Melissa Auf der Maur – Esprit, es-tu là ?
On aurait tendance à penser, à première vue, que cet entretien avec Melissa Auf der Maur est une erreur. Un fichier qui s’est glissé par mégarde dans le dossiers des entretiens à publier. Que nenni ! La Canadienne qui sort son nouvel album Out of Our Minds ces jours-ci a bel et bien sa place dans ces colonnes au côté des Fates Warning, Pain of Salvation ou autres Opeth. Car Melissa Auf der Maur est une véritable amoureuse d’art et reste une personne fascinante, au même titre qu’une Kate Bush ou une Tori Amos. Rencontre avec une enchanteresse du rock, le tout dans un français impeccable à faire pâlir les kikoolol qui sévissent.
Progressia : Cela te dérange-t-il d’être questionnée par un webzine qui traite des musiques progressives ?
Melissa Auf der Maur : Absolument pas. Je me sens chez moi. Je suis une personne psychédélique et progressive. Je l’ai toujours été. Mais le fait est que je me suis retrouvée dans un monde où l’on jouait un rock « simple ». Etait-ce là mon destin ? Je ne saurais te répondre mais je venais d’un milieu très expérimental et en 1994 j’ai eu la possibilité de découvrir le monde et de travailler avec un groupe de rock féminin [Hole, ndlr], dans un monde où les hommes sont présents en grande majorité. Pendant ces dix années, j’ai pu exister, de manière assez restreinte toutefois, car le style musical l’exigeait et j’ai toujours fait de mon mieux pour coller à cette ligne de conduite. J’ai publié Auf Der Maur en 2004, et depuis cinq ans maintenant, j’essaie de retourner à mes racines. Montréal est une ville indépendante, expérimentale et progressive. J’ai fait mes études dans une école « progressive ». Mes parents sont deux êtres progressifs. Nick Auf der Maur, mon père, était journaliste et conseiller politique municipal et ma mère traductrice. Tout cela m’amène à te dire qu’il était vraiment temps que nous conversions, toi et moi. (rires)
Ta vision est pour le moins intéressante. Inclurais-tu des groupes comme Rush ou, par exemple, Kansas dans ces racines que tu viens de mentionner ? Ecoutes-tu aujourd’hui encore des groupes de rock progressif ?
Rush est la fierté nationale. En tant que Canadienne, il m’est impossible de le nier. J’adore la notion de concept qui tourne autour du groupe. Je pourrais en discuter des heures durant, peut-être même en parler plus facilement qu’en écouter à hautes doses. De nos jours, notamment grâce à YouTube, je peux jeter un œil à leurs prestations en concert. Sans dénigrer qui que ce soit, j’ai beaucoup plus de respect pour Rush que pour n’importe quelle autre formation. Aujourd’hui, quand je pense « groupes progressifs », deux me viennent à l’esprit. Tout d’abord Tool. Je suis littéralement subjuguée par ces gars, tant par l’ambiance et le contexte qui les entourent que par la musique. Je suis allée les voir il y a deux ans et suis restée bouche bée. Plus qu’un simple concert, c’était une véritable œuvre d’art. Ensuite, il y a Mastodon. Visiblement, le cas prête à discussion mais, quand j’ai mis Crack the Skye pour la première fois dans la platine, j’ai compris qu’il s’agissait d’un album concept et en écoutant les premières mots d’« Oblivion », j’ai cru que mon cœur allait sortir de ma poitrine et exploser. Là encore, c’est tout un univers qui m’attire, ce coté heavy, ce graphisme, ces mélodies, ces passages aériens et calmes qui n’ont rien à voir avec un groupe comme Jethro Tull. Je les ai vus la semaine dernière à Londres et j’en ai pris plein les yeux. J’ai esquivé les NME Awards pour les voir ! Pour moi, Mastodon est le groupe parfait de cette décennie et Crack the Skye le disque référence de cette même période.
