– Le visuel dans le rock progressif (pt.2)
DOSSIER : Le visuel dans le rock prog’ (pt.2)
Entretien avec Mattias Norén (Progart.com)
Autre graphiste faisant partie de cette nouvelle génération de visionnaires, le Suédois Mattias Norén s’est fait un nom en proposant ses talents pour de nombreux groupes comme Evergrey, Kamelott, Wolverine ou Ayreon. Voyage au cœur de Progart.com.
Mattias Norén, bien que ton nom revienne régulièrement à travers tes créations, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?
J’ai trente-cinq ans, je suis marié avec Liselott et nous sommes les heureux parents de deux enfants. Nous vivons dans une petite ville du nom d’Alingsås à cinquante kilomètres au Nord-Est de Göteborg. Concernant mon parcours, j’ai étudié l’illustration et l’infographie durant trois ans avant d’obtenir un job de webdesigner que j’ai gardé sept ans. Quand je ne peins pas ou ne m’abîme pas les cervicales à des concerts de metal, je m’amuse avec mes voitures télécommandées ou je prends soin de mes deux cents orchidées. Je me doute bien qu’avec de tels passe-temps, tes lecteurs vont me trouver pour le moins bizarre ! (rires).
Peux-tu nous détailler un peu plus ton parcours et ce qui t’a conduit au graphisme ? Progart est-il un hobby ou est-ce une vraie compagnie grâce à laquelle tu gagnes ta vie ?
J’ai toujours été intéressé par la musique mais j’étais bien plus à l’aise avec un crayon ou un pinceau entre les mains qu’avec un instrument. De fait, je me suis pris à rêver de voir une de mes créations sur une pochette de CD. Mon premier travail en tant que tel, remonte à 1999 pour le groupe Darius. Ce fût un déclic : c’était d’abord un hobby qui est devenu un deuxième job. Aujourd’hui c’est mon job à plein temps. J’ai lancé ma société Progart Media en mars 2003. On verra si je m’en sors avec ça, je touche du bois pour l’instant, je n’ai pas le temps de m’ennuyer !
D’où vient l’envie de te tourner vers le graphisme musical ? Peux-tu citer un ou des noms qui t’ont influencé ?
Je pense que les personnes qui m’ont attiré dans ce domaine sont Hugh Syme et Rodney Matthews avec leurs créations pour Asia et Rush. Ils m’ont ouvert les yeux. J’écoutais – et j’écoute toujours – ces groupes sans arrêt quand j’étais jeune. Je me suis donc intéressé au graphisme à couper le souffle de leurs albums. Je crois pouvoir dire que c’est là le point de départ de mon intérêt.
Comme beaucoup de graphistes, travailles-tu tes conceptions sur MacIntosh ?
Hé non, contrairement à beaucoup de graphistes, je travaille sur PC.
Quel est ton processus de création ? As-tu besoin d’écouter la musique d’abord ou de lire les paroles ou bien te lâches-tu sans rien avoir entendu ? Le groupe te propose-t-il des idées ou inversement ? Travaillez-vous ensemble ?
Je dirais que, dans un premier temps, le plus important est de communiquer avec le groupe et de savoir quelles sont ses idées. Il m’arrive d’avoir des instructions bien spécifiques, ou à l’inverse, de n’avoir aucun briefing ! Mais la plupart du temps, c’est entre les deux que ma marge de création se situe. Une grande partie du processus consiste à trouver les bonnes photos pour la couverture. Après quelques essais soumis au client, il me dit s’il est d’accord ou si je dois essayer autre chose. Une fois cette thématique trouvée, je traite les images, je les retouche et termine les montages. Ensuite, je les montre à nouveau. Des fois, ça passe, d’autres fois, je dois retourner au charbon et changer ce que le client n’aime pas.
J’imagine que le temps passé sur un livret varie d’une commande à une autre ?
Bien sur, certains livrets demandent plus de recherche et d’autres bien moins. Naturellement, c’est lié au budget et aux délais qui me sont accordés. Le délai idéal serait de rester six mois sur un seul et même projet ! (Rires) Vu l’état actuel du marché du disque, ce souhait relève plus de l’utopie qu’autre chose.
Parmi les clients auxquels tu as proposé tes services, quels sont tes groupes favoris ?
Je suis heureux de pouvoir dire que je n’ai que d’excellents souvenirs de mes collaborations avec mes clients. Deux d’entre eux ont une importance particulière à mes yeux : Wolverine et Cloudscape. Je me suis lié d’amitié avec leurs chanteurs respectifs, Stefan Zell et Mike Andersson. Nous essayons de nous voir le plus souvent possible mais, hélas, c’est difficile car nous sommes très éloignés géographiquement les uns des autres.
