ENTRETIEN : TIME OF ORCHIDS
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Origine : Etats-Unis Style : post-metal Formé en : 1999 Composition : Chuck Stern – claviers / guitares / voix Eric Fitzgerald – guitares / voix David Bodie – batterie Jesse Krakow – basse Dernier album : Namesake Caution (2007) |
Après l’annonce surprise de la séparation du groupe, c’est à un entretien posthume que s’est livré Time of Orchids. Une occasion pour son bassiste de revenir sur sa carrière avec beaucoup de franchise et de lucidité et sur les projets futurs de ses anciens membres, ce qui est plus réjouissant.
Progressia : Bonjour Jesse ! Que penses-tu rétrospectivement de votre avant-dernier album, Sarcast While, considéré par certains comme votre chef d’œuvre ? Jesse (basse) : Je ne le savais pas mais cela fait plaisir de l’entendre. Alors que Namesake Caution me semble être un album plus fort, plus direct et plus axé sur une série de chansons, Sarcast While sera toujours un disque à part pour moi. Je ne me rappelle pas que le groupe ait été plus soudé qu’à cette époque là. Notre premier batteur nous avait quittés juste avant la sortie de notre troisième album, Early As Seen In Pace, et nous étions exténués. Mais très vite, Bodie nous a rejoints, nous nous sommes remis à composer et Tzadik nous a offert ce contrat : nous avions l’impression de faire partie d’un autre groupe. Comme c’était le cas, d’une certaine manière, nous avons mis au placard tous nos préjugés sur ce que devait être Time of Orchids pour simplement écrire des titres, qui se sont rapidement empilés. Je sais que certaines personnes n’ont pas aimé ce disque à cause de tout ce contexte, mais pour moi, c’est ce qui en fait une œuvre d’art. Mes CD favoris sont The White Album (les Beatles), Trout Mask Replica (Captain Beefheart) et Disco Volante (Mister Bungle), des albums qui vous relancent sans cesse avec la promesse de nouvelles découvertes et je crois que Sarcast While est la concrétisation la plus aboutie de cette approche qu’il m’ait été donné de concevoir jusqu’ici.
Pourquoi avoir choisi Cuneiform plutôt que Tzadik ? C’est une longue histoire. Cela n’a pas été une décision à proprement parler, mais plutôt le fruit d’un constat de notre part. Entre les contraintes de temps, d’argent et d’emplois du temps, ainsi que les dates de sorties, il y avait de nombreux obstacles qui n’existaient pas lors du précédent album, étant noté qu’aucun d’eux n’est imputable à Tzadik. Par hasard, alors que toutes ces difficultés s’amoncelaient, Cuneiform a exprimé son intérêt pour notre travail. Puisque nous adorons ce label depuis des années (et que j’avais réalisé sur celui-ci un autre album, Pork Chop Blue Around The Rind de Fast ‘n Bulbous: The Captain Beefheart Project) nous avons été ravis de les rejoindre. Ce fut une sorte de rencontre entre un mauvais et un bon timing.
Quelles sont les différences entre ces deux labels, réputés pour leur élitisme ? Je crois qu’il faut plutôt s’intéresser à leurs similarités. John Zorn et Steve Figgenbaum sont tous deux incroyablement impliqués pour sortir des disques en lesquels ils croient. Chaque production est en quelque sorte à leur image. Il est rare qu’un dirigeant de label inspire autant l’artiste qu’il produit, surtout lorsque l’artiste en question est si singulier. De plus, ce sont de vrais supporters, qui placent toute leur confiance et leur foi dans les artistes qu’ils signent. Le fait que je connaisse John et Steve depuis des années, les aie tenu au courant de l’actualité de Time of Orchids en leur envoyant nos albums, a facilité les choses. Ainsi, arrivés au stade de la signature du contrat, cela a été simple, parce qu’ils savaient qui nous étions. Cela s’appelle la confiance. Quant aux différences ? Je dirais que John porte des pantalons baggy tandis que Steve est plutôt chemise hawaïenne !
Comment décrirais-tu Namesake Caution ? Nous lui avons trouvé une atmosphère étrangement candide et parfois joyeuse… Vraiment ? Moi, il me fait pleurer chaque fois que je l’écoute. J’admets que j’en suis plus proche que la plupart des gens, et je n’ai pas pu l’écouter depuis des mois. Un peu comme lorsqu’on a la grippe et qu’on reste le nez sous la couette, se sentant protégé ; lorsqu’on se sent mieux et que les toxines s’évacuent, on en sort et on n’en veut plus. Cela dit, je suis certain que lorsque la saison des allergies reviendra, je remettrai ma tête sous la couette.