Avec le recul, es-tu contente de l’accueil qu’Auf der Maur a eu lors de sa sortie ?
Si j’en suis contente ? Bien sûr, d’autant plus que c’est un premier album, composé et produit par une bassiste de surcroît. Qui porterait de l’intérêt à une bassiste ? J’ai vendu deux cents mille exemplaires de ce disque et donné deux cents concerts au cours desquels j’ai pu établir une réelle connexion avec ces gens. A mon stade, c’est inespéré. Sans prétention aucune, je crois toucher et attirer une certaine catégorie d’auditeurs : des gens timides qui sont intéressés par ce qui a trait au monde fantastique ou romantique. Des gens qui se retrouvent avec moi dans un univers particulier. Les contacts dont je viens de faire mention continuent d’exister via mon blog, et c’est là selon moi une marque forte de fidélité qui marche dans les deux sens.
Out Of Our Minds est resté en gestation pendant cinq ans. Est-ce à cause de ce package pour le moins consistant (ledit package est composé de l’album, d’un court-métrage et d’une bande dessinée, ndlr) que l’album sort seulement maintenant ?
Il y a eu pas mal de… (elle hésite) appelons ça des complications, sur tous les aspects de ma vie personnelle, professionnelle et artistique. La raison pour laquelle ce projet a mis tant de temps à voir le jour, c’est que je me suis imposé des obligations en tant qu’artiste et compositeur. Mon premier disque, je le vois aujourd’hui comme un tableau sur lequel j’ai peint dix ans de ma vie en studio, sur la route, sans perdre une once de concentration. J’étais tellement à fond dans mon « travail » que j’en ai oublié certaines choses importantes. J’étais heureuse durant cette période, j’ai évolué et grandi en tant qu’artiste et ce disque reprend tous les éléments dans lesquels j’ai baigné à cette époque. Avec Out Of Our Minds, je repars de zéro en tant que parolière, compositeur et créatrice d’un monde musical que je souhaite immédiatement identifiable. J’ai fixé volontairement la barre très haut. J’ai décidé que j’allais inclure mes idées visuelles et conceptuelles à ma musique. Il était alors clair que j’allais être amenée à collaborer une nouvelle fois avec d’autres artistes et à développer le concept. Chanter sur la capacité de voyager dans le temps, c’est une chose, mais écrire un film sur le même sujet, c’est une autre histoire. J’ai eu du pain sur la planche à étoffer l’histoire. A coté de ça, et sur un aspect plus business, les gens de Capitol Records se sont faits dégager à mi-chemin de l’enregistrement des titres. Du jour au lendemain, les bureaux étaient vides et mes avocats ont dû discuter avec ceux du label pour pouvoir récupérer mon disque dur avec tous mes démos et bouts de titres dessus. Durant une année, j’ai mis cet album de côté sans savoir si je me remettrais ou non à plancher dessus un jour. Je me suis concentrée sur le film à nouveau et ça a changé ma vie. Le moment-clé, si je puis-dire, est ma rencontre avec le réalisateur Tony Stone qui venait d’achever son premier long-métrage. J’ai vu des rushes de ce film et je me suis dit que c’était la personne idoine pour ce projet. Entre temps, mon contrat avec Capitol Records est arrivé à son terme. Je me suis plongée corps et âme dans ce film. J’en ai supervisé le tournage, le montage, et j’ai même fait office de traiteur. (rires) C’est un film d’une demi-heure seulement, mais il représente en amont une charge de travail colossale. Tony est un réalisateur méconnu mais très ambitieux, c’est ce qui fait aujourd’hui sa force. Lui aussi est une personnalité progressive, dans le sens où il a compris qu’un certain équilibre devait subsister entre la musique et le coté visuel. Il n’y a aucun dialogue, que de la musique, de l’action et ce côté surréaliste et psychédélique. Faire ce film n’a pas été de tout repos, il a pris un an de ma vie, mais une fois achevé, il m’a permis de me remettre à travailler sur l’album avec des idées fraîches, avec des nouvelles ouvertures. J’ai pu ainsi mettre l’accent sur la partie expérimentale de Out Of Our Minds et travailler en toute décontraction sans avoir de comptes à rendre à une maison de disques. Si j’avais eu un label en face, avec tout l’infrastructure que ça inclut à savoir manager, chef de produit, etc., je ne me serai jamais permis cette liberté. In fine, ce disque me représente totalement, il fallait que je passe par là pour grandir et évoluer en tant qu’artiste. Sans dénigrer mon précédent album, je le considère comme mon premier véritable chapitre discographique.