Tu mentionnais le marché du disque, on remarque que de plus en plus de maisons de disques insistent sur la qualité du produit fini et proposent des articles luxueux afin de lutter contre le piratage artistique. En termes de créativité, cela vous permet-il de vous exprimer un peu plus ?
Bien sûr, je ne refuse jamais une opportunité pour créer quelque chose qui sort du commun. Mais pour être honnête, je ne suis pas très friand du format digipack. En revanche, les digibooks, c’est pour moi un super produit qui mériterait d’être approfondi. Le seul problème relatif à ce format, c’est qu’il est encore très cher en termes de coûts. Par conséquent, je n’en conçois que trop peu à mon goût et, de plus, il n’y en a pas beaucoup dans les bacs, donc c’est pour moi une denrée rare.
Toujours sur le même sujet, que t’inspire la situation actuelle du marché du disque ? Ton avenir dépend-t-il du sien?
Il va sans dire que je suis assez préoccupé. Aujourd’hui, les ventes sont ce qu’elles sont ; cela m’affecte aussi. Parti comme c’est, cela ne me surprendrait que très peu si le support CD venait un jour à disparaître. Bien sûr, il y aura toujours du travail pour les fabricants de produits dérivés, les photographes ou les webdesigners. D’un autre côté, je ne sais pas comment se dessine l’avenir du CD et de ce qui gravite autour. Si ça venait à empirer, je ne saurais pas quoi faire à part vendre des hot dogs.
Peux-tu nous raconter la création d’une de tes œuvres ? Nous sommes bon prince, nous te laissons le choix …
Merci, je choisirai donc une de mes dernières créations : A Gentleman’s Hurricane, le dernier album de Mind’s Eye. C’est un projet à la fois amusant et particulier. Daniel Flores, le batteur de Mind’s Eye, est un type très spécial. Pour lui, chaque sortie d’album doit être unique en son genre. Ce genre de pensée inclut aussi la conception graphique. Ce nouveau disque est un album concept très ambitieux traitant d’un tueur en série. Il est commercialisé sous le format d’un DVD accompagné d’un livret qui n’est pas sans rappeler une bande dessinée. Daniel a soumis l’idée de base concernant la couverture… qui en fait, n’a strictement rien à voir avec l’histoire mais est plus en relation avec le titre. Graphiquement, il y a un sorte de lien avec la première de couverture de leur précédent disque Walking On H20. Les éléments naturels, du style tornades ou ouragans, ont tellement été utilisés sur des couvertures d’albums par le passé que le défi était de faire quelque chose de vraiment unique. Je voulais jouer entre le calme de ce gentleman et la fureur de cet ouragan dans le but d’obtenir quelque chose d’équilibré entre ces deux états antinomiques, et je pense y être arrivé. Le gros morceau de ce projet, si je puis dire, était le livret intérieur. Daniel m’a fourni des idées et des lignes directrices auxquelles j’ai essayé de me tenir du mieux possible. Le plus dur était de trouver le bon équilibre dans le découpage des images. Au moment où je vous parle, je n’ai pas encore vu le produit fini et bien entendu j’espère que le rendu final sera à la hauteur de mes attentes et du temps passé dessus !
Quelle est aujourd’hui la création dont tu tires le plus de satisfaction ? Avec du recul comment qualifies-tu ton évolution artistique entre tes premiers livrets et tes dernières productions ?
Pour ce qui est de ma création préférée, je choisirais celle que j’ai faite pour l’album éponyme du groupe Lost In Tears. Concernant mon travail, je ne suis pas vraiment fier de certaines productions réalisées à mes débuts. En même temps, je trouve encore certains de ces travaux très corrects. J’aime la simplicité de certaines de mes créations. Et j’ai aujourd’hui tendance à fournir un travail un peu plus chiadé car j’ai le souci du détail. Quand tu finis un livret, tu aspires à ce que le prochain soit un cran au-dessus. Ajouter des éléments contribue selon moi à rendre la couverture finale plus impressionnante encore. Mais ça ne marche pas toujours car en rajoutant un élément, puis un deuxième, puis un troisième on se retrouve parfois avec une couverture encombrée. On ne s’y retrouve pas et plus important, je ne m’y retrouve pas ! Par conséquent, certaines parties de la couverture doivent passer à la trappe en dépit du temps incalculable passé dessus, quitte à revenir vers une image moins chargée mais plus équilibrée.
As-tu eu des clients qui ont fait montre d’insatisfaction ?
Il y en a eu quelques-uns effectivement qui n’ont pas été emballés par mes propositions. Mais heureusement ceci n’arrive que très rarement. Je fais toujours de mon mieux pour satisfaire mon client, même si parfois je n’aime pas ce que je crée.
