Andy Tillison – Vision du prog à 90°
Cet entretien rafraîchissant et éloigné de la promo habituelle est l’occasion, avec une des pierres de touche du mouvement neo des années quatre-vingt-dix, de faire le point sur cette musique, sur son évolution et son glorieux passé. L’occasion également de montrer que le progressif a beaucoup de choses à dire, encore aujourd’hui, et que ses horizons pointent vers des artistes qu’on n’aurait pas soupçonnés il y a quelques années. Ou comment les grands anciens cèdent la place aux talentueux petits nouveaux. Un regard, par Andy Tillison…
Progressia : Tu as une double actualité : la sortie de Down and Out in Paris and London pour The Tangent et une reformation de ton premier groupe, PO90 (Parallel Or 90 degrees), avec Jitters. Avant d’aborder cet entretien, une petite question de mise en forme : comment se sent-on lorsqu’un tel travail est terminé ?
Andy Tillison : Terminer un disque, je le conçois un peu comme donner naissance à un enfant. C’est toujours difficile de tout mettre en place, et que lorsque tu y aboutis tu te sens totalement vidé ! Dès lors, on est un peu groggy pendant plusieurs mois. Il a fallu faire du mieux possible et là, brusquement, tu n’as plus rien à faire ou à penser. Honnêtement, après un tel travail, j’ai un peu de mal à réécouter simplement de la musique, surtout du progressif (rires). Petit à petit, je recommence à écouter ce qui se fait ailleurs, je regarde les idées des autres, sans pour autant chercher à ressembler à ce que j’écoute. Je crois sincèrement que la musique de The Tangent est très spécifique, difficile à chanter, mais aussi difficile à écrire. Il y a des milliers de choses à penser, et pendant tout ce temps, il ne faut se concentrer que sur le groupe. J’ai écrit toutes les paroles, mis en place des mélodies, bref on a bossé comme des malades. Et puis un jour, tu appuies sur le bouton « stop, c’est fini ». Maintenant, je peux regarder la télé !
Tu as visiblement repris du temps pour écouter ce que font tes collègues. Est-ce pour te tenir informé, puiser de l’inspiration, pour le plaisir ou tout cela à la fois ?
J’écoute pas mal de choses quand je ne travaille pas. Mon idée, et ça on va en parler, c’est que je ne me mets pas dans la tête que la musique est forcément bonne parce qu’elle est nouvelle. Je ne pense pas que ce lien soit systématique. La plupart des gens te disent : « écoute ce truc, c’est nouveau, donc c’est génial ! ». Franchement, ce n’est pas mon avis. J’aime la musique lorsqu’elle est bonne, même si elle a été écrite il y a trente ans. Je ne me pose pas plus de questions.
Peux-tu nous en donner quelques exemples ?
En ce moment, j’écoute Jimmie Smith [NdlR : Un jazzman connu pour ses compositions à l’orgue Hammond], Joni Mitchell, que j’aime beaucoup pour des tas de petites choses que je n’avais jamais vraiment pris le temps d’écouter par le passé, comme c’est le cas pour d’autres artistes qui évoluent dans la même sphère, mais aussi Ian Brown, l’ancien leader des Stone Roses, Portishead, Opeth, le progressif italien des années soixante-dix, tout comme le récent et excellent La torre dell’ Alchemista, Muse, Radiohead, Porcupine Tree, jusqu’à Beethoven et Debussy.
