Chance:Risiko – Assurance tous risques
On connait la contrée de la botte, son nombre d’icônes qu’elle abrite d’Ennio Morricone à Andrea Bocelli, en passant par ce fameux rock symphonique vintage qui a eu son heure de gloire pendant les années soixante-dix. Mais aujourd’hui, on espère surtout qu’elle devienne une nouvelle maison pour toutes ces musiques nouvelles, à l’heure où AltrOck, le petit label qui monte, amène du sang frais au mouvement en signant ce groupe de vingt ans de moyenne, qui semble pourtant en avoir le triple en maturité musicale.
Progressia : Les informations sur vous sont encore rares sur la toile, notamment pour les non-italianophiles. Peux-tu présenter Chance:Risiko et son histoire à nos lecteurs ?
Paolo D’Alonzo : Nous avons commencé à jouer ensemble à Bologne, en Italie, il y a quelques années au sein d’un groupe qui portait à l’époque un autre nom. Chance:Risiko est en fait la dénomination que j’avais choisie pour mon projet solo, qui a abouti en 2007 à un enregistrement d’avant-garde fait maison, diffusé sur internet et caractérisé par un très mauvais son ! Ces deux mots allemands se réfèrent à la proportion de risques liés à un sinistre, un paramètre utilisé par les sociétés d’assurance pour calculer leur prime. C’est une appellation étrange que j’ai tirée du titre d’une exposition à Munich. En 2008, le nom fut finalement adopté par mes camarades pour notre association. Chance:Risiko est essentiellement un groupe « universitaire ». Greg est en médecine, Giacomo en communication et suit des cours au Conservatoire, j’étudie la philosophie et Emilio la physique. Dans le petit laps de temps qu’il nous reste, on essaye de faire de la bonne musique.
Vous êtes très jeunes – et d’autant plus pour la musique que vous jouez. Quels sont donc vos parcours respectifs ?
Aucun d’entre nous n’a une éducation musicale professionnelle, sauf Giacomo qui suit le cours de Technologie Musicale pour les Médias au Conservatoire de Bologne. Pour ma part, je dois une partie de mon éducation d’auditeur à mon père, qui m’a transmis ses goûts en musique, à partir desquels j’ai pu développer les miens. Je suis un auditeur omnivore, tout comme mes acolytes. Je me rappelle quand Giacomo a noté les groupes dans la colonne « Influences » de notre page MySpace, ça s’est transformé en une liste interminable que l’on a dû conclure par « et plein d’autres » ! Nous n’allons pas cacher le fait que nous avons eu la possibilité d’écouter un riche éventail de musiques grâce à l’arrivée du peer-to-peer. Je n’aurais pas eu assez d’argent pour acheter tous ces disques, qui ne sont d’ailleurs pas toujours faciles à dénicher. Nous sommes jeunes, c’est vrai, mais faisons partie de la première génération qui a eu un accès facile et gratuit à un tas de musiques. Non seulement ça nous pousse constamment à la recherche, mais aussi à redéfinir nos connaissances. Aucun d’entre nous n’a jamais choisi la musique en fonction de genres définis. Chacun y cherche, peut-être inconsciemment, des critères complètement différents, sûrement les mêmes que ceux utilisés pour écrire nos morceaux.
Comment s’est passé l’approche avec AltrOck Productions, chez qui vous avez fini par signer aux côtés de Finnegans Wake ou MiRthkon ?
C’est Marcello Marinone qui nous a contactés en premier, probablement après une écoute sur internet. Au départ, nous étions un peu surpris car, pour ce qui me concerne, AltrOck était avant tout le label de Yugen et Labirinto d’Acqua n’est pas vraiment un disque de « chansons » ou « facile d’accès » ! Or lorsque nous l’avons rencontré et que nous nous sommes entretenus, nous avons compris que nous avions un point commun, le sens du mot « progressif ». Ce terme ne se réfère pas – ou alors ne devrait pas se référer – à un genre musical ni à un son bien défini. De mon point de vue, cela se rapporte à une certaine attitude vis-à-vis de la musique en général. Cette sorte de connotation « politique » du mot me tient à coeur, car elle concerne la complexité à l’écoute plus que celle à composer ou à exécuter la musique. En bref, « prog » n’est pas synonyme d’athlétisme musical, mais se rapporte plutôt à une attention toute particulière, à un certain goût pour la profondeur des choses ou la tétra-dimensionnalité de la composition musicale. A partir de là, les points communs entre notre projet musical et celui d’AltrOck se sont multipliés. Pendant ce temps, Yugen a fait Yugen Made Leddi sur lequel Giacomo joue de la basse en invité sur un morceau. Leddi et Stormy Six sont des points de références très importants, et je dirais que le style de composition d’Emilio en est fortement imprégné. Nous avons rencontré Tommaso Leddi, Yugen et avons joué à l’AltrOck Festival en novembre 2008. Voilà pour le résumé !