Ce que Mattias Norén pense de :
Hugh Syme
C’est le roi du photo-montage. Son approche et son sens du détail sont extraordinaires. La pochette de Roll The Bones de Rush est ma favorite !
Roger Dean
Très doué même si par moments, j’ai un peu de mal. Mon premier contact avec Dean sont les premiers albums d’Asia, que je préfère d’ailleurs à certaines de ses créations plus récentes sur lesquelles on retrouve les îles flottantes, les rochers, etc. Je trouve que c’est un peu redondant. Je préfère Rodney Matthews, qui lui a succédé et ce qu’il a fait est tout simplement incroyable. Ses créations me parlent plus que celles de Dean.
Storm Thorgerson
Pareil, grand graphiste, j’aime beaucoup son travail de recherche.
Dave Mac Kean
Je trouve que certaines de ses créations sont géniales, mais d’autres sont un peu trop tordues et torturées pour moi.
Ce que Mattias Norén pense de ses confrères actuels :
Niklas Sundin (Cabin Fever Media)
Je le hais (Rires) ! Il crée des choses assez surréalistes et en plus de cela, c’est un tueur à la guitare tandis que moi je suis une vraie catastrophe… De toutes façons, même avec une flûte je suis une catastrophe (Rires)!
Thomas Ewerhard
L’un des trois graphistes avec lequel j’ai le plus de points communs visuels. J’aime le graphiste autant que l’être humain. Nous sommes régulièrement en contact, un contact renforcé grâce à Inside Out, un client commun.
Travis Smith (Seempieces)
A mes yeux, c’est le numéro un de la nouvelle vague de graphistes. Certains de ses travaux me donneraient presque envie de me reconvertir tellement ils sont fabuleux (Rires) ! Mais je préfère le considérer comme une source de motivation plutôt que comme une source de démotivation !
Fin novembre 2007, nous apprenions la triste nouvelle : Mattias Norén, en proie à des difficultés financières, citant notamment des groupes et labels qui ne réglaient pas leurs factures, était contraint de cesser ses activités pour progart.com. Une bien triste fin pour un artiste plus que talentueux.
Site officiel : http://www.progart.com
Entretien avec Niklas Sundin (Cabin Fever Media)
Tout le monde, ou presque, connaît Niklas Sundin, pour son rôle dans Dark Tranquillity. Mais en plus de savoir jouer de la guitare, le Suédois sait également manier la souris et le crayon à papier. Créateur de toutes les pochettes de son groupe depuis Projector, il a monté sa société, Cabin Fever Media et s’est fait ainsi un nom dans le graphisme au service du metal. Pendant que Kreator mettait l’Elysée Montmartre à genoux le 15 février 2005, nous nous sommes entretenus avec un Niklas Sundin suant à grosses gouttes (se remettant tant bien que mal de sa prestation en ouverture des Allemands), mais tout sourire à l’idée de converser avec nous de sa passion pour le graphisme.
Progressia : Monsieur le directeur, peux-tu nous présenter Cabin Fever Media ?
Niklas Sundin : Tout d’abord, je tiens à vous remercier de faire cette entrevue. Pour une fois qu’on me parle d’autre chose que de musique, en l’occurrence le graphisme, je suis prêt à surmonter la fatigue (rires). Pour ce que qui est de Cabin Fever Media, j’en suis effectivement le directeur… et le seul employé. Je suis graphiste free lance et comme beaucoup d’autres en Suède, tout artiste évoluant en free lance doit se déclarer en tant que société, quelle que soit la profession exercée. J’ai donc créé Cabin Fever Media, afin d’être en règle avec la loi et l’administration suédoise. Mais avant cela, j’ai travaillé dans une société de web design jusqu’en 1998 au sein de laquelle, je ne pouvais pleinement m’exprimer. La raison principale ? Une clientèle qui était soit institutionnelle soit industrielle. Très passionnant, n’est-ce pas (rires) ? Je me suis donc lassé et parallèlement, j’ai commencé à mettre mes idées au service de Dark Tranquillity en 1999 avec Projector. A la sortie du disque, j’ai été approché par un grand nombre de groupes et labels qui ont, par la suite, sollicité ma créativité. Après quelques études sur le sujet et également quelques discussions avec des amis évoluant dans le même milieu, j’ai quitté mon employeur pour finalement voler de mes propres ailes.
Quand t’es-tu intéressé à l’art ?
