Dave Matthews Band – Dave Matthews Band
Origine : États-Unis
Style : rock folk
Formé en : 1991
Composition :
Dave Matthews – chant, guitare
Stefan Lessard – basse
Boyd Tinsley – violon
Carter Beauford – batterie
Véritable phénomène musical depuis bientôt vingt ans aux États-Unis, avec plus de trente millions d’albums vendus dans le monde, le plus Sud-africain des Américains reste pourtant peu connu en France. Une aberration tant le talent et les musiciens qui l’entourent relèvent d’une irrésistible magie. A l’occasion de la sortie de Big Whiskey and the GrooGrux King, album hommage à son ami et co-fondateur de DMB, LeRoi Moore, décédé en août 2008, c’est dans un des plus beaux hôtels de la capitale que nous avons pu nous entretenir avec l’icône du folk-rock US d’une gentillesse désarmante. Par cette étincelle dans le regard qui ne trompe pas – en plus d’être un sacré séducteur –, Dave Matthews est un homme loquace entièrement dévoué à la musique, d’une très grande humilité et dont le succès, autant public que critique, ne trahit en rien son aptitude à rester fidèle à lui-même.
Progressia : Comment conçois-tu la musique ?
Dave Matthews : (réfléchisssant) Qu’est-ce que la musique pour moi… Je dirai que c’est une sorte de langage de l’âme qui est antérieur à celui des mots. Il permet de dialoguer avec d’autres parties de notre être et reste surtout une langue universelle de par le monde. C’est un bruit spirituel qui consiste pour moi en une thérapie. J’ai passé ma vie et continue encore à essayer de me découvrir et à me comprendre davantage par la musique. Qu’on soit musicien ou juste auditeur, chacun la comprend à sa manière et en possède son propre affect, sa manière de la « digérer » ou de la concevoir.
Ce sentiment a-t-il évolué avec le temps ?
Absolument. Je n’ai pas véritablement changé de fond en comble, certainement pas, mais à chaque époque coïncide une musique qui a modifié ma perception des choses. Lorsque j’ai découvert les Beatles, je me disais que c’était la meilleure musique que j’ai jamais entendu. Je me suis également dit la même chose lorsque mes oreilles se sont arrêtées un jour sur le jeu d’un pianiste africain que personne ne connaissait ; ou encore lorsque j’ai écouté une musique traditionnelle d’un bush du désert de Kalahari. Il n’y a finalement aucune différence, tout est égal face au sentiment que nous procure la musique. Je me sens très chanceux d’avoir pu baigner dedans très tôt. J’aimais la musique quand j’étais gamin bien plus que le baseball, le rugby, les G.I. Joe ou les pétards qu’on fait exploser dans les rues. (rires) J’aimais également dessiner et peindre, ce qui me permettait d’être au calme et ça me faisait le plus grand bien.
On peut d’ailleurs admirer tes talents sur la pochette de ce dernier album !
C’est gentil, d’autant que c’est la première fois que je m’y exerce et que j’ai vraiment voulu laisser transparaître mon état d’esprit du moment. La musique m’apporte de la joie comme nulle autre et elle reste un apprentissage de tous les jours, vis-à-vis de moi-même et des personnes qui m’entourent. Je me rappelle quand j’ai écrit mon premier morceau, ça n’avait aucun sens pour moi, mais ça sonnait bien. Puis je me suis dit que je venais de faire quelque chose. Cette idée d’avoir du courage pour parvenir à créer, c’était enthousiasmant… jusqu’à ce que les premières critiques tombent, en prétextant que c’était du n’importe quoi, qu’on se demandait quelle genre de musique ça pouvait bien être. Alors je tentais de comprendre ce qu’ils voulaient dire par là, ce qui les motivait à dire ça. Je pensais que ce n’était pas simplement de la cruauté – car quand ça l’est, c’est évident –, mais qu’il y avait vraisemblablement autre chose dans leurs mots. A force de travailler sans relâche, je suis parvenu sur ce nouveau disque à rester… éloquent, je ne dis pas que c’est mieux ou moins compliqué, juste que c’est peut-être plus clair à présent. Oui… c’est ça, plus éloquent. (sourire)
Peux-tu nous citer tes influences et surtout celles dont tu as sûrement honte de parler ?