Tes sources de plaisir sont vraiment diversifiées. Voilà qui tranche un peu avec l’image de l’artiste progressif qui reste cantonné à son ou ses univers…
Voilà un débat qui me passionne ! Beaucoup de gens sont restés coincés sur l’image du progressif des années soixante-dix, et pensent qu’il n’y a plus de relève aujourd’hui ; du coup, ils sont un peu enfermés dans leur monde. C’est vrai et je suis d’accord avec eux. Les choses vraiment importantes dans cette musique se sont vraiment arrêtées, mais ce n’est pas la faute des musiciens. C’est un changement d’époque, une sorte de conspiration des stations de radio qui font leur audience sur des morceaux plus courts, plus vendeurs, plus faciles aussi. Franchement, depuis 1977, peu de groupes, à part des monstres comme Marillion et quelques autres, ont réussi à se faire entendre et à percer. Pour beaucoup, c’est difficile. Ainsi, la vague progressive d’origine s’est naturellement arrêtée. C’est aussi notre responsabilité, car nous devons vraiment proposer de nouvelles choses au milieu de tout ce qui existe. Ce qui fonctionne en ce moment c’est la pop ou le heavy metal. Et moi, au milieu de totu ça, avec mes musiciens, je veux faire du progressif. Alors on cherche, on expérimente. Ce n’est pas pour rien que j’ai deux groupes. Avec The Tangent, le public n’est pas perdu car on propose un vrai travail, bien foutu, avec lequel les gens retrouvent une certaine familiarité, même si à chaque fois, on essaie de proposer du neuf. Avec PO90, c’est une autre démarche, peut-être plus radicale. C’est un groupe qui ne se donne aucune limite. On s’essaie à beaucoup de techniques, on multiplie les influences, comme Panthera, Nine Inch Nails, Rush, Van Der Graf Generator, Genesis, Big Picture, la musique industrielle, la batterie, des guitares puissantes, des guitares acoustiques, et on mélange tout ça. Bon d’accord, dès le début, nous n’avons eu aucun succès (rires) parce que ça sonnait pour le coup très proche des années quatre-vingt-dix et personne n’a acheté le disque. Si j’avais fait un album plus dans l’esprit seventies, tout le monde aurait adoré…
Et à ton avis, pourquoi cela n’a pas fonctionné ?
Je pense qu’on a touché le nerf. Les gens sont vraiment en phase avec le progressif des années soixante-dix, et pas mal d’amateurs sont restés un peu campés sur cette idée traditionnelle : on part d’un point, on arrive à un autre, il y a un concept, vingt minutes de musique pompeuse entre les deux… Une grande majorité a pensé qu’on avait eu tout faux au sujet de cette musique qu’ils aiment par-dessus tout. Je suis d’accord, je pense que nos albums doivent rester prog, avec une idée centrale, un thème qu’on développe, etc. J’ai tenté des trucs avec d’autres influences, un peu à la Green Day, voire The Clash. Mais franchement, dans les années soixante-dix aussi cette musique bougeait et sortait des sentiers battus. Un groupe comme Voïvod, dans les années quatre-vingt, a inventé des trucs, a osé s’aventurer dans le metal, et cela a fonctionné. Beaucoup pensent que ma musique est rétro à cause des claviers, qui, et c’est vrai, sont un peu une marque de fabrique d’un certain rock progressif. Tous les instruments peuvent être développés car ils ont toujours une part d’inventivité en eux. Regarde ce que Jimi Hendrix a fait de la guitare ! Mon souci, ce n’est pas de faire du nouveau, et ce qui m’anime, c’est de faire quelque chose de bon. Il y a tellement de merdes (sic) dans le progressif aujourd’hui. Seuls quelques artistes valent la peine qu’on les écoute… Avec the Tangent, on tâche d’innover sur les paroles, on propose des titres plus politiques, on a des choses à dire, à dénoncer, on propose un point de vue différent.
C’est assez fascinant de t’écouter car à entendre des mythes comme Yes qui tournent toujours, on n’a guère l’impression qu’ils se posent de telles questions. Ils sont là pour faire la musique que les gens aimaient il y a trente ans et point barre.
C’est une question d’époque. Et puis c’est difficile aussi de se faire connaître ou reconnaître aujourd’hui. Regarde les Beatles, ils sont connus car ils ont été les premiers à faire ce qu’ils ont fait. Ils avaient quarante ans d’histoire du rock derrière eux et ils ont proposé le truc nouveau qui les a propulsés. Même chose pour Yes. En 2010, tout le monde peut faire de la musique, tout le monde a son myspace, or je ne vois pas qui sera la première personne à faire quelque chose d’incroyable. A mon sens, un seul groupe propose quelque chose de franchement nouveau : Radiohead. C’est un groupe incroyable avec des albums comme Ok Computer, purement stupéfiant. C’est un disque démentiel et pour le coup innovant. Ils balancent Kid A ensuite, et là, c’est encore autre chose, puis Amnesiac qui s’avère encore plus recherché tout comme Hail to the Thief qui commence comme une petite symphonie, parfaite, calme, mais avec des chansons incroyables. Voilà du vrai prog (rires) : faire des choses tellement bonnes que rien ne pourra venir les supplanter après. En revanche, nombre de groupes progressifs ne font plus ça du tout. Quand Radiohead débute quelque chose, tu ne sais jamais comment ça se termine. Pour bien des groupes aujourd’hui, tu sais comment ils commencent, mais tu ne comprends pas bien comment ils veulent terminer, parce que ce n’est pas construit, et pas parce qu’ils te surprennent.