D’aussi loin que je puisse m’en souvenir et même bien avant que je ne m’intéresse à la musique. J’ai toujours dessiné et peint, depuis mon plus jeune âge. Je me suis très vite intéressé à l’art de manière générale, surtout à la bande dessinée et à tous les titres de science-fiction que tu lis quand tu es môme. Qand tu es enfant, tu dessines des vaisseaux spatiaux, des monstres, tout un tas de choses, un peu comme la bande dessinée Mad, tu sais, avec les grosses têtes (rires). Pour l’anecdote, la musique n’occupe une place dans ma vie que depuis l’âge de quatorze ans et auparavant, l’art était mon véritable passe-temps. Lors de mes premières années à l’école primaire, je passais plus de temps à dessiner qu’à écouter en classe(rires)…
Quelles sont tes influences en tant que graphiste?
C’est difficile à dire. Cela revient à poser la même question en ce qui concerne mes influences musicales. Je n’ai pas d’idole. Il existe tellement d’œuvres, de styles et d’artistes différents qu’il m’est difficile de ressortir un nom du lot, je n’ai pas vraiment de père spirituel. J’aime tout, de la peinture classique comme Gustav Klimt, à des choses plus modernes comme Dave Mc Kean, mais pour ce qui est de mon amour pour Mc Kean, je pense que vous le saviez déjà, du moins vous avez pu le voir (rires) ! Il a tellement innové. A l’avènement de l’ordinateur et de Photoshop, c’était le pionnier du genre. Il n’hésitait pas à mélanger image numérique, photo argentique avec ses propres croquis. Pour l’anecdote, nous avons joué avec Dark Tranquillity, il y a peu à Milan en Italie, il y avait une exposition sur Dave Mc Kean pas loin de la salle. Bien entendu, je n’ai pu y aller, la faute à un agenda très serré. En revanche, avant le concert de ce soir, je me suis rendu à l’exposition sur H.R. Giger qui se trouve juste derrière l’Elysée Montmartre (NdDan : La Halle Saint-Pierre). Le plus amusant est que je l’ai découverte par hasard, en marchant aux alentours de la salle. Je me suis régalé. J’ai longtemps admiré Giger à une époque. En dépit de son style « classique », il est présent dans certains livres, mais aussi sur les pochettes de Celtic Frost (sur To Mega Therion), de ELP. Je n’ai pas pu voir toute l’intégralité parce que les portes fermaient une demi-heure plus tard et de plus nous avions, une fois de plus, un timing très serré.
Sur quelle station informatique travailles-tu ?
Au risque de surprendre beaucoup de vos lecteurs, je travaille sur PC. Je dois vous avouer que j’ai toujours été un féru d’ordinateurs. Là aussi, c’est survenu assez tôt dans ma vie, car mon père a longtemps travaillé dans une des premières sociétés d’informatique de Suède. Du coup, je connaissais un peu l’outil informatique. J’ai eu un Spectrum ZX Sinclair à la maison sur lequel j’ai rentré mes premières lignes de code Basic ; tu imagines la révolution à l’époque (rires) ? Peu après, j’ai fait partie, comme toi, de la génération de jeunes qui ont vu les Amstrad, Atari et autres Amiga commencer à envahir les foyers. Concernant le conflit Mac/PC – si tant est qu’il y en ait un – je comprends parfaitement que 90% des graphistes utilisent un Mac comme plate-forme de travail. Mais en ce qui me concerne, je suis fidèle au PC. De plus, au temps où je suivais mes classes de web design, vers 1997-1998, on apprenait sur PC. Je pourrais passer du PC au Mac sans problème, mais je pense qu’aujourd’hui, Windows XP est suffisamment stable, ça me convient.
Tu viens de mentionner tes études de web design, peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Bien sûr. J’ai suivi des études d’art à l’Université de Göteborg pendant un an et demi. Peu après, j’ai intégré une école, ITC, qui, hélas n’existe plus maintenant. J’y ai appris le web design et le multimédia. On n’y enseignait à l’époque que le langage HTML. Mais c’était suffisant pour moi car cela m’a permis d’avoir quelques clients rapidement. Peu après, j’ai rejoint la société dont je parlais au début avant de passer en free lance.
De nombreuses maisons de disques insistent sur la qualité du produit fini, proposant des packagings luxueux, destinés à mettre en avant plus la forme que le fond et ce, dans le but de lutter notamment contre le téléchargement. En termes de créativité cela te permet-il de t’exprimer un peu plus ?
Je ne sais pas trop, en vérité. Dans un monde parfait, les maisons de disques comprendraient que pour pouvoir vendre un disque il faut mettre toutes les chances de son côté. Cela inclut, en plus d’un disque de qualité, un packaging correct. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est un peu tout et n’importe quoi (NDDan : Sentiment également confirmé par Hugh Syme dans l’interview qui lui est consacrée). Certains labels ont compris qu’il leur fallait contourner le problème en proposant des produits fournis. Ils ne regardent pas à la dépense sachant que les fans achèteront. A l’inverse, d’autres maisons de disques ont l’air de faire la sourde oreille. J’ai noté cette attitude en tant que graphiste. Beaucoup de labels pour lesquels j’avais réalisé un digipack se sont finalement ravisés et ont préféré un boîtier cristal standard. Qu’à cela ne tienne ! Personnellement et honnêtement, ça m’est égal, je suis quand même payé, mais tu te doutes bien que c’est frustrant de passer du temps sur un projet qui ne verra jamais le jour. Selon moi, c’est la meilleure solution pour moins vendre. En allouant un peu plus de budget à l’impression et l’édition, les maisons de disques mettraient toutes les chances de leur côté.