Le format des titres est plus court qu’auparavant, avec une approche moins centrée sur le développement d’atmosphères… Chaque CD était conceptualisé bien avant qu’il ne fut enregistré. Ainsi, le séquençage des titres se révèle de lui-même et nous donne aussi une idée sur la longueur de chacun d’eux. Puisque nous avons vraiment porté cette idée à son paroxysme sur l’avant-dernier album, nous avons voulu y revenir et avoir une approche plus uniforme sur Namesake Caution. Plutôt que d’avoir des morceaux brefs, moyens, longs ou énormes, nous voulions juste avoir… des morceaux. Quand je réécoute Early As Seen In Pace, en particulier sa seconde moitié, je trouve qu’il y a beaucoup de choses qui semblent forcées, comme si nous cherchions à tout prix à ce qu’un titre atteigne une certaine durée ou une certaine ambiance, sans que cela semble naturel, même si nous n’avions rien à dire. C’est exactement l’écueil que nous avons cherché à éviter.
Qu’a apporté Colin Marston au groupe en tant que producteur ? Enormément de choses. Colin est quelqu’un d’extraordinaire à côtoyer en studio. Au-delà de son don pour la musique (écoutez ce qu’il fait avec Behold… The Arctopus), il est incroyablement professionnel, organisé et rapide, mais il est aussi ouvert aux « mauvaises » idées et travaille dur pour en faire des réalités. Nous avons ainsi réussi à faire un disque de certains projets impossibles, et de ce fait, Namesake Caution est celui qui sonne le mieux. S’il apprécie votre musique, il s’y implique et apporte des choses qui enrichissent les titres à plusieurs niveaux. Encore mieux, c’est le gars le plus cool avec qui traîner et rigoler.
Le titre phare de ce nouvel album est « Darling Abandon ». Dis-nous en plus sur ces paroles ! Elles ont été écrites par Chuck. Tous ses textes ont toujours été totalement impénétrables depuis que je le connais. Je n’ai donc pas la moindre idée de ce dont parle « Darling Abandon » ! Cela dit, c’est cette forme d’approximation que recherche Chuck : donner une perception, une impression. « Voici quelque chose dans lequel vous pouvez vous perdre si vous le souhaitez ». Si vous voulez y trouver un sens précis, libre à vous, mais vous manqueriez l’essentiel. J’ai toujours pensé que les meilleurs chansons sont celles qui évoquent ce dont vous voulez qu’elles parlent, quel que soit le point de vue de son auteur. Mais si tu veux me dire ce que tu en penses, transmets-le moi et j’en parlerai à Chuck.
Désolé d’être un peu obsédé par le progressif, (voyez notre nom), cette chanson ne sonne-t-elle pas comme Yes ? Cela dépend de quel période on parle ! Yes n’a parfois jamais sonné comme Yes, tu sais ! Je dirais que n’importe quel « Yes-isme » dans ce titre est le fruit du plus complet des hasards, puisque nous n’écoutons pas ce groupe tant que cela. Cela dit, cette petite « coda » à la voix/guitares qui termine le morceau est à la fois puissante et vivifiante, et Yes avait ce genre d’atmosphère, en particulier sur la fin de « Close to the Edge ». Par ailleurs, Jon Anderson et Eric sont tous deux ténors, avec une tendance à mettre leur voix très en avant, et le morceau n’est pas en 4/4. On peut donc finalement dire que ce titre sonne comme Yes !
Vous utilisez une esthétique autour de l’album et des vidéos réalisées pour sa sortie. Pourquoi avoir choisi cette ambiance très « années quatre-vingts », à base d’images pixellisées ? C’est une idée de Chuck. Cette imagerie l’a touché, ce qui l’a amené à la développer pour l’album. En tant que grand amateur du MTV du début des années quatre-vingts, avec toutes ses vidéos sombres et ambigües, cette approche me plaît également : une sorte de mystère attirant, qui en dit beaucoup sans pourtant rien dire du tout. Chuck et Eric sont également de grands amateurs des Cocteau Twins, ce qui a aussi influencé l’ambiance de l’ensemble.
