– Cheese Prog Event
FESTIVAL : CHEESE PROG EVENT #2
Le Cheese Prog Event, kézako ? La convention annuelle de l’Amicale des Artisans Fromagers ? Que nenni ! C’est un festival strasbourgeois de rock progressif au sens large, dont la seconde édition a eu lieu le 5 octobre dernier devant plus d’une centaine de personnes. Comment est-ce possible ? Recette ! En 2008, le groupe Camembert tente un pari insensé : organiser un festival de rock progressif à Strasbourg. La jeune formation alsacienne partage l’affiche avec les Américains de French TV sur la scène du Café des Anges. Forte de son petit succès, cette première édition a fort logiquement engendré un rejeton. Au menu de la deuxième mouture : Taennchel, groupe alsacien de folk prog, Accordo dei Contrari et Camembert, naturellement, qui entre-temps a pris de la bouteille avec son EP Clacosmique. De la bière, des knacks et de la salade de patates, des tartines de chèvre, un prix d’entrée ridicule et le tour est joué : le public est bien là ! C’est aux locaux de Taennchel que revient l’honneur d’ouvrir le bal. Leur musique s’inspire directement du sommet vosgien dont ils portent le nom et des mystérieux mégalithes qui le parsèment. Le rock acoustique flamboyant du septuor alsacien obtient un excellent accueil d’un public hétéroclite composé de curieux et d’adeptes des divers groupes en présence. Tantôt aérien, évanescent façon Loreena McKennit, tantôt plus dynamique grâce aux poilus de la section rythmique, la musique de Taennchel passe à merveille le cap d’une scène presque trop exigüe pour la jeune troupe. De talentueuses et charmantes jeunes demoiselles donnent de leurs voix haut perchées et exhibent leurs talents d’instrumentistes (violon, hautbois, guitare… mention spéciale pour la scie musicale !) pendant une grosse demi-heure de rêverie musicale maîtrisée à la perfection. Chapeau bas. On attend un disque avec impatience. Lorsqu’Accordo dei Contrari monte sur scène, le contraste est saisissant. La douce brise printanière laisse place à un ouragan dévastateur. De retour de la Convention ProgRésiste, l’hétéroclite quatuor italien prend le public à la gorge le temps d’un crochet par Strasbourg avec son jazz rock puissant et complexe. Aussi implacable que souriant, le massif bassiste Daniele Piccinini soutient avec le batteur Cristian Franchi cet édifice à la charpente non-euclidienne. Giovanni Parmeggiani, derrières ses allures de geek hirsute et mal dégrossi triture les boutons et les touches de sa panoplie de claviers tandis que Marco Marzo, tout en classe et décontraction, enchaîne solos et rythmiques avec une aisance non feinte. La démonstration technique est impressionnante à défaut de convaincre totalement un public probablement peu habitué à flirter avec le RIO. Par ailleurs, le niveau sonore trop élevé ne permet pas d’apprécier toute la subtilité de la performance de ces sympathiques Italiens dont la simplicité et l’enthousiasme contrastent avec l’apparent hermétisme de leur musique. L’honneur de clore la soirée revient à Camembert, les organisateurs du festival. Avec un humour qu’on n’attendrait pas forcément d’un jeune musicien évoluant dans le domaine progressif, le bassiste Pierre Wawrzyniak présente le groupe et le concept qui sous-tend cet ambitieux fromage musical. L’entité à pâte molle a décidé de scinder son show en deux parties, histoire de permettre au public de digérer la prestation compacte. Car un concert de Camembert nécessite de la part de l’auditeur un certain investissement intellectuel ou, à défaut, un degré avancé d’ébriété. Expressive, génératrice d’images, la musique des Alsaciens s’exprime bien mieux sur scène que sur disque. Le groupe paraît en parfaite osmose, chacun de ses membre y va de son style, entre la rigueur discrète, l’enthousiasme contenu de Vincent Sexauer et l’extraversion d’un Fabrice Toussaint qui, déchaîné, presqu’en transe, donne dans l’exploit sportif, jonglant entre trombone, xylophone et autres percussions. Les interventions de chaque musicien, chaque instrument (de la harpe au triangle !) sont toutes indispensables et parfaitement intégrées aux savantes et pertinentes compositions. La frénésie de King Crimson alterne avec les rêveries de Pink Floyd, l’humour funky joue au chat et à la souris avec d’inquiétantes atmosphères post-rock. A peine l’assistance a-t-elle le temps d’ingérer la première partie (et accessoirement une ou deux bières) que déjà la seconde l’emporte à nouveau vers des univers parallèles et autres mondes oubliés où le reggae côtoie la fusion jazz. Et même si le public commence alors à se clairsemer, Camembert poursuit son récit et guide le spectateur téméraire à travers les méandres d’une histoire qu’on espère bien comprendre un jour ! Le festival, filmé par la web TV Canal 12 (http://www.canal12.fr/) aura été une incontestable réussite en regard du style pratiqué. Bravo à Camembert pour avoir eu le culot d’organiser cette manifestation, aux groupes qui ont pris le risque d’assumer l’étiquette prog’, et au public qui a osé s’aventurer sur les terres d’une musique aussi peu conventionnelle. Petit Cheese Prog Event deviendra grand, qu’on se le dise ! Jean-Philippe Haas sites web : |