ENTRETIEN : CUNEIFORM RECORDS | |
Origine : Etats Unis Style : Rock In Opposition, Canterbury Formé en : 1984 | Au beau milieu d’une période économique désastreuse, dans laquelle le secteur culturel est laissé sur la touche, il était de bon ton de permettre à Steve Feigenbaum, tête pensante de Cuneiform Records, de s’exprimer. Un responsable de label toujours passionné après vingt-cinq ans de métier, mais un brin fataliste.
Progressia : Comment a débuté l’aventure Cuneiform Records ? Steve Feigenbaum : J’ai commencé par travailler pour un groupe d’amis, The Muffins, lorsque j’avais dix-sept ans. Nous avons sorti ensemble des albums pendant quelques années et ce fut une première expérience très enrichissante. J’ai alors monté Wayside Music, un commerce de vente par correspondance en 1980, puis le label Cuneiform Records en mai 1984, qui fête ses vingt-cinq ans cette année.
Que l’arrivée du partage de fichiers sur Internet a-t-elle changé ? Il a fallu un certain temps pour en arriver à la situation actuelle, où une large majorité de gens pensent que ne pas payer pour écouter de la musique est devenu normal. Les modifications dues au partage de fichiers sont désormais évidentes à travers toute l’industrie musicale. Quel que soit le style de musique tu publies, ce changement s’est traduit par une chute vertigineuse des ventes et une disparition des lieux de vente de la musique, mis à part Amazon. Je ne veux pas rentrer dans des détails que j’ai personnellement vécus, mais selon moi, Amazon n’est pas l’ami des labels d’une manière générale. Par exemple, Tower [NdlR : chaîne de magasins de disques américaine déclarée en faillite en 2004 et rachetée par Caiman en 2007] était bien plus intéressé par la musique qu’Amazon, puisque la musique était son commerce principal. Ainsi, même si nous ne représentions qu’une petite portion de ce qu’il vendait, nous les intéressions. Tandis que le credo d’Amazon est de vendre… tout ce qu’ils peuvent vendre.
De nombreux labels naissent et signent parfois les mêmes groupes que vous. Certains sont même créés par des artistes signés chez vous (ReR, Ad Hoc). Est-ce une concurrence à proprement parler ? Je ne les ai jamais considéré comme des concurrents. Quand nous avons débuté en 1984, personne d’autre ne publiait ce genre de musique. Je n’ai jamais voulu diriger un label de rock progressif et je ne pense pas que nous en sommes un, or nous sommes immédiatement étiquetés « label prog » par la presse. Je suppose que c’est lié au fait de s’en tenir à certaines idées qui datent de l’époque du rock progressif, et auxquelles je crois toujours d’ailleurs.C’est donc assez agréable que d’autres gens cherchent à signer les mêmes groupes que nous. Et dans le cas d’Ad Hoc, je considère Dave Kerman comme un bon ami, donc ce n’est vraiment pas un problème pour moi.
Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de la dématérialisation, à propos notamment de la promotion et de la vente d’albums ? Je n’aime pas vraiment vendre du MP3. Le son n’est pas aussi bon et aucune livret ne l’accompagne. Je veux que les gens reçoivent les albums sous la forme dans laquelle ils ont été publiés et je pense que les musiciens seront d’accord avec moi sur ce point. Cela étant dit, c’est tellement simple de se contenter de « prendre » la musique sur Internet. Dans le cas où quelqu’un souhaite s’approprier la musique dans un format numérique et qu’il est prêt à nous payer pour cela via iTunes par exemple, je suis vraiment reconnaissant, car je sais qu’il agit à la fois de manière honnête et éthique, en choisissant de payer et de ne pas simplement se servir. A propos de la promotion, tu poses la question au bon moment. A partir des prochaines sorties (en janvier 2010), nous allons passer aux promos digitales. Je comprends tout à fait que cette décision va déplaire à beaucoup – je ne sais pas moi-même si j’en suis satisfait – mais nous n’avons financièrement pas le choix. Nous procéderons comme ça dorénavant.
Comment les choses évolueront-elles dans l’industrie musicale selon toi ? Comment souhaiterais-tu qu’elles changent ? Honnêtement, je pense que nous assistons au début de la fin de l’industrie musicale. Je ne vois pas d’issue face au nombre de disques ou autres aujourd’hui disponibles gratuitement. Il y aura toujours un nombre réduit de gens qui souhaiteront le produit physique et un nombre réduit de personnes qui voient que la musique distribuée gratuitement et illégalement met à mal les musiciens qu’ils aiment. En revanche, je ne pense pas qu’au bout du compte il y ait encore assez de monde enclin à payer pour soutenir la musique au sein d’un vrai modèle économique. La plupart des labels disparaitront et je pense que les musiciens et les groupes devront s’adapter… ou suivre la même voie.
Les groupes créatifs ne manquent pas de nos jours. Comment choisissez-vous les quelques heureux et rares élus ? C’est tout à fait vrai, il y a beaucoup de groupes formidables actuellement, et une grande partie de mon travail consiste à m’asseoir et à écouter de la musique. Évidemment, il y a beaucoup de mauvaises choses tout comme il en existe un nombre surprenant d’excellentes ! Malheureusement, nous ne pouvons pas signer tout ce beau monde et je passe donc beaucoup de temps à écrire des lettres de refus à des groupes, leur expliquant qu’il est impossible que je publie leur album, même si ces projets sont très bons. Il y a donc trois facteurs qui rentrent en ligne de compte. Est-ce que j’aime ce que je suis en train d’écouter ? Est-ce un groupe qui tourne ? Et puis-je en vendre assez d’exemplaires ?
Cuneiform Records est indéniablement une marque de référence en matière de Canterbury ou de Rock In Opposition. Êtes-vous à l’affût de nouvelles tendances ? Absolument, et je pense qu’avec des groupes que nous avons signés tels que Upsilon Acrux, Time of Orchids, Ahleuchatistas, Zevious, Positive Catastrophe ou Led Bib, nous publions déjà un peu de ces nouvelles tendances.
Que conseil donnerais-tu à un lecteur qui voudrait se lancer dans la création d’un label ? Ne le faites pas. C’est la réponse que j’ai donné ces quinze dernières années et ça n’a jamais été plus vrai qu’aujourd’hui. Propos recueillis par Brendan Rogel site web : Cuneiform Records retour au sommaire |