– Dominique Dupuis
FOCUS : DOMINIQUE DUPUIS
Celui qui découvre aujourd’hui le rock progressif en commençant par les production actuelles doit nécessairement dépasser l’impression désagréable de glisser dans sa discothèque de pochettes CD au graphisme approximatif. Handicapé par un format ridicule de douze petits centimètres carrés, le rock progressif d’aujourd’hui a toutes les peines du monde, et c’est un euphémisme, à traduire visuellement de manière intéressante, hors des clichés, la richesse musicale du genre. Le premier grand mérite de l‘ouvrage de Dominique Dupuis est de nous rappeler à quel point la forme ample et originale des pochettes vinyles du mouvement progressif fut souvent géniale, tout en étant intimement liée à la musique qu’elle illustrait. Non content de nous rafraîchir la mémoire sur le talent graphique des origines, sous-titré Histoire subjective du rock progressif, Progressive Rock Vinyls est également l’occasion de dresser un panorama assez complet — inédit en français — de l’histoire du rock progressif qui, s’il est né à la fin des années soixante pour connaître une période sombre à partir de la fin des années soixante-dix, n’a jamais cessé d’exister. Auteur de chroniques et d’ouvrages critiques sur la bande dessinée et le rock, Dominique Dupuis a vécu le mouvement punk de l’intérieur, notamment comme manager du groupe Stinky Toys de 1976 à 1978, et côtoyé le prog’ rock en organisant des concerts de Sweet Smoke et Tempest. Aujourd’hui, directeur d’une belle collection consacrée aux pochettes vinyles aux Éditions Ereme, il s’est lui-même attelé au travail de sélection et de rédaction de cet ouvrage, dont il faut immédiatement souligner l’exceptionnelle qualité de la mise en page, tant il est vrai que les ouvrages consacrés à ce sujet sont souvent d’un goût douteux. « L’idée de base était de faire un beau livre d’image bâti autour du monde de l’illustration pour les vinyles ». Exercice réussi qui fait l’impressionnante démonstration de la force créative et de l’impact de ce support généreux qui a accompagné les plus belles heures du mouvement progressif. « Il s’agit en fait d’un combat à la con car je voudrais réhabiliter le vinyle », précise-t-il de manière très spontanée. « Je trouve extrêmement frustrant l’image sur un CD. Il y en a parfois de belles, mais c’est rabougri ; il n’y a pas de matière. Alors qu’avec le vinyle, il y avait une riche illustration et une vraie recherche graphique. Beaucoup d’illustrateurs étaient de grandes stars comme Roger Dean, Paul Whitehead, Hipgnosis, Storm Thorgeson ou Man Ray. Giger par exemple, sur Brain Salad Surgery, pour les ELP, c’est magnifique, mais sur CD… ce n’est rien ! Sur le vinyle, les visuels respirent, ils ont de la gueule ! Le but de cette collection est donc de faire redécouvrir la richesse graphique de ce support et, en l’occurrence, celle du rock progressif qui, de tous les genres musicaux, a la plus grande unité ». Élégant, de format carré presque à la taille 30×30, l’ouvrage rend justice à cette fameuse pochette cartonnée qui emballe comme un trésor les œuvres gravées sur le fuligineux chlorure de polyvinyle. Parallèlement à cette réhabilitation du format vinyle, Dominique Dupuis voulait également combler une lacune. « Quand j’ai cherché un livre sur le rock progressif dans un grand magasin connu et généralement bien achalandé, je n’ai alors trouvé qu’un seul ouvrage, et qui s’arrête en 1970 ! Après, il n’y a plus rien… » affirme-t-il. Mais il ne faut pas se tromper car ce qui fait l’originalité de Progressive Rock Vinyls, « c’est le texte qui sert d’illustration, et non l’inverse. Le plus important, ce sont les pochettes ». Le traitement historique reflète une grosse dose de subjectivité assumée comme le précise d’ailleurs le sous-titre de l’ouvrage. « Mes sélections sont vraiment subjectives. Pour vous donner un exemple, dans Rock Vinyls, j’avais pris le parti de ne pas mettre du Queen, car à aucun moment ce groupe n’a croisé ma vie ». Difficile d’être plus clair… et partial ! Pourtant, l’ouvrage va bien au-delà de tout ce qui a déjà été édité en langue française, en abordant des thèmes peu traités comme le Krautrock, le Canterbury ou le trop méconnu progressif italien, et en poussant dans le temps jusqu’au metal progressif. Beaucoup devraient donc y retrouver un intérêt. « En terme visuel, cette histoire est enrichie par de nombreux thèmes. J’ai essayé autant que faire se peut, que graphiquement, tout cela tienne ». De toute évidence, Dominique Dupuis a des préférences musicales qu’il n’a pas hésité à mettre en avant. « J’ai beaucoup trop mis de Van Der Graaf Generator et de Peter Hammill, c’est honteux ! (rires) ». Le Canterbury est aussi particulièrement bien servi, comme le Krautrock. « Les graphistes allemands ont proposé des choses très avant-gardistes, notamment grâce au Bauhaus. On va trouver chez eux une richesse graphique que l’on ne retrouve ni en Angleterre, ni en Italie ». « J’ai vécu le rock progressif du début. En 1970, 1971 et 1972, j’allais voir des concerts. Aussi ma tendance, c’était de penser que le rock progressif s’était arrêté avec le punk ». Rien d’étonnant à ce que la seconde partie consacrée au rock progressif post-seventies soit plus faible, moins précise. « J’avais tout de même quelques faiblesses », avoue-t-il, « sur les dernières évolutions du rock progressif. Mais ça m’a fait découvrir un grand groupe, sous traité dans la presse destinée au grand public : Porcupine Tree. Pour moi, ça a été une grande découverte alors que je connaissais The Mars Volta et les dernières tendances du rock progressif actuel ». À l’heure de la dématérialisation généralisée, il est tentant de demander à Dominique Dupuis si la pochette d’album a encore un avenir selon lui. « J’espère que l’intelligence prévaudra. Des tas de gens me demandent pourquoi j’achète encore des vinyles, et m’expliquent que le CD est mort. Mais justement, l’idée de cette collection, c’est de montrer que face à la dématérialisation de la musique, il existe des supports qui amènent autre chose ». Il insiste : « Il faut expliquer aux gens qu’un Ipod, c’est parfait mais la qualité du son du mp3, et même du CD, n’a rien avoir avec celle du vinyle. Il y a là une involution stupéfiante. La musique dématérialisée, c’est de la consommation courante. Si on veut vraiment prendre du plaisir à écouter de la musique dans de bonnes conditions, on est obligé d’avoir une chaîne hi-fi de qualité, un CD ou un vinyle. C’est une toute autre approche. D’ailleurs le vinyle revient ». Et d’ajouter, « Le vinyle est devenu un objet de luxe. Le CD le sera également bientôt, mais il ne disparaîtra pas. Aujourd’hui, il n’y a guère que Phil Collins qui vaille un euro dans un vide grenier (rires) ». « Beaucoup de gens qui aiment le rock progressif sont de grands nostalgiques, pas moi. Pour eux, il s’arrête à 1977 ». En fin de compte, le combat de Dominique Dupuis, c’est celui du bon sens qui veut redonner à la musique une dimension perdue, plus recherchée et loin des contingences technologiques aujourd’hui paradoxales. Pour qui a eu la chance d’avoir eu un jour entre les mains le double album vinyle Tales From Topographic Oceans illustrée par Roger Dean, c’est certain, la musique rock a perdu depuis l’avènement du CD une de ses dimensions les plus magiques. Christophe Manhès site web : Editions Ereme |