Toujours dans la même logique, serais-tu prêt à acheter le disque d’un artiste ou un groupe que tu as découvert et dont tu as téléchargés les titres si le packaging te plait ?
Evidemment, c’est là le but d’un beau packaging. Je pense que c’est vérifiable au sein de la scène metal. Les fans sont fidèles, beaucoup veulent vraiment le produit fini entre leurs mains. Certains se contentent de MP3s, libre à eux, mais d’autres ont besoin de tout avoir entre leurs mains, de pouvoir feuilleter le livret, lire les paroles, voir les photos… Ils se sentiraient gênés s’ils téléchargeaient des albums entiers. Je sais pertinemment que certains le font. Moi le premier, je télécharge de la musique, j’irai même à dire que j’en télécharge énormément, je n’ai pas honte de le dire ; et dans 75 % des cas, si cela me plait vraiment, je fonce chez mon disquaire et j’achète.
Depuis quelques années les systèmes de peer-to-peer comme Emule, Direct Connect et autres sont montrés du doigt par de nombreux artistes et maisons de disques. Mais il faut reconnaître que cela reste un bon moyen de découvrir des groupes. Que pense le musicien Niklas Sundin de ce phénomène ?
Tu peux observer le phénomène du P2P sous différents angles : en tant que musicien, je ne sais pas quoi en penser. Quand l’affaire Napster a éclaté, j’étais, à l’époque, assez en colère, car je pensais que ce n’était rien d’autre que du vol manifeste. Metallica s’est fait enclencher de tous les cotés, suite à leurs actions en justice, mais en tant que musicien, je les soutiens ! Par la suite, j’ai rencontré des fans qui m’ont avoué avoir téléchargé quelques-uns de nos titres qui les ont rendu accros. Ils ont fini par acheter nos disques et venir à nos concerts. En tant que fan de musique, c’est dur de résister à la tentation de télécharger. En trois clics de souris, tu trouves tous les albums du monde – je suis d’ailleurs persuadé que nos toutes premières démos sont disponibles (sic) – et tu les télécharges rapidement. Le vrai fan ne se pose pas cette question. Attention toutefois à ne pas le prendre pour une vache à lait disant amen à tous les produits estampillés de tel ou tel groupe.
En tant que musicien et fan de musique, quelles sont tes pochettes de CD préférées ?
(Réfléchissant longuement) J’aime ces disques où, au lieu de trouver une simple photo, on trouve un ensemble sous-tendant une forme de concept. La pochette de The Velvet Underground & Nico, par Andy Warhol est un bon exemple. Il y a aussi un groupe allemand qui fait dans l’indus qui s’appelle Einsturzende Neubauten et dont l’album s’intitule Total Eclipse Of The Sun. La pochette est une éclipse de soleil et il y a des trous dans lesquels tu peux faire glisser les titres et savoir que donnera l’éclipse. C’est très conceptuel, n’est-ce pas (rires) ? Cela dit, restons sur terre. Au-delà de l’aspect « joli », il faut que cela fonctionne, tant avec la musique qu’avec le concept, mais aussi avec le groupe lui-même. J’ai un très bon exemple pour enrichir ce point : je ne suis pas un fan d’heroic fantasy, ni de donjons et dragons, etc.… Je n’en raffole pas. Mais je reconnais volontiers, que cela va de pair avec la musique et que la plupart des peintures, puisqu’il s’agit souvent de peintures, sont très réussies. Je ne pense pas que traiter une telle image en numérique et en faire un montage très chiadé puisse coller avec ce genre et puis ça ne rendrait pas justice à la peinture. D’un point de vue commercial, on touche au but, car quand tu te rends chez ton disquaire, que tu vois un chevalier en armure combattant un dragon, tu sais de quoi il s’agit.
En tant que graphiste, quels sont les travaux dont tu es le plus fier ?