Pour autant, Auf der Maur avait jeté les bases d’un univers musical au travers de titres forts comme « Followed the Waves », « Real a Lie » ou « I’ll Be Anything You Want ». Cette fois-ci, on sent que tu as pris plaisir à jouer avec les ambiances musicales, notamment sur des titres comme « Isis Speaks » ou « Lead Horse ». Nous n’avons pas parlé de Porcupine Tree à qui l’on pourrait penser à l’écoute de ces titres pour le moins progressifs.
On n’arrête pas de m’en parler. J’ai lu des articles sur eux, j’ai entendu leur nom à maintes reprises mais je n’ai jamais eu le temps de poser une oreille sur leur musique. Il me semble qu’ils sont également reconnus en tant que producteurs, c’est ça ?
Steven Wilson produit effectivement beaucoup d’autres groupes. Parmi les plus connus, citons Opeth. Tout ceci nous ramène à tes racines et tes liens avec les musiques progressives…
Absolument. Bien que nos influences soient différentes, je pense qu’il y a des points de convergence à propos de l’approche musicale. Pour ma part, je pense que ma musique est influencée à parts égales par des films, des peintures, des civilisations anciennes, des pensées philosophiques et tout un tas de courants artistiques de manière générale. Certains de ces centres d’intérêt influent d’une manière ou d’une autre sur ma créativité. Je prends l’exemple de la civilisation viking : c’était un peuple païen qui vénéraient les dieux et la Mère Nature. Mais ils étaient également de très grands ingénieurs avec des systèmes de navigation avancés pour l’époque. De même pour les Egyptiens qui avaient un côté avant-gardiste qui laissait entrevoir un futur au travers de leurs créations diverses. Je ne connais pas les gars de Porcupine Tree mais je pense que nous avons la même approche qui, au final, a une notion psychédélique. (rires)
Parlons des invités qui figurent sur Out Of Our Minds. Hormis Glenn Danzig sur « Father’s Grave », qui sont les autres musiciens à avoir collaboré avec toi ?
Principalement des batteurs ! (rires) J’ai joué de la guitare sur l’album mais j’ai également demandé à Chris et Jordan, les deux co-producteurs de l’album d’enregistrer des parties de guitare. D’autres guitaristes comme Twiggy Ramirez ont également contribué. Pour les batteurs, j’ai fait appel avec Vince Nudo de Priestess, Josh Freeze et John Stanier d’Helmet. John a déjà officié sur Auf der Maur. C’est un musicien incroyable avec une implication rare. J’apprécie chacune de nos collaborations et c’est de loin le batteur que j’admire le plus. Glenn Danzig… que dire ? Sans manquer de respect à tous les musiciens qui ont participé à l’album, c’est un rêve qui s’est réalisé. J’ai envoyé une démo à son label pour savoir s’il y avait moyen de rêver un peu (rires), et six mois plus tard, j’ai reçu un appel de sa part, me disant qu’il aimait beaucoup « Father’s Grave » et qu’il serait ravi de chanter dessus. C’est un vrai père spirituel. Je ne saurai expliquer pourquoi. Et tu sais quoi ? Non seulement il n’avait jamais chanté en tant qu’invité auparavant, mais le tout s’est fait sans avocat, sans contrat, ni agent ni rien de tout ça !