C’est la question lancinante des musiciens et du public : faudrait-il toujours de l’originalité ?
Je n’ai jamais prétendu faire de The Tangent un groupe original. Sans Gentle Giant et The Flower Kings par exemple, ce ne serait pas The Tangent. La musique prog, c’est quand même un peu ça : tu écoutes des choses, tu composes, tu mets tout ensemble. Nous, on fait pareil. Je préfère ça à des groupes qui veulent absolument sonner comme Pink Floyd et qui font moins bien qu’eux. C’est pareil avec ceux qui copient Genesis : bien sûr, ils sont populaires, mais juste parce qu’ils font la même chose que Genesis… The Tangent, on peut dire ce qu’on veut, mais ça sonne comme The Tangent, même si les influences sont multiples. On compose nous-mêmes, on ne copie pas, on n’est pas The Watch (rires). Avec PO90, j’essaie de faire un peu comme Saint Germain, c’est-à-dire surprendre. Bon, maintenant, celui qui veut absolument voir Pink Floyd, il peut toujours aller voir un tribute band sur scène (rires)…
Quand on t’écoute parler, on sent vraiment la passion et que tu es certain que cette musique a des choses à dire. Qu’est-ce qui te ferait arrêter ?
Tu veux dire combien de temps on peut tenir, durer ? J’aimerais travailler le plus longtemps possible. Genesis, au bout de quelques albums, a arrêté. Ils ont su dire à temps que c’était terminé. Yes, c’est différent, c’est parfois répétitif, ils ont fait des trucs complètement ratés. Je ne suis pas certain non plus qu’avoir enregistré The Division Bell ait été la meilleure idée de Pink Floyd… Ils auraient dû arrêter après A Momentary Lapse of Reason. En même temps, Amused to Death de Roger Waters est un disque incroyable, plein de trouvailles. C’est difficile de savoir quand s’arrêter : la musique, c’est quand même notre vie, c’est ce qui amène du pain sur la table. Viendra un jour où il n’y aura plus de disques de The Tangent, en assumant que cela n’amène plus de pain. L’objectif, c’est de continuer à faire de la bonne musique, de donner envie d’acheter le prochain disque. En revanche, je suis gêné par ceux qui ont une bonne idée et l’usent jusqu’à la corde. Nous tous, Roine (Stolt), Neal (Morse), avons cinquante ans, mais toujours avec la fibre. Quand on monte sur scène, ce n’est jamais un come back, on interprète nos derniers morceaux et on crée sans arrêt. Je ne crois pas en Dieu, mais merci à… je ne sais quoi !
Progressia : Tu as une double actualité : la sortie de Down and Out in Paris and London pour The Tangent et une reformation de ton premier groupe, PO90 (Parallel Or 90 degrees), avec Jitters. Avant d’aborder cet entretien, une petite question de mise en forme : comment se sent-on lorsqu’un tel travail est terminé ?
Andy Tillison : Terminer un disque, je le conçois un peu comme donner naissance à un enfant. C’est toujours difficile de tout mettre en place, et que lorsque tu y aboutis tu te sens totalement vidé ! Dès lors, on est un peu groggy pendant plusieurs mois. Il a fallu faire du mieux possible et là, brusquement, tu n’as plus rien à faire ou à penser. Honnêtement, après un tel travail, j’ai un peu de mal à réécouter simplement de la musique, surtout du progressif (rires). Petit à petit, je recommence à écouter ce qui se fait ailleurs, je regarde les idées des autres, sans pour autant chercher à ressembler à ce que j’écoute. Je crois sincèrement que la musique de The Tangent est très spécifique, difficile à chanter, mais aussi difficile à écrire. Il y a des milliers de choses à penser, et pendant tout ce temps, il ne faut se concentrer que sur le groupe. J’ai écrit toutes les paroles, mis en place des mélodies, bref on a bossé comme des malades. Et puis un jour, tu appuies sur le bouton « stop, c’est fini ». Maintenant, je peux regarder la télé !
Tu as visiblement repris du temps pour écouter ce que font tes collègues. Est-ce pour te tenir informé, puiser de l’inspiration, pour le plaisir ou tout cela à la fois ?
J’écoute pas mal de choses quand je ne travaille pas. Mon idée, et ça on va en parler, c’est que je ne me mets pas dans la tête que la musique est forcément bonne parce qu’elle est nouvelle. Je ne pense pas que ce lien soit systématique. La plupart des gens te disent : « écoute ce truc, c’est nouveau, donc c’est génial ! ». Franchement, ce n’est pas mon avis. J’aime la musique lorsqu’elle est bonne, même si elle a été écrite il y a trente ans. Je ne me pose pas plus de questions.