Je l’attendais la question qui tue, me voilà servi (rires) ! Je suis extrêmement critique avec moi-même comme tu peux t’en douter. Je ne suis pas du genre à m’asseoir et à regarder les pochettes que j’ai créées. Je tends plutôt vers le contraire ! Je passe beaucoup de temps sur un livret ou une pochette. Une fois ce travail terminé, je n’ai qu’une envie : enchaîner sur autre chose. Ça me fatigue rapidement. En général, je repasse un œil sur mes travaux, un à deux ans après les avoir terminés. Néanmoins, je vais te paraître peu objectif : bien entendu, tout ce que j‘ai réalisé pour Dark Tranquillity a une grande valeur à mes yeux. Ce sont vraiment mes bébés. C’est paradoxal car j’insiste sur le fait que chaque membre du groupe puisse apporter sa pierre à l’édifice ; je veux qu’ils s’impliquent. Ça me donne du boulot en plus mais la démarche reste intéressante : je me retrouve avec plusieurs versions différentes qui vont dans des directions complètement opposées. C’est un travail de longue haleine, tu t’en doutes et je n’en tire satisfaction que lorsque le groupe entier est satisfait. De ce fait, je pense que les livrets que j’ai fait pour mon groupe sont ceux qui me procurent la plus grande satisfaction. Mais cela reste vraiment à part. Je ne veux surtout pas dénigrer le reste de mon travail pour les autres groupes. A part ça, j’aime beaucoup la première couverture que j’avais réalisée pour Arise, un groupe de death mélodique suédois.
Peux-tu nous décrire le processus de création de la pochette de Character ?
Nous avons fini d’enregistrer l’album en février 2004. Nous n’avions pas de maison de disques à l’époque. Nous arrivions au terme de notre contrat avec Century Media et nous ne savions où aller, d’autant plus que les négociations entre notre management et différents labels commençaient à s’éterniser : il nous fallait comparer les offres, etc…. J’ai commencé à m’y mettre au début du printemps 2004, en rassemblant un bon paquet d’idées et de directions différentes. J’avais beaucoup de croquis et de roughs. J’ai, au final, fait une trentaine de propositions différentes et ce n’étaient que les tous premiers jets. Comme nous n’avions pas encore le nom de l’album, nous n’avions pas non plus le thème ou le concept qui serait développé dans ce disque. Je me suis donc livré à un gros brainstorming histoire de creuser encore un peu plus. Ensuite, d’une trentaine de propositions, nous sommes passés à cinq-six sur lesquels je me suis plus attardé et ai approfondi l’idée de base, comme le choix des formes et des couleurs, la tonalité générale, ce qui m’a redonné une nouvelle charge de travail (rires)….
Connais-tu l’affiche du film Cube ? Je me permets l’allusion car j’ai pensé que tu t’en étais inspiré pour Character ?
Non, j’en ai entendu parler mais je n’ai pas vu le film. Il faudra donc que je jette un œil sur l’affiche.
Concernant le processus de création, t’inspires-tu des textes de Mikael ou de mots clés… ?
Bien sûr, c’est le but. Mon travail consiste à prendre les textes, le concept ou la musique de l’album et d’unir tout ceci en quelque chose de cohérent et sensé afin d’agrandir un peu plus la portée des chansons. C’est prétentieux de dire que j’y arrive à chaque fois, mais je crois, pour être honnête et rester modeste, que je ne m’en sors pas trop mal. Bien entendu, je lis les textes de Mikael. Il y a un vrai travail en binôme, dans le sens ou nous parlons beaucoup entre nous de ce que veut dire tel passage, ainsi on devine comment le mettre en image. La démarche en elle-même est intéressante, d’autant que Mikaël s’investit de plus en plus dans le processus et dans la direction à prendre, ce qui me réjouis.
Es-tu impliqué dans la réalisation des vidéos de Dark Tranquillity, ou au contraire, préfères-tu rester à l’écart ?
J’ai des idées pour des réalisations de vidéos . Celle de « Lost To Apathy » tourne visuellement et essentiellement autour du livret de Character. Sans trop rentrer dans le côté technique, la couverture de l’album contient beaucoup de calques Photoshop et le responsable 3D de la société de production vidéo en a fait un tout en volume. Je m’intéresse de près à la 3D et à tout ce qui touche à la vidéo et la post-production. Malheureusement, j’ai très peu de temps pour me pencher sur le sujet.
Quelques exemples de son travail :
Ce que Niklas Sundin pense de :
Hugh Syme
J’ai vu quelques-uns de ses travaux et j’ai été réellement impressionné. Je crois qu’il a réalisé la pochette de Synergy d’Extol. Je ne suis pas un grand expert de Hugh Syme mais le peu que j’ai vu m’a vraiment intéressé.
Roger Dean
C’est l’artiste attitré de Yes, c’est ça ? Son travail est fabuleux. Je dois cependant avouer que je ne suis pas un grand fan des musiques progressives, mais j’ai toujours été attiré par son travail. Je regardais des livres ou des disques lorsque j’allais chez des copains et j’étais vraiment bluffé. Il fait partie de ces artistes au style inimitable et immédiatement reconnaissable. Ce qui me fait rappeler avec nostalgie le bon vieux temps des 33 tours où l’on pouvait prendre le vinyl à pleines mains et l’apprécier. Ce n’est plus la même chose avec les CDs hélas.