Ton « univers visuel » pourrait évoquer certains réalisateurs, romanciers ou dessinateurs, un mélange entre David Lynch et Neil Gaiman.
Tu as vu juste mais tu as oublié Alan Moore. Neil Gaiman est un génie bien que je n’ai pas eu le temps de lire ses derniers travaux. J’ai d’ailleurs une anecdote : nous nous sommes rencontrés à une convention, à discuter sur l’impact des technologies du XXIème siècle sur les arts. C’était assez surréaliste. Depuis, il suit et interagit régulièrement sur mon blog et m’envoie régulièrement des messages sur Twitter ! (rires) !
Jack Forbes a prêté son talent pour la BD qui accompagne Out Of Our Minds. Difficle de ne pas penser à Frank Miller, grand maître de la BD noir et blanc, en visionnant la bande-annonce qu’il a réalisé pour ton site.
Le film a été tourné en lumière naturelle. Dès lors il était clair qu’il serait impossible pour la BD de venir « compléter » d’une certaine manière le court-métrage. Du coup j’ai opté pour une BD en noir et blanc… et rouge. J’étais donc à la recherche d’un artiste qui n’exerçait qu’en noir et blanc et qui n’était pas employé par une maison d’édition. Un de mes amis qui est accro à toutes ces conventions de BD et de science-fiction m’a rapporté quelques planches de ces salons, et j’ai découvert le travail de Jack Forbes. J’ai aimé le coté minimaliste de ses œuvres. C’est un New Yorkais qui travaille dans un magasin de livres. A côté de ça, il bosse aussi pour un magazine de sciences. C’est un artiste unique et je suis heureuse et fière d’avoir collaboré avec lui.
En feuilletant cette BD à l’instant, les noms de Bill Sienkiewicz et Alex Maleev viennent à l’esprit…
J’ai vu des planches de Bill Sienkiewicz et ça me parle… En revanche, je ne connais pas Alex Maleev.
Parlons maintenant de la tournée à venir.
Je pense avoir désormais trouvé un équilibre avec deux albums au compteur. J’ai également un nouveau groupe pour cette tournée. Nous avons donné quelques concerts et je prie très fort pour que nous restions ensemble. Je dois avouer que je suis surprise de voir comment les choses évoluent dans le bon sens du terme. Pour cette tournée, je reviens à l’essentiel : deux guitares, une basse et une batterie. La dernière fois, nous avions des claviers et des samples. Et bien que cet album contienne des calques de musique, je voulais revenir aux bases ! Ca n’a fait que renforcer notre cohésion et l’esprit de groupe. Les soirées commenceront par la projection du film avant d’enchaîner sur notre concert. Le public aura ainsi le mélange entre son et image.
Penses-tu que le film peut aider à pénétrer davantage dans l’univers de Out Of Our Minds ?
Absolument, et tu fais bien de le mentionner. Cependant il n’est pas pour autant indispensable. Il y a plusieurs possibilités d’assimiler le concept : en écoutant le disque seul, avec la BD ou en enchaînant les trois. Mais chacun est libre de choisir sa manière de voyager dans l’histoire.
Le mot de la fin te revient de droit. Après une longue journée à entendre les mêmes questions, y en a-t-il une qu’on ne t’a pas posée et sur laquelle tu aurais volontiers disserté ?
(Elle réfléchit) Je me suis rendue compte que j’ai dit plus de choses que ce que je souhaitais initialement dévoiler. J’aurais bien aimé discuter de la situation actuelle du marché de la musique et de la déchéance dans laquelle il se trouve aujourd’hui, l’avènement et l’importance plus grande chaque jour de la technologie… Je pense que cette situation est la meilleure qui pouvait arriver… Chaque année, il y a une nouvelle caméra HD sur le marché, une autre version de Pro Tools. Tout ceci change l’approche de la musique et, surtout, change la manière de faire de la musique. Quand j’y repense, j’ai joué dans un groupe où à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable et où on enregistrait sur bandes audio ! Je crois qu’on ne m’a pas posé la question parce qu’on doit me considérer comme une artiste vintage, mais au final, quand on regarde de plus près, je me vois comme une personne futuriste. Il faut évoluer avec son temps, c’est ce que j’essaie de faire en tant qu’artiste… psychédélique et progressive.