Peut-on dire que vous représentez en quelque sorte la relève du Rock In Opposition ?
Nous en serions certainement très fiers. C’est vrai que nous en partageons en partie l’esprit, et n’hésitons pas à revendiquer des influences RIO comme Henry Cow, Stormy Six et Aksak Maboul. Personnellement, John Greaves a une influence prépondérante sur moi, notamment ses albums calibrés « chansons ». D’ailleurs on adore Kew Rhone ainsi que Songs. Mais pour être franc, on vit dans un contexte où il est difficile de se reconnecter sur cette atmosphère et ces idées. C’est l’un des problèmes majeurs en Italie, nous n’avons pas de vrai mouvement. Les années quatre-vingt ont brisé la continuité de celui issu des années soixante et soixante-dix. Aujourd’hui, le contexte est plutôt à la production de nouveaux moyens d’expression, de réflexion et aussi à faire de la musique. D’une manière ou d’une autre, la nôtre subit les conséquences d’une telle situation. Elle met d’un côté en avant un ton très intime, et de l’autre cherche également son public.
Chacun d’entre vous joue d’une multitude d’instruments différents. Avec un panel de base aussi large, comment se passe le processus de composition ?
C’est une question bien problématique. Une part considérable consiste à discuter justement de la manière de procéder. Au moment où nous avons commencé à travailler à la création de Sleep Talking, notre ancien groupe venait de splitter et le nouveau projet se formait progressivement à l’initiative de Giacomo. La plupart du temps, nous avons travaillé en trio. Greg est revenu au moment où les compositions étaient bouclées. Auparavant, nous avions l’habitude de travailler exclusivement en répétition, où chacun jouait de son propre instrument. Là en l’occurrence, nous avons monté un petit studio, et avons commencé à travailler davantage en enregistrant qu’en répétant. L’utilisation d’instruments additionnels est arrivée naturellement. Nous avons dès lors opté pour une certaine liberté de jeu : si on voulait un vibraphone dans un morceau, on en achetait un et on apprenait à en jouer ! Si nous voulions un ensemble de violoncelles, on persuadait des amis de venir jouer sur le disque. Donc, si tu me le permets, je vais te contredire car les possibilités n’étaient pas vraiment celles que nous avions avait en main « à la base » mais plutôt « au final », par rapport à nos désirs. Nos ressources financières restent toutefois bien limitées, tout comme nos capacités d’apprentissage. Heureusement, beaucoup d’amis nous ont aidés. C’était une expérience intéressante, mais je ne crois pas que nous la réitérerons. Travailler si « librement » sur un enregistrement avec si peu de temps et si peu de personnes impliquées, c’est stressant. C’est un processus long et épuisant qui demande à se dépasser inlassablement.
Comment se passe alors l’interprétation de ces morceaux sur scène ?
C’est un autre problème. Je crois que l’arrangement pour le live est peut-être plus méthodique, car cela nous confronte directement à différentes limites : instrumentales, logistiques et même économiques. Par exemple, nous n’avions même pas assez d’argent pour acheter un synthétiseur ! On repart donc essentiellement à zéro : on joue les morceaux en utilisant uniquement les instruments que nous maitrisons ou faciles à emporter sur scène. Le résultat est parfois surprenant ou bien frustrant. Certains titres perdent une partie de leurs détails, d’autres sont tout simplement impossibles à réarranger. Par conséquent, on ne les joue pas en concert. D’autres en revanche gagnent en force et en vie, se transformant en une seconde version différente de l’album. Je commence à voir de façon positive cette dualité en musique. Je pense qu’un morceau est vraiment bon quand tu peux l’interpréter de nombreuses manières, sans qu’il perde en essence et en beauté. Nous avons appris que la création d’un album studio n’est vraiment pas le même travail que la préparation d’une bonne représentation scénique.
Votre musique possède un excellent équilibre pour ravir les amateurs de Rock In Opposition et être accessible à des oreilles néophytes. Quels sont les retours du public d’une manière générale ?
Ils sont très bons en général. C’est gentil de dire ça, car atteindre cet équilibre était l’un de nos principaux objectifs en réalisant cet album, et nous avions peur de ne pas être parvenus à le remplir complètement.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Bonne année évidemment ! On espère vraiment venir jouer en France le plus vite possible.