
Si on apprécie le progressif, on est censé être ouvert d’esprit…
Exactement, le véritable sens du terme progressif, selon moi, doit représenter la capacité d’un groupe à transcender les genres tout en explorant de nouveaux espaces. Je pense que cela devrait être le but premier de toute formation progressive.
Apparemment, l’album a été composé en 9 jours. Peux-tu nous parler un peu plus du processus créatif et des interactions entre chacun des membres ?
L’interaction fût tout simplement fulgurante et exaltante. Tous les membres de ce groupe travaillent de façon extrêmement professionnelle et concentrée, nous sommes tous habitués à la rapidité et à la productivité. Il n’y a finalement eu que très peu de temps perdu ou de bavardages, nous sommes allés directement à l’essentiel. Ce fût une réelle collaboration dans le sens ou ce n’est pas simplement la vision de deux personnes mais bien une interaction entre chaque membre du groupe, sans oublier la participation de Peter Colins et Bill Evans. Un véritable travail d’équipe. Une fois en studio, nous n’avons jamais manqué d’idées, chacun de nous était en constante proposition. L’inspiration était telle que nous n’avions qu’à rester parfaitement concentrés pour écrire de façon rapide et productive.
Comment s’est passé la collaboration avec Peter Collins, connu pour son travail avec Queensrÿche et Rush ? Est-ce que votre musique l’a incité à modifier son approche de la production ?
Pour être honnête avec toi, j’étais même sceptique sur le simple fait d’avoir un producteur au départ. Neal, Steve, Casey et moi avons tous produit des albums par le passé, donc je n’étais pas réellement partant pour un producteur extérieur. Mais au final cela s’est avéré être une excellente idée car Peter a en quelque sorte servi d’arbitre : dès que nous ne pouvions prendre une décision ou nous mettre d’accord sur un point particulier, il intervenait. C’était une bonne chose d’avoir cette oreille objective à nos côtés, qui permettait de débloquer certaines situations. De par son expérience, nous respections tous son opinion et sa contribution, notamment lorsqu’il s’agissait d’aborder la question des arrangements.
On peut donc dire qu’il a un peu aidé à empêcher d’éventuels problèmes d’ego ?
Nous sommes tous faciles à vivre dans ce groupe, et je ne pense pas que l’ego puisse être un problème. A l’inverse de ce que laisse penser ma réputation, je suis en fait très facile à vivre dans un contexte professionnel. Simplement, tout comme moi, Neal, Steve et Casey sont habitués à avoir le contrôle total dans leurs précédents groupes, et lorsque nous sommes amenés à participer à Flying Colors, chacun met son ego de côté. Tout tourne autour de l’aspect collaboratif, et pas autour d’une seule personne qui mènerait la danse. Je retrouve vraiment dans ce projet la beauté de la collaboration que je peux avoir avec Neal au sein de Transatlantic.
Par moments, on peut sentir l’influence de Muse dont il ne fait plus de secret que tu es un grand fan. Etait-ce conscient, ou faut-il y voir autre chose ?
Cette influence provient plutôt de Casey, qui apporte cette approche vocale, puisque c’est en quelque sorte son monde, son univers. Ses influences proviennent plutôt de Radiohead, Coldplay ou Muse : c’est donc très naturel pour lui. Je ne peux vraiment pas m’attribuer cet apport, je pense qu’il en est plutôt responsable, et c’est une bonne chose puisque cela va dans le sens du projet, de ce mariage assez unique entre le progressif et la pop.
En parlant d’influences, vous brassez assez large, de Queen aux Beach Boys en passant par Coldplay ou Dave Matthews Band. Penses-tu que la direction artistique soit clairement identifiée, ou pouvons nous attendre l’inattendu de ce type de projet ?
L’ensemble est si éclectique et varié qu’il en devient imprévisible. Lorsque tu écoutes cet album du début à la fin, tu es embarqué dans un voyage musical qui couvre la totalité du spectre des genres rock et pop. C’est cette diversité qui rend l’album unique.
En marge de Flying Colors et Adrenaline Mob, tu avais un troisième projet avec John Sykes. Depuis qu’il l’a abandonné, la rumeur voudrait que Ritchie Kotzen le remplace. Peux-tu le confirmer ?
Je ne dirais pas qu’il le remplace, car ce que je faisais avec John reste sa propriété. Au final, cette collaboration a périclité car John avait bien du mal à aller de l’avant. Je travaillais avec Billy Sheehan sur ce projet et nous avons fini par nous impatienter. Nous étions fatigués de ne faire qu’attendre, attendre, et attendre… Du coup nous avons décidé avec Billy de travailler plutôt avec Ritchie, mais je ne dirais pas qu’il remplace John. C’est simplement que nous travaillons sur quelque chose de différent, un tout autre projet.
Donc vous n’utiliserez rien de ce qui a pu être enregistré avec John ?
Non, ce que nous avons enregistré avec John lui appartient, et je suis certain que quoiqu’il fasse dans le futur, John utilisera ces chansons pour un album.
Que peut-on attendre de ce disque ?
C’est un disque plutôt tourné vers le classic rock, dans la grande tradition des power trio. On pourrait comparer cela à Cream ou Jimi Hendrix Experience, ou peut-être même des groupes plus récents comme King’s X. Nous y chantons tous les trois. Il y a un aspect plus moderne, avec quelques influences de Soundgarden ou Alice in Chains, mais l’agenda n’est pas réellement fixé pour ce projet, nous avons beaucoup d’autres choses sur le feu, donc je ne peux pas encore te dire exactement à quel moment il va se concrétiser. Courant 2013 si tout se passe bien.
Et quelle sera la suite pour Flying Colors ? Un second album, des concerts ?
La prochaine étape pour Flying Colors sera d’accorder nos agendas pour se retrouver sur scène : nous sommes tous très impatients à cette idée. On espère pouvoir le faire d’ici la fin de l’été ou le début de l’automne. Il va simplement falloir trouver le bon timing. Rien n’est encore décidé en termes de set-list. Il y aura ensuite un second album : on a passé un si bon moment ensemble que l’on a réellement hâte de s’y remettre.
Peux-tu nous donner un conseil musical, un album de 2012 qui t’aurait déjà impressionné ?
Pour le moment, mon album favori est celui de Van Halen, qui me rappelle mon enfance, la fin des années soixante-dix, le début des années quatre-vingt. C’était l’un des mes groupes de hard rock préféré à l’époque. Ils reviennent après quinze ans d’absence avec un véritable son caractéristique de leur période « Roth », mes albums de prédilection. C’est vraiment mon disque du moment. Je les ai vus la semaine dernière et c’était incroyable de les revoir à nouveau en pleine forme.
Tes projets actuels sortent tous de l’univers progressif, excepté ton travail avec Neal Morse. Rassure nous, tu aimes encore ce style ? (rires)
J’ai encore un paquet de projets progressifs à venir ! L’album de Neal Morse, en effet, est très progressif, et j’ai toujours Transatlantic avec lequel on espère produire un autre album dans le futur. Le projet avec Billy Sheehan, Tony Macalpine et Derek Sherinian est également terriblement prog. Donc crois moi, la musique progressive restera toujours un aspect important de ma vie, et je serai toujours actif sur cette scène. Mais j’aime tellement de styles différents qu’en ce moment je prends simplement le temps de tous les explorer.
Ravi de l’entendre, merci beaucoup et bonne chance pour la suite !
Merci à toi, « au revoir » (ndlr : en français dans le texte) !