Progressia : Cela te dérange-t-il d’être questionnée par un webzine qui traite des musiques progressives ?
Melissa Auf der Maur : Absolument pas. Je me sens chez moi. Je suis une personne psychédélique et progressive. Je l’ai toujours été. Mais le fait est que je me suis retrouvée dans un monde où l’on jouait un rock « simple ». Etait-ce là mon destin ? Je ne saurais te répondre mais je venais d’un milieu très expérimental et en 1994 j’ai eu la possibilité de découvrir le monde et de travailler avec un groupe de rock féminin [Hole, ndlr], dans un monde où les hommes sont présents en grande majorité. Pendant ces dix années, j’ai pu exister, de manière assez restreinte toutefois, car le style musical l’exigeait et j’ai toujours fait de mon mieux pour coller à cette ligne de conduite. J’ai publié Auf Der Maur en 2004, et depuis cinq ans maintenant, j’essaie de retourner à mes racines. Montréal est une ville indépendante, expérimentale et progressive. J’ai fait mes études dans une école « progressive ». Mes parents sont deux êtres progressifs. Nick Auf der Maur, mon père, était journaliste et conseiller politique municipal et ma mère traductrice. Tout cela m’amène à te dire qu’il était vraiment temps que nous conversions, toi et moi. (rires)
Ta vision est pour le moins intéressante. Inclurais-tu des groupes comme Rush ou, par exemple, Kansas dans ces racines que tu viens de mentionner ? Ecoutes-tu aujourd’hui encore des groupes de rock progressif ?
Rush est la fierté nationale. En tant que Canadienne, il m’est impossible de le nier. J’adore la notion de concept qui tourne autour du groupe. Je pourrais en discuter des heures durant, peut-être même en parler plus facilement qu’en écouter à hautes doses. De nos jours, notamment grâce à YouTube, je peux jeter un œil à leurs prestations en concert. Sans dénigrer qui que ce soit, j’ai beaucoup plus de respect pour Rush que pour n’importe quelle autre formation. Aujourd’hui, quand je pense « groupes progressifs », deux me viennent à l’esprit. Tout d’abord Tool. Je suis littéralement subjuguée par ces gars, tant par l’ambiance et le contexte qui les entourent que par la musique. Je suis allée les voir il y a deux ans et suis restée bouche bée. Plus qu’un simple concert, c’était une véritable œuvre d’art. Ensuite, il y a Mastodon. Visiblement, le cas prête à discussion mais, quand j’ai mis Crack the Skye pour la première fois dans la platine, j’ai compris qu’il s’agissait d’un album concept et en écoutant les premières mots d’« Oblivion », j’ai cru que mon cœur allait sortir de ma poitrine et exploser. Là encore, c’est tout un univers qui m’attire, ce coté heavy, ce graphisme, ces mélodies, ces passages aériens et calmes qui n’ont rien à voir avec un groupe comme Jethro Tull. Je les ai vus la semaine dernière à Londres et j’en ai pris plein les yeux. J’ai esquivé les NME Awards pour les voir ! Pour moi, Mastodon est le groupe parfait de cette décennie et Crack the Skye le disque référence de cette même période.
Avec le recul, es-tu contente de l’accueil qu’Auf der Maur a eu lors de sa sortie ?