Peux-tu nous en donner quelques exemples ?
En ce moment, j’écoute Jimmie Smith [NdlR : Un jazzman connu pour ses compositions à l’orgue Hammond], Joni Mitchell, que j’aime beaucoup pour des tas de petites choses que je n’avais jamais vraiment pris le temps d’écouter par le passé, comme c’est le cas pour d’autres artistes qui évoluent dans la même sphère, mais aussi Ian Brown, l’ancien leader des Stone Roses, Portishead, Opeth, le progressif italien des années soixante-dix, tout comme le récent et excellent La torre dell’ Alchemista, Muse, Radiohead, Porcupine Tree, jusqu’à Beethoven et Debussy.
Tes sources de plaisir sont vraiment diversifiées. Voilà qui tranche un peu avec l’image de l’artiste progressif qui reste cantonné à son ou ses univers…
Voilà un débat qui me passionne ! Beaucoup de gens sont restés coincés sur l’image du progressif des années soixante-dix, et pensent qu’il n’y a plus de relève aujourd’hui ; du coup, ils sont un peu enfermés dans leur monde. C’est vrai et je suis d’accord avec eux. Les choses vraiment importantes dans cette musique se sont vraiment arrêtées, mais ce n’est pas la faute des musiciens. C’est un changement d’époque, une sorte de conspiration des stations de radio qui font leur audience sur des morceaux plus courts, plus vendeurs, plus faciles aussi. Franchement, depuis 1977, peu de groupes, à part des monstres comme Marillion et quelques autres, ont réussi à se faire entendre et à percer. Pour beaucoup, c’est difficile. Ainsi, la vague progressive d’origine s’est naturellement arrêtée. C’est aussi notre responsabilité, car nous devons vraiment proposer de nouvelles choses au milieu de tout ce qui existe. Ce qui fonctionne en ce moment c’est la pop ou le heavy metal. Et moi, au milieu de totu ça, avec mes musiciens, je veux faire du progressif. Alors on cherche, on expérimente. Ce n’est pas pour rien que j’ai deux groupes. Avec The Tangent, le public n’est pas perdu car on propose un vrai travail, bien foutu, avec lequel les gens retrouvent une certaine familiarité, même si à chaque fois, on essaie de proposer du neuf. Avec PO90, c’est une autre démarche, peut-être plus radicale. C’est un groupe qui ne se donne aucune limite. On s’essaie à beaucoup de techniques, on multiplie les influences, comme Panthera, Nine Inch Nails, Rush, Van Der Graf Generator, Genesis, Big Picture, la musique industrielle, la batterie, des guitares puissantes, des guitares acoustiques, et on mélange tout ça. Bon d’accord, dès le début, nous n’avons eu aucun succès (rires) parce que ça sonnait pour le coup très proche des années quatre-vingt-dix et personne n’a acheté le disque. Si j’avais fait un album plus dans l’esprit seventies, tout le monde aurait adoré…
Et à ton avis, pourquoi cela n’a pas fonctionné ?
Je pense qu’on a touché le nerf. Les gens sont vraiment en phase avec le progressif des années soixante-dix, et pas mal d’amateurs sont restés un peu campés sur cette idée traditionnelle : on part d’un point, on arrive à un autre, il y a un concept, vingt minutes de musique pompeuse entre les deux… Une grande majorité a pensé qu’on avait eu tout faux au sujet de cette musique qu’ils aiment par-dessus tout. Je suis d’accord, je pense que nos albums doivent rester prog, avec une idée centrale, un thème qu’on développe, etc. J’ai tenté des trucs avec d’autres influences, un peu à la Green Day, voire The Clash. Mais franchement, dans les années soixante-dix aussi cette musique bougeait et sortait des sentiers battus. Un groupe comme Voïvod, dans les années quatre-vingt, a inventé des trucs, a osé s’aventurer dans le metal, et cela a fonctionné. Beaucoup pensent que ma musique est rétro à cause des claviers, qui, et c’est vrai, sont un peu une marque de fabrique d’un certain rock progressif. Tous les instruments peuvent être développés car ils ont toujours une part d’inventivité en eux. Regarde ce que Jimi Hendrix a fait de la guitare ! Mon souci, ce n’est pas de faire du nouveau, et ce qui m’anime, c’est de faire quelque chose de bon. Il y a tellement de merdes (sic) dans le progressif aujourd’hui. Seuls quelques artistes valent la peine qu’on les écoute… Avec the Tangent, on tâche d’innover sur les paroles, on propose des titres plus politiques, on a des choses à dire, à dénoncer, on propose un point de vue différent.
