– La musique New Age
FOCUS : LA MUSIQUE NEW AGE
L’idée de rédiger un article sur un genre musical flou, polysémique, vaguement « fourre-tout » est parti d’une plaisanterie. Lorsqu’un album de néo est mauvais, et ça arrive parfois, on se gausse et on brocarde en expliquant que sa place n’est pas chez un disquaire, mais entre les bâtons d’encens et les ouvrages sur la lithothérapie d’une célèbre enseigne parisienne où les gens sont souriants, habillés en Nicolas le Jardinier et capables de vous vendre, pour une modique somme, tout le nécessaire permettant de vous garantir une vie heureuse, saine et extatique (bains mousse bio, cactus traqueurs de radicaux libres, essences florales réénergisantes et thème astrologique en prime). Le New Age est un courant fou, psychédélique, né dans les années soixante-dix, mêlant la sagesse indienne, l’astrologie, la théorie des shakras, la méditation, le yoga, l’attente de jours meilleurs sous les auspices de conjonctions planétaires favorables (ère du Verseau, mouvements cosmiques, arrivée des extra-terrestres,… passons). On entre ou non dans ces dimensions parallèles. Là n’est franchement pas le sujet. Ce qui suscite l’intérêt, c’est qu’elles ont largement influencé des artistes, surtout à cette époque-là, et que le genre progressif s’est lui aussi teinté de toutes ces croyances. Pis, il est plus que probable que l’inventivité de certains groupes, le désir de briser les cadres, la place laissée libre aux inspirations, aux délires, doivent beaucoup à la philosophie New Age et que la doctrine, tout comme ses avatars musicaux, aient fini par se nourrir mutuellement. Quelques exemples puisés chez les grands anciens permettront d’introduire le propos et d’illustrer les thèmes de prédilection de figures majeures de la scène progressive. La musique New Age a donné naissance à ce que certains nomment le « rock planant » (« space music ») et des groupes comme Pink Floyd, Tangerine Dream ou des artistes comme Mike Olfield, Klaus Schulze dans une moindre mesure, Terry Riley aussi, ont largement su évoluer dans ces univers caractérisés d’ambient (appellation plus récente), parfois de « musique spatiale ». Citons en guise d’exemple l’album Aguirre des Allemands de Popol Vuh (1974). Ce groupe doit son nom à un ancien texte sacré maya (le « mayanisme » fut très en vogue chez les tenants de la philosophie New Age : étude du calendrier, horoscope, théories eschatologiques). Florian Fricke, à l’origine du concept, grand voyageur devant l’éternel, a sans doute goûté à tout ce que la planète regorgeait de substances diverses et (a)variées, en vivant en Inde, au Tibet et au Mexique. Il fut le premier à exploiter les sonorités très cosmiques du Moog, à banaliser la musique instrumentale, répétitive, transcendentale et minimaliste. De ce sillon duquel émerge une musique parlant directement à l’affect, citons également Tangerine Deam et son premier disque au titre éloquent Electronic Meditation (1970), qui privilégie tout autant le Moog et les sonorités longues ; le groupe avait d’ailleurs collaboré avec Fricke sur l’album Zeit pour une énième inititation au voyage dans les confins de l’esprit. L’écoute avait un objectif chez ces artistes : solliciter les parties les plus limbiques et émotionnelles du cerveau, donner naissance à des images, mettre en place une transe hypnotique. Dans les années quatre-vingt, l’incroyable album de Talk Talk, Spirit of Eden entre directement dans ce champ méditatif, porté vers la spiritualité et le mieux être. On comprend toute la défiance que ce genre a alors pu provoquer chez les professionnels de la musique : cette dernière sortait de ses cadres classiques pour s’identifier, s’imbriquer dans l’esprit de l’auditeur. La part la plus belle était laissée à la subjectivité. Ainsi l’oeuvre s’affranchissait de ce que l’artiste avait pu concevoir. La musique devient alors un outil presque thérapeutique, un moyen d’explorer des parts insoupçonnées du mental. Le Japonais Kitaro, qui un temps collabora avec le pape des musiques électroniques et répétitives Klaus Schultze, promulguait également cette démarche exploratoire. Un point commun chez tous ces artistes : le recours aux instruments traditionnels et aux synthétiseurs. Une alchimie finalement bien compréhensible : puiser dans les racines de l’être, éveiller ses instincts les plus primaires, et sur cette base, mettre en route le grand voyage, secondé par un instrument nouveau, souple, capable de garder la ligne mélodique sur une très longue durée : évoquons la bande originale du film de Ridley Scott, Legend signée Tangerine Dream, ou le très populaire Voyager de Mike Olfield, mêlant rythmes celtiques traditionnels et longues plages aux claviers. Difficile en revanche de parler de musique New Age stricto sensu, tant elle regroupe une quantité d’artistes considérable et de styles très variés. Leur dénominateur commun réside dans cette faculté de privilégier l’état de l’auditeur, ce désir de le calmer et de le regaillardir. De nombreux artistes aujourd’hui planent sur cette vague initiée par la musique progressive : Enya, Enigma ou Zoralkia s’amusent ainsi à apaiser, en gardant une autonomie de style évidente. Autrefois très cosmique, elle s’est faite aujourd’hui plus terrestre, en phase avec la nature et les équilibres précaires qui agitent notre monde. Les Français de G-Nova, avec L’écorce sensible, en sont de bons exemples : une musique japonaise, très traditionnelle, nimbée de thèmes printaniers, où des images de rivières cristallines et d’oiseaux matinaux ne cessent de traverser l’esprit à l’écoute. Les Allemands de The Healing Road, avec Timanfaya, élaborent des concepts similaires : la forêt, le calme, la nature. Tous ces artistes ne peuvent décemment pas être « catalogués » de musiciens New Age. Car le terme dérange puisqu’est venu s’y greffer tout un fatras assez indigeste de musique thérapeutique, qui parfois, pourtant, n’est pas toujours forcément mauvaise. Cette appellation à entrées multiples a toutefois un certain mérite : celui de reconnaître que la musique est là pour faire du bien, pour transporter, au même titre qu’un roman ou un bon film. Elle s’écoute seul, repliant son auditeur sur lui-même. Ce dernier l’interrogera et ne cessera d’y chercher des réponses. Le style New Age rend donc le mélomane actif, et cette simple caractéristique en fait un gage d’indéniable qualité. Il est évident que le style de musique défendu dans ces colonnes doit beaucoup à ces incursions dans des mondes différents. C’était rendre hommage à cette poésie que d’y consacrer quelques paragraphes… Jérôme Walczak |