Si j’en suis contente ? Bien sûr, d’autant plus que c’est un premier album, composé et produit par une bassiste de surcroît. Qui porterait de l’intérêt à une bassiste ? J’ai vendu deux cents mille exemplaires de ce disque et donné deux cents concerts au cours desquels j’ai pu établir une réelle connexion avec ces gens. A mon stade, c’est inespéré. Sans prétention aucune, je crois toucher et attirer une certaine catégorie d’auditeurs : des gens timides qui sont intéressés par ce qui a trait au monde fantastique ou romantique. Des gens qui se retrouvent avec moi dans un univers particulier. Les contacts dont je viens de faire mention continuent d’exister via mon blog, et c’est là selon moi une marque forte de fidélité qui marche dans les deux sens.
Out Of Our Minds est resté en gestation pendant cinq ans. Est-ce à cause de ce package pour le moins consistant (ledit package est composé de l’album, d’un court-métrage et d’une bande dessinée, ndlr) que l’album sort seulement maintenant ?
Il y a eu pas mal de… (elle hésite) appelons ça des complications, sur tous les aspects de ma vie personnelle, professionnelle et artistique. La raison pour laquelle ce projet a mis tant de temps à voir le jour, c’est que je me suis imposé des obligations en tant qu’artiste et compositeur. Mon premier disque, je le vois aujourd’hui comme un tableau sur lequel j’ai peint dix ans de ma vie en studio, sur la route, sans perdre une once de concentration. J’étais tellement à fond dans mon « travail » que j’en ai oublié certaines choses importantes. J’étais heureuse durant cette période, j’ai évolué et grandi en tant qu’artiste et ce disque reprend tous les éléments dans lesquels j’ai baigné à cette époque. Avec Out Of Our Minds, je repars de zéro en tant que parolière, compositeur et créatrice d’un monde musical que je souhaite immédiatement identifiable. J’ai fixé volontairement la barre très haut. J’ai décidé que j’allais inclure mes idées visuelles et conceptuelles à ma musique. Il était alors clair que j’allais être amenée à collaborer une nouvelle fois avec d’autres artistes et à développer le concept. Chanter sur la capacité de voyager dans le temps, c’est une chose, mais écrire un film sur le même sujet, c’est une autre histoire. J’ai eu du pain sur la planche à étoffer l’histoire. A coté de ça, et sur un aspect plus business, les gens de Capitol Records se sont faits dégager à mi-chemin de l’enregistrement des titres. Du jour au lendemain, les bureaux étaient vides et mes avocats ont dû discuter avec ceux du label pour pouvoir récupérer mon disque dur avec tous mes démos et bouts de titres dessus. Durant une année, j’ai mis cet album de côté sans savoir si je me remettrais ou non à plancher dessus un jour. Je me suis concentrée sur le film à nouveau et ça a changé ma vie. Le moment-clé, si je puis-dire, est ma rencontre avec le réalisateur Tony Stone qui venait d’achever son premier long-métrage. J’ai vu des rushes de ce film et je me suis dit que c’était la personne idoine pour ce projet. Entre temps, mon contrat avec Capitol Records est arrivé à son terme. Je me suis plongée corps et âme dans ce film. J’en ai supervisé le tournage, le montage, et j’ai même fait office de traiteur. (rires) C’est un film d’une demi-heure seulement, mais il représente en amont une charge de travail colossale. Tony est un réalisateur méconnu mais très ambitieux, c’est ce qui fait aujourd’hui sa force. Lui aussi est une personnalité progressive, dans le sens où il a compris qu’un certain équilibre devait subsister entre la musique et le coté visuel. Il n’y a aucun dialogue, que de la musique, de l’action et ce côté surréaliste et psychédélique. Faire ce film n’a pas été de tout repos, il a pris un an de ma vie, mais une fois achevé, il m’a permis de me remettre à travailler sur l’album avec des idées fraîches, avec des nouvelles ouvertures. J’ai pu ainsi mettre l’accent sur la partie expérimentale de Out Of Our Minds et travailler en toute décontraction sans avoir de comptes à rendre à une maison de disques. Si j’avais eu un label en face, avec tout l’infrastructure que ça inclut à savoir manager, chef de produit, etc., je ne me serai jamais permis cette liberté. In fine, ce disque me représente totalement, il fallait que je passe par là pour grandir et évoluer en tant qu’artiste. Sans dénigrer mon précédent album, je le considère comme mon premier véritable chapitre discographique.