C’est assez fascinant de t’écouter car à entendre des mythes comme Yes qui tournent toujours, on n’a guère l’impression qu’ils se posent de telles questions. Ils sont là pour faire la musique que les gens aimaient il y a trente ans et point barre.
C’est une question d’époque. Et puis c’est difficile aussi de se faire connaître ou reconnaître aujourd’hui. Regarde les Beatles, ils sont connus car ils ont été les premiers à faire ce qu’ils ont fait. Ils avaient quarante ans d’histoire du rock derrière eux et ils ont proposé le truc nouveau qui les a propulsés. Même chose pour Yes. En 2010, tout le monde peut faire de la musique, tout le monde a son myspace, or je ne vois pas qui sera la première personne à faire quelque chose d’incroyable. A mon sens, un seul groupe propose quelque chose de franchement nouveau : Radiohead. C’est un groupe incroyable avec des albums comme Ok Computer, purement stupéfiant. C’est un disque démentiel et pour le coup innovant. Ils balancent Kid A ensuite, et là, c’est encore autre chose, puis Amnesiac qui s’avère encore plus recherché tout comme Hail to the Thief qui commence comme une petite symphonie, parfaite, calme, mais avec des chansons incroyables. Voilà du vrai prog (rires) : faire des choses tellement bonnes que rien ne pourra venir les supplanter après. En revanche, nombre de groupes progressifs ne font plus ça du tout. Quand Radiohead débute quelque chose, tu ne sais jamais comment ça se termine. Pour bien des groupes aujourd’hui, tu sais comment ils commencent, mais tu ne comprends pas bien comment ils veulent terminer, parce que ce n’est pas construit, et pas parce qu’ils te surprennent.
C’est la question lancinante des musiciens et du public : faudrait-il toujours de l’originalité ?
Je n’ai jamais prétendu faire de The Tangent un groupe original. Sans Gentle Giant et The Flower Kings par exemple, ce ne serait pas The Tangent. La musique prog, c’est quand même un peu ça : tu écoutes des choses, tu composes, tu mets tout ensemble. Nous, on fait pareil. Je préfère ça à des groupes qui veulent absolument sonner comme Pink Floyd et qui font moins bien qu’eux. C’est pareil avec ceux qui copient Genesis : bien sûr, ils sont populaires, mais juste parce qu’ils font la même chose que Genesis… The Tangent, on peut dire ce qu’on veut, mais ça sonne comme The Tangent, même si les influences sont multiples. On compose nous-mêmes, on ne copie pas, on n’est pas The Watch (rires). Avec PO90, j’essaie de faire un peu comme Saint Germain, c’est-à-dire surprendre. Bon, maintenant, celui qui veut absolument voir Pink Floyd, il peut toujours aller voir un tribute band sur scène (rires)…
Quand on t’écoute parler, on sent vraiment la passion et que tu es certain que cette musique a des choses à dire. Qu’est-ce qui te ferait arrêter ?
Tu veux dire combien de temps on peut tenir, durer ? J’aimerais travailler le plus longtemps possible. Genesis, au bout de quelques albums, a arrêté. Ils ont su dire à temps que c’était terminé. Yes, c’est différent, c’est parfois répétitif, ils ont fait des trucs complètement ratés. Je ne suis pas certain non plus qu’avoir enregistré The Division Bell ait été la meilleure idée de Pink Floyd… Ils auraient dû arrêter après A Momentary Lapse of Reason. En même temps, Amused to Death de Roger Waters est un disque incroyable, plein de trouvailles. C’est difficile de savoir quand s’arrêter : la musique, c’est quand même notre vie, c’est ce qui amène du pain sur la table. Viendra un jour où il n’y aura plus de disques de The Tangent, en assumant que cela n’amène plus de pain. L’objectif, c’est de continuer à faire de la bonne musique, de donner envie d’acheter le prochain disque. En revanche, je suis gêné par ceux qui ont une bonne idée et l’usent jusqu’à la corde. Nous tous, Roine (Stolt), Neal (Morse), avons cinquante ans, mais toujours avec la fibre. Quand on monte sur scène, ce n’est jamais un come back, on interprète nos derniers morceaux et on crée sans arrêt. Je ne crois pas en Dieu, mais merci à… je ne sais quoi !