Dave Mac Kean
Comme je disais plus tôt, c’est un génie, c’est impossible de ne pas admirer son travail. C’est le pionnier du mélange entre l’art abstrait et l’art plus réaliste.
Ce que Niklas Sundin pense de ses confrères actuels.
Mattias Norén (Progart.com)
Ah, un compatriote ! Nous avons quelques échanges d’e-mails. J’adore ce qu’il fait et je pense qu’il a vraiment trouvé en la scène prog metal son champ d’action. Il a beaucoup de talent. Fait rare : je trouve même qu’il arrive à résumer en une couverture d’album, le groupe pour lequel il travaille et son genre musical. Il arrive à donner une identité visuelle et ça n’est pas donné à tout le monde.
Travis Smith (Seempieces)
Je vais encore employer un superlatif : Fantastique. Je suis un grand fan de Travis, depuis longtemps. Nous sommes régulièrement en contact et j’aime beaucoup ce qu’il fait. Ce qui est intéressant c’est qu’il se diversifie dans les genres musicaux tout en gardant son style.
Site officiel : http://www.niklassundin.com
6. Œuvres de référence
Quelques ouvrages consacrés à certains illustrateurs sont disponibles dans le commerce ou sur Internet. Si ce dossier vous a donné l’envie d’en découvrir davantage, nous vous invitons à vous procurer ces livres.
Roger Dean a édité deux ouvrages mais nous ne retiendrons que Views sorti en 1975 qui reprend la quasi-totalité de ses pochettes d’album. Il a été réédité en 2004.
Storm Thorgerson a également édité deux livres : le premier Mind Over Matter est entièrement consacré à son travail pour Pink Floyd. Le second, Eye Of The Storm reprend ses travaux pour d’autres artistes. Ce sont de très beaux livres avec papier de qualité et mise en page soignée. Il a également réalisé la maquette du livre Pink Floyd : L’Histoire selon Nick Mason.
Il n’existe pas, à notre connaissance, d’ouvrage consacré à Hugh Syme. Néanmoins, l’artiste propose à la vente sur son site des impressions de quelques-unes de ses œuvres.
Mark Wilkinson a vu ses œuvres pour Fish et Marillion compilées dans Masque. Le livre est disponible sur son site et celui de Fish.
Dave Mc Kean a sorti de nombreux livres et de bandes dessinées, et certains ouvrages lui sont consacrés ; mais aucun, à ce jour, ne rassemble ses pochettes de CD. Néanmoins, un livre montre l’évolution technique et artistique de Mc Kean : The Dust Covers, qui reprend l’intégralité des couvertures réalisées pour « The Sandman ».
Rodney Matthews, quant à lui a vu plusieurs de ses travaux rassemblés dans différents volumes, In Search Of Forever, Last Ship Home et Countdown to Millenium, disponibles sur Internet.
Niklas Sundin a récemment compilé ses crayonnés dans deux recueils : Gadus Mortua 1 & 2, disponibles sur son site, où l’on trouve en grande partie des essais faits à la main. A notre connaissance, il n’existe pas de livre rassemblant ses travaux réalisés pour des groupes.
7. Analyse de livret : Rush – Test For Echo
Il existe plusieurs approches possibles dans l’explication thématique et visuelle d’un livret de CD. Nous avons pris pour exemple quelques pages du livret de Test For Echo de Rush dont le design est signé Hugh Syme (qui a dit « évidemment ! »? ). En l’occurrence, Syme a eu recours à la technique dite du brainstorming qui consiste le plus souvent en une réunion au cours de laquelle, on couche sur papier tous les mots gravitant autour d’un autre ou d’un thème sur lequel on est amené à travailler. Exemple : la dernière campagne d’Evian et le slogan Déclarée source de jeunesse par votre corps. Voyez le résultat et l’impact de la publicité sur les enfants qui chantent « We Will Rock You » de Queen. Mais revenons à nos moutons.
La couverture met en scène trois alpinistes, (qui, au passage, sont peut-être Geddy Lee, Alex Lifeson et Neil Peart, qui sait ?) escaladant une colline faite de pierres gigantesques formant une statuette géante. L’alpiniste le plus en hauteur regarde vers le bas, afin de voir si tout va bien, donc effectue un Test (premier clin d’œil au titre). Si on suppose qu’il y a un dialogue, on suppose donc un interlocuteur. Dans cette situation, la réponse émise provoquera un Echo. Nous avons là notre deuxième clin d’œil au titre de l’album.