Pour autant, Auf der Maur avait jeté les bases d’un univers musical au travers de titres forts comme « Followed the Waves », « Real a Lie » ou « I’ll Be Anything You Want ». Cette fois-ci, on sent que tu as pris plaisir à jouer avec les ambiances musicales, notamment sur des titres comme « Isis Speaks » ou « Lead Horse ». Nous n’avons pas parlé de Porcupine Tree à qui l’on pourrait penser à l’écoute de ces titres pour le moins progressifs.
On n’arrête pas de m’en parler. J’ai lu des articles sur eux, j’ai entendu leur nom à maintes reprises mais je n’ai jamais eu le temps de poser une oreille sur leur musique. Il me semble qu’ils sont également reconnus en tant que producteurs, c’est ça ?
Steven Wilson produit effectivement beaucoup d’autres groupes. Parmi les plus connus, citons Opeth. Tout ceci nous ramène à tes racines et tes liens avec les musiques progressives…
Absolument. Bien que nos influences soient différentes, je pense qu’il y a des points de convergence à propos de l’approche musicale. Pour ma part, je pense que ma musique est influencée à parts égales par des films, des peintures, des civilisations anciennes, des pensées philosophiques et tout un tas de courants artistiques de manière générale. Certains de ces centres d’intérêt influent d’une manière ou d’une autre sur ma créativité. Je prends l’exemple de la civilisation viking : c’était un peuple païen qui vénéraient les dieux et la Mère Nature. Mais ils étaient également de très grands ingénieurs avec des systèmes de navigation avancés pour l’époque. De même pour les Egyptiens qui avaient un côté avant-gardiste qui laissait entrevoir un futur au travers de leurs créations diverses. Je ne connais pas les gars de Porcupine Tree mais je pense que nous avons la même approche qui, au final, a une notion psychédélique. (rires)
Parlons des invités qui figurent sur Out Of Our Minds. Hormis Glenn Danzig sur « Father’s Grave », qui sont les autres musiciens à avoir collaboré avec toi ?
Principalement des batteurs ! (rires) J’ai joué de la guitare sur l’album mais j’ai également demandé à Chris et Jordan, les deux co-producteurs de l’album d’enregistrer des parties de guitare. D’autres guitaristes comme Twiggy Ramirez ont également contribué. Pour les batteurs, j’ai fait appel avec Vince Nudo de Priestess, Josh Freeze et John Stanier d’Helmet. John a déjà officié sur Auf der Maur. C’est un musicien incroyable avec une implication rare. J’apprécie chacune de nos collaborations et c’est de loin le batteur que j’admire le plus. Glenn Danzig… que dire ? Sans manquer de respect à tous les musiciens qui ont participé à l’album, c’est un rêve qui s’est réalisé. J’ai envoyé une démo à son label pour savoir s’il y avait moyen de rêver un peu (rires), et six mois plus tard, j’ai reçu un appel de sa part, me disant qu’il aimait beaucoup « Father’s Grave » et qu’il serait ravi de chanter dessus. C’est un vrai père spirituel. Je ne saurai expliquer pourquoi. Et tu sais quoi ? Non seulement il n’avait jamais chanté en tant qu’invité auparavant, mais le tout s’est fait sans avocat, sans contrat, ni agent ni rien de tout ça !
Ton « univers visuel » pourrait évoquer certains réalisateurs, romanciers ou dessinateurs, un mélange entre David Lynch et Neil Gaiman.
