– Faith No More
FOCUS : FAITH NO MORE
Surprise, You’re Alive ! Tel pourrait s’appeler le prochain album de Faith No More, tant la reformation de ce qui est devenu la bande à Mike Patton semblait improbable. En 1997, Album of the Year avait laissé un arrière-goût d’inachevé, la sixième note d’une carrière mouvementée. Douze années riches de multiples projets plus tard, revoici le groupe le plus progressif parmi ceux qui ont échappé à cette étiquette si difficile à porter. Au début des années quatre-vingt, Roddy Bottum, Billy Gould et Mike Bordin forment le noyau de ce qui allait devenir l’un des groupes de rock les plus innovateurs de la décennie suivante. En effet, qui peut nier aujourd’hui que Faith No More a redonné un coup de jeune à un metal enfermé à l’époque dans des codes étriqués ? Dans les années quatre-vingt dix, il est plus que jamais segmenté en niches peu perméables les unes aux autres. Le heavy metal classique et tous ses avatars extrêmes (death, thrash, black) côtoie des formes plus bâtardes (hardcore, industriel, prog’), mais les passerelles communicantes sont rares. Les Californiens ouvrent une porte salvatrice à des influences qui, à l’époque, font se dresser sur leurs têtes les choucroutes permanentées des chevelus en vestes à patches les plus intégristes et suscitent l’indifférence dans les yeux déjà bien vitreux de la jeunesse grunge. En accueillant à bras ouverts le funk, le jazz ou encore la soul dans leur musique, en y mêlant les différents genres de metal, en libérant le chant du carcan trop étroit dans lequel il est enfermé, Faith No More crie bien fort sa différence et va être très vite entendu. Contrairement à de nombreux groupes qui revendiquent un héritage progressif (on pense bien sûr à Dream Theater), les Californiens innovent à tout va sans se préoccuper une seule seconde de l’aspect technique de la chose. Leur signature, c’est le mélange des genres, l’effet de surprise. Angel Dust (1992) représente à ce titre la quintessence de leurs expérimentations, bien qu’on retrouve sur presque tous leurs albums cette volonté de défier les conventions, les étiquettes. Malgré (grâce à ?) des conflits relationnels fréquents et la valse des guitaristes – Jim Martin, puis Trey « Mr Bungle » Spruance, et enfin Jim Hudson – chaque album de Faith No More est différent des autres, à la fois identifiable et imprévisible. Conséquence malheureusement logique, si le quintette a bénéficié d’une exposition médiatique importante à partir de The Real Thing, il a petit à petit été mis de côté par les grandes radios ou des médias importants comme MTV (les mêmes qui passèrent le single « Epic » en boucle) au fur et à mesure qu’il n’entrait plus strictement dans une catégorie. Peu importe, le groupe poursuit sur sa lancée. King for a Day, Fool for a Lifetime durcit le ton, laisse éclater la schizophrénie vocale de Patton tout en continuant d’explorer de nouvelles voies (« King for a Day », « Evidence », « Just a Man », « Star A.D. » , « Take This Bottle », « Caralho Voador ») . Seul Album of the Year surprend moins malgré quelques belles digressions (« Stripsearch », « Helpless », « She Loves Me Not »). Il est l’heure pour les membres du groupe d’aller prendre l’air ailleurs. La bande se dissout officiellement en avril 1998. A l’instar des artistes mainstream ayant fait avancer le schmilblick, Faith No More est rarement cité par les fondamentalistes du progressif qui ne jurent que par les héritiers de Genesis ou de King Crimson. Pourtant, durant plus d’une décennie, la formation a été reconnue pour sa capacité à remettre en question sa musique. De We Care a Lot (1985) à Album of the Year (1997) et plus particulièrement depuis The Real Thing (1989) et l’arrivée du versatile Mike Patton au chant, Faith No More n’a eu de cesse de repousser les limites des genres qu’il maltraitait, de botter le train aux conventions, à tel point que le groupe fut parfois incompris, car impossible à catégoriser. L’aspect imprévisible, souvent à contre-courant de la musique divise la presse et les fans et Patton, à l’aise aussi bien dans le rôle de crooner, de rappeur que dans celui de hurleur, séduit autant qu’il effraye. Son empreinte sur toute une génération de jeunes groupes est évidente. La très rentable vague néo-metal notamment doit beaucoup à Patton et ses acolytes, Korn et System of a Down ne trouveraient rien à y redire. Si la plupart des formations ayant pillé l’œuvre de Faith No More n’en ont retenu que les éléments les plus vendables, ses expérimentations firent également des émules et en font aujourd’hui encore, notamment dans les genres que nous affectionnons à Progressia. Parmi ces artistes, on trouve Sleepytime Gorilla Museum, Pain of Salvation ou encore Shaolin Death Squad. La reformation du groupe, quelle qu’en soit la raison, est une bonne nouvelle en soi. Même si finalement, Faith No More a été l’un des projets les moins hors-normes de Mike Patton, on peut décemment espérer que les expériences de chacun durant la décennie écoulée contribueront à rendre son souffle avant-gardiste à cette icône du métal… Surprenez-nous les gars ! En attendant un éventuel – et providentiel – nouvel album, le festival Rock en Seine accueillera les Américains sur ce qui semble être leur unique date française. Un événement à ne pas manquer, en particulier pour les plus jeunes d’entre nous qui n’ont pas encore eu la chance de voir la « chose » Faith No More sur scène. Jean-Philippe Haas site web : Faith No More |