Ça relève de mon petit plaisir coupable ! (sourire) Je ne sais pas si je dois en avoir honte mais c’est peut-être des noms que les gens ne s’attendraient pas à entendre de ma bouche. J’apprécie toujours la bonne musique car si elle l’est, c’est qu’elle comporte logiquement quelque chose que j’aime. Le premier groupe qui m’a certainement le plus touché quand j’étais petit était The Jackson Five. Puis les Beatles sont arrivés, suivis de Pink Floyd, Led Zeppelin et Cat Stevens. J’ai ensuite grandi en écoutant le pianiste africain Abdullah Ibrahim, beaucoup de musique classique car la maison de mes parents en était remplie, de la musique folk avec John Denver, ainsi que la soul de Marvin Gaye et le jazz de Miles Davis.
Aurais-tu écouté Genesis, et particulièrement Peter Gabriel, dont sa voix est étrangement semblable à la tienne ?
C’est assez excitant de se l’entendre dire. J’aime beaucoup son travail même si j’admets ne pas le connaître au sein de Genesis, car je ne les écoutais pas à l’époque. Je me suis surtout intéressé aux albums So (1986) et Us (1992). Le plus drôle, c’est que j’ai entendu dire à mes débuts que ma voix ressemblait à la sienne pendant sa période Genesis, et que ma voix actuelle sonne désormais comme la sienne, à présent, sur ses disques en solo. Je trouve ça intéressant, et j’aime me dire que ce n’est pas de l’imitation mais bien une ressemblance « physique », un timbre très similaire. Je reste admiratif et suis très heureux que tu me dises ça.
N’as-tu jamais pu le rencontrer ?
J’ai eu le plaisir et surtout une veine incroyable de rencontrer des gens merveilleux, malheureusement jamais Peter Gabriel. J’espère que cela pourra se faire un jour, car il reste certainement l’un de mes compositeurs préférés, tout comme Randy Newman. Ce que j’aime chez ce dernier, ce sont ses chansons très acides d’un point de vue politique et de la vie. Il ne raconte pas des histoires bateaux, et j’apprécie les personnes qui écrivent des paroles qui ne font pas dans la dentelle, qui ne sont pas patentes. Tout comme pouvait l’être Woodie Guthrie ; sa musique était simple et claire mais ses paroles reflétaient son état d’esprit sur des événements et non pas ce qu’il pouvait en lire dans les journaux.
Nombre de groupes issus de la scène rock progressive citent Dave Matthews Band comme une influence, notamment par le biais du jeu de Carter Beauford. Une remarque qui rappelle également le rayonnement des Dixie Dregs dans les années soixante-dix… Entrevois-tu des liens avec la musique progressive ?
Nous n’avons jamais pensé à définir notre musique. Nous ne faisons que la jouer et je pense qu’il n’existe aucun groupe comme le nôtre. On peut le constater sur scène, notamment lors d’une bonne soirée. Ce qui est remarquable chez Carter Beauford, c’est son aptitude à créer des rythmes vraiment compliqués qui sonnent pourtant très simplement. Ses schémas rythmiques peuvent paraître prise de tête, mais je sais que mon batteur propose au final une base qui fera danser notre public, grâce à son jeu fluide et bourré d’émotion. Nous nous connaissons depuis tellement longtemps maintenant, que je lui voue une confiance aveugle et m’en remet à lui, afin qu’il développe les idées que je lui propose avec une grande richesse d’interprétation. Par exemple, quand je lui ai présenté la chanson « Seven », je savais qu’il allait être excité et qu’il se régalerait à lui conférer une couleur unique. Le morceau est plein d’arythmie et de « dysfontionnalités » ; Carter a permis de rendre l’ensemble fonctionnel. Quand nous préparons un album, nous nous retrouvons en studio, personne ne parle de clés ou de style, et nous jouons ainsi des heures spontanément. Nous fournissons ainsi une musique honnête, et c’est ce qui plaisait à LeRoi en tant qu’objectif à atteindre. Le plus grand succès réside dans l’honnêteté à mon sens et quand je vois les gens bouger leurs corps en concert, je me dis qu’on a réussi notre pari.