Tu as vu juste mais tu as oublié Alan Moore. Neil Gaiman est un génie bien que je n’ai pas eu le temps de lire ses derniers travaux. J’ai d’ailleurs une anecdote : nous nous sommes rencontrés à une convention, à discuter sur l’impact des technologies du XXIème siècle sur les arts. C’était assez surréaliste. Depuis, il suit et interagit régulièrement sur mon blog et m’envoie régulièrement des messages sur Twitter ! (rires) !
Jack Forbes a prêté son talent pour la BD qui accompagne Out Of Our Minds. Difficle de ne pas penser à Frank Miller, grand maître de la BD noir et blanc, en visionnant la bande-annonce qu’il a réalisé pour ton site.
Le film a été tourné en lumière naturelle. Dès lors il était clair qu’il serait impossible pour la BD de venir « compléter » d’une certaine manière le court-métrage. Du coup j’ai opté pour une BD en noir et blanc… et rouge. J’étais donc à la recherche d’un artiste qui n’exerçait qu’en noir et blanc et qui n’était pas employé par une maison d’édition. Un de mes amis qui est accro à toutes ces conventions de BD et de science-fiction m’a rapporté quelques planches de ces salons, et j’ai découvert le travail de Jack Forbes. J’ai aimé le coté minimaliste de ses œuvres. C’est un New Yorkais qui travaille dans un magasin de livres. A côté de ça, il bosse aussi pour un magazine de sciences. C’est un artiste unique et je suis heureuse et fière d’avoir collaboré avec lui.
En feuilletant cette BD à l’instant, les noms de Bill Sienkiewicz et Alex Maleev viennent à l’esprit…
J’ai vu des planches de Bill Sienkiewicz et ça me parle… En revanche, je ne connais pas Alex Maleev.
Parlons maintenant de la tournée à venir.
Je pense avoir désormais trouvé un équilibre avec deux albums au compteur. J’ai également un nouveau groupe pour cette tournée. Nous avons donné quelques concerts et je prie très fort pour que nous restions ensemble. Je dois avouer que je suis surprise de voir comment les choses évoluent dans le bon sens du terme. Pour cette tournée, je reviens à l’essentiel : deux guitares, une basse et une batterie. La dernière fois, nous avions des claviers et des samples. Et bien que cet album contienne des calques de musique, je voulais revenir aux bases ! Ca n’a fait que renforcer notre cohésion et l’esprit de groupe. Les soirées commenceront par la projection du film avant d’enchaîner sur notre concert. Le public aura ainsi le mélange entre son et image.
Penses-tu que le film peut aider à pénétrer davantage dans l’univers de Out Of Our Minds ?
Absolument, et tu fais bien de le mentionner. Cependant il n’est pas pour autant indispensable. Il y a plusieurs possibilités d’assimiler le concept : en écoutant le disque seul, avec la BD ou en enchaînant les trois. Mais chacun est libre de choisir sa manière de voyager dans l’histoire.
Le mot de la fin te revient de droit. Après une longue journée à entendre les mêmes questions, y en a-t-il une qu’on ne t’a pas posée et sur laquelle tu aurais volontiers disserté ?
(Elle réfléchit) Je me suis rendue compte que j’ai dit plus de choses que ce que je souhaitais initialement dévoiler. J’aurais bien aimé discuter de la situation actuelle du marché de la musique et de la déchéance dans laquelle il se trouve aujourd’hui, l’avènement et l’importance plus grande chaque jour de la technologie… Je pense que cette situation est la meilleure qui pouvait arriver… Chaque année, il y a une nouvelle caméra HD sur le marché, une autre version de Pro Tools. Tout ceci change l’approche de la musique et, surtout, change la manière de faire de la musique. Quand j’y repense, j’ai joué dans un groupe où à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable et où on enregistrait sur bandes audio ! Je crois qu’on ne m’a pas posé la question parce qu’on doit me considérer comme une artiste vintage, mais au final, quand on regarde de plus près, je me vois comme une personne futuriste. Il faut évoluer avec son temps, c’est ce que j’essaie de faire en tant qu’artiste… psychédélique et progressive.