Explication de quelques illustrations associées à certains titres
« 1 – Test For Echo » : Les paroles du titre éponyme sont accompagnées en arrière-plan de l’image d’un loup hurlant sous la pleine lune. En imaginant que vous vous baladiez en pleine forêt canadienne de nuit, il y a de fortes chances que vous entendiez parfaitement le hurlement du loup. La première des choses que vous regardez dans un livret n’est cependant pas le visuel. Vous venez de lire les paroles, et vous cherchez le lien entre le loup et celles-ci. Il n’y en a pas, si ce n’est les mots « Test For Echo ». En effet, les paroles de Neil Peart ne traitent pas de la condition des loups au Canada (sujet sommes toutes intéressant), mais des répercussions de la Télé Réalité : procès retransmis sur des chaînes nationales ou câblées, poursuites en direct avec caméras embarquées ou prises d’otages, tout est fait pour donner le vertige au téléspectateur devant son tube cathodique.
« 2 – Driven » : Un troupeau de loups (encore eux), tirant leur maître sur un traîneau. Cette image peut contenir un double sens. Deux interprétations sont alors possibles et tournent autour de la phrase It’s my turn to drive : soit l’on suppose que le maître dicte le chemin, dans ce cas on lui attribue It’s my turn to drive, soit les loups se « rebellent » et vont là où leur instinct les mène… It’s my turn to drive, mais on ne sait où…
« 3 – Half The World » : Ici, Hugh Syme dépeint de manière un peu plus « simple » (tout est relatif) les pensées de Neil Peart avec une vue de la Terre déchirée en son milieu et il vise juste : le Monde est séparé en deux parties en bien des points. La réussite d’une moitié éveille la jalousie de l’autre, la joie de l’autre moitié provoque la peine chez sa sœur. Half the world cries, half the world laughs, half the world tries to be the other half…
« 4 – Dog Years » : De vieilles photos de Geddy Lee, Alex Lifeson et Neil Peart illustrent les paroles de « Dog Years ». On pourrait d’abord que penser que Neil Peart adore les chiens au point de leur consacrer une chanson (et pourtant Michel Drucker, grand amateur de hard rock et en particulier de Lordi, n’a pas consacré d’émission à Rush). Tout porte à croire que Peart est peut-être nostalgique du passé et de ses débuts avec Rush. C’est une hypothèse qui n’est pas à exclure puisque cela faisait à l’époque exactement vingt et un ans que Peart avait rejoint Rush, soit l’équivalent de trois années canines (une année canine équivaut à sept années humaines). Cela fait un sacré bout de chemin, d’où l’exhumation possible ces photos sorties du grenier, jaunies par le temps. Mais où Neil Peart et Hugh Syme vont-ils chercher tout ça ?
« 5 – Virtuality » : Il est question ici d’Internet au sens large du terme, que Neil Peart a choisi de représenter sous la forme d’un océan inconnu. Il parle d’empreintes dans un sable virtuel et l’on voit l’épave d’un navire échoué au fond dudit océan. L’autre page représente le sable mais l’on n’en connaît pas l’origine. Peart a choisi de représenter l’internet sous une des formes les plus simples qui soient : la mer. Il insiste sur ce point dans le refrain de « Virtuality » : And throw it in the cyber sea. Autre représentation figurant dans les paroles, celle de l’être humain, sous les traits d’un aigle (Let’s fly tonight on virtual wings) survolant cette mer inconnue.
« 6 – Resist » : On retrouve la statue de la couverture de Test For Echo et nos trois alpinistes, à la seule différence qu’ils n’ont pas encore commencé leur ascension. Au sommet de la statue, on peut apercevoir un panneau « interdiction de faire demi-tour ». Clin d’œil humoristique ou ironique d’Hugh Syme ? A première vue, on pourrait le croire. Mais en fait, il s’agit d’un autre clin d’œil aux textes de Neil Peart où il est question de l’être humain, de sa soif de conquête et de sa volonté à aller au bout des choses, comme l’évoquent ces lignes : I can learn to resist, anything but temptation. La soif de conquête aidant l’homme à aller au bout de ses désirs, le panneau montre qu’une fois la conquête commencée, il est impossible de faire marche arrière.
Dossier réalisé par Dan Tordjman
Remerciements chaleureux à messieurs Syme, Sundin, Noren & Ewerhard pour leur disponibilité, au portail consacré à Rush (http://www.2112.net) pour la mise à disposition des visuels de Test For Echo. Il convient de préciser que toutes les créations utilisées dans ce dossier sont propriété leurs auteurs respectifs.
Corrections et mise en page : Rémy Turpault, Jean-Philippe Haas, Sandrine Isenmann, Brendan Rogel, Djul et Jean-Daniel Kleisl