C’est étonnant que tu en parles, car la première impression que suscite DMB est cet aspect pop, qui sonne de manière simple et qui s’intensifie au fil des écoutes pour finalement exploser en pleine figure. Tout est écrit jusque dans les moindres détails, n’est-ce pas ?
La musique ne doit pas se contenter d’être exclusivement « musicale ». Elle doit être capable d’amener les gens à se connecter avec eux-mêmes, avec leur esprit. Il est parfaitement compréhensible d’écrire une musique intellectuelle, mais elle perd parfois le sens de ses origines et ce qu’elle doit initialement apporter. Il faut pouvoir écrire intelligemment. Ainsi, marier la complexité à un discours clair rendra la musique attractive et les gens comprendront le propos comme il se doit. Peu importe comment c’est dit, quand l’intention est là, ça marche !
La part d’improvisation est-elle une de vos méthodes d’écriture privilégiée, notamment pour la préparation de ce nouvel album ?
Quand nous nous sommes retrouvés pour écrireBig Whiskey and the GrooGrux King, on se disait que notre répertoire comportait à présent un paquet de chansons. Nous nous sommes alors demandés comment nous allions procéder pour ce disque. Nous avons alors décidé avec Rob Cavallo, notre producteur, de partir de zéro, avec rien en tête et juste jouer. On a fait ça pendant une semaine dont sont ressorties à peu près deux cents idées. Nous n’improvisions pas éternellement, mais on constituait par ce biais de petits morceaux de dix à quinze minutes. On commençait à jammer puis on s’arrêtait, et on passait à autre chose, etc. Nous avons ensuite porté nos choix sur une quinzaine d’idées que nous avons développé et arrangé, en écrivant des ponts et en mettant de la colle pour assembler les pièces de ce patchwork. Cela peut paraître peu orthodoxe mais nous l’avons conçu ainsi, car ce matériel respirait avant tout la probité. Nous sommes allés en studio où nous avons interprété de nouveau ces titres. A chaque conception d’album, il y a ce moment magique – c’était surtout le cas avec LeRoi – où la meilleure performance des choses vient du fait de jouer les titres pour la première fois dans leur intégralité, à l’instar du titre d’ouverture « Grux », que nous n’avons joué qu’une seule fois. Il était si parfait que nous l’avons gardé tel quel. Nous ne nous sommes jamais revenus dessus. C’était tellement beau et spontané, un peu comme… (regardant en l’air quelques secondes) une marche funéraire, suivi par un son typique et festif de la Nouvelle-Orléans où tout change avec « Shake Me Like a Monkey », un titre qui célèbre la joie, surtout l’existence de LeRoi : c’est un hommage. (en français)
Afin de conclure avec beauté cet entretien, as-tu un dernier mot pour nos lecteurs et pour le genre humain ?
Mon dernier mot… (réfléchissant) Volez ou achetez notre musique, mais surtout, écoutez-là ! C’est de la bonne musique et surtout aimez les étrangers, c’est la chose la plus importante ! Considérez comme acquis les gens que vous aimez, laissez-les à la maison et allez passer du temps avec ceux que vous n’aimez pas… (rires) C’est ce que la vie devrait être : laissez tranquilles ceux qu’on aime et se forcer à fréquenter d’autres personnes qu’on n’aime pas. Et là, on découvre que finalement, nous sommes tous parfaitement égaux devant le sexe. (rires) Merci vraiment pour cet entretien très intéressant et à bientôt, j’espère !