Crois-tu que le groupe ne peut plaire qu’à ceux qui possèdent un certain degré d’abstraction ? Dans un certain sens. Je ne dirais pas que nous avons adouci notre son au fil du temps, mais il est fort possible que lorsque nous avons arrêté de crier, de noyer les guitares sous la distorsion pour nous mettre à chanter, et ralentir les tempos, certains ne se sont plus intéressés à nous, pensant que nous étions devenus un groupe pop ou de ballades. Si c’est le cas, c’est bien malheureux, puisque Time of Orchids n’a jamais cherché à se limiter : nous préférons largement nous ébattre dans la zone grise, même si cela doit être laid, bizarre, caustique, inconfortable ou provocant. Ce type d’esthétique est bien plus abstraite qu’un mur de guitares saturées et que des vocaux gutturaux employés presque par défaut. Par exemple, même si on peut comprendre chaque mot employé, les B-52’s sont extrêmement abstraits, avec leur « There’s A Moon In The Sky (Called The Moon) »? Qui écrirait un titre sur ce thème-là ? C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime autant ce morceau !
Nous en arrivons à la séparation du groupe. Peut-elle s’expliquer par le fait que vous n’arriviez pas à toucher un public assez large à cause de votre singularité, parfois perturbante ? Je ne crois pas que ce soit la raison principale. Honnêtement, il y a de nombreux facteurs qui ont joué, et je ne préfère pas aborder certains d’entre eux. Je ne crois pas que qui que ce soit dans le groupe puisse donner la réponse exacte à ta question, autrement, nous aurions peut-être pu en parler entre nous et ne pas nous séparer ! Nous étions ensemble depuis longtemps. Il aurait été génial d’aller encore plus avant, mais avec des « si »… cela n’a pas de sens d’y penser. On risque de finir englouti sous le poids de « ce que l’on a eu trop peur de faire ». D’où l’idée de nous arrêter, d’essayer quelque chose de nouveau.
Crois-tu que vous avez dit tout ce que vous aviez sur le cœur avec ce dernier album ? Pour le moment. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes considérés comme quittes. Nous avons dit beaucoup de chose en huit ans et demi ; nous avions l’impression que si nous avions continué, nous aurions peut-être dit les mêmes, d’une manière différente. Cela aurait pu finir en un Namesake Part 2. Il ne fait pas partie de notre approche de persister dans une même voie juste pour le plaisir de dire que nous sommes encore un groupe. Ta question est intéressante parce que cela a effectivement été une affaire de cœur : notre cœur « collectif » s’est séparé.
Dans quels termes souhaiterais-tu que l’on souvienne de Time of Orchids ? Je préfère penser à la façon dont je voudrais m’en souvenir.
Si tu devais sélectionner un titre de votre discographie pour permettre de découvrir le groupe, lequel serait-ce ? « Scolex Throne » de Melonwhisper, « Pleasure Indeed » de Much Too Much Fun, « Mention A Barn » de Early As Seen In Pace, « Swarm Of Hope » de Sarcast While, and « Crib Tinge To Callow » de Namesake Caution.
Parle nous de votre dernier concert. Je ne vais pas mentir : ce ne fut pas une expérience très joyeuse : personne n’a trouvé que nous sonnions de manière incroyable ou magique ce soir là. Il y a également eu quelques difficultés techniques et une énorme attente du public, ce qui n’a pas facilité les choses. Au plan personnel, je savais juste avant que cela ne démarre que ce serait notre dernier concert. J’étais sur le point d’en dire quelques mots avant d’entrer sur scène, mais avec le recul, je suis soulagé de ne pas l’avoir fait, pour qu’au moins nous ayons pu donner l’illusion d’un groupe ayant encore des buts et des intentions. L’idée même que le concert ait été enregistré est bizarre. Je veux dire par là que les derniers moments, tristes, du groupe ont été capturés, ce que la plupart des formations n’ont pas vécu, et n’auraient sans doute pas voulu.
On retrouve ce concert sur Youtube : allez-vous le sortir officiellement ? Je doute que nous fassions quoi que ce soit de ces enregistrements, mais il reste d’autres choses qui pourraient refaire surface un de ces jours. Par exemple, un mini-album de trois titres composés juste avant Melonwhisper, des compositions expérimentales sorties juste après Sarcast While et quelques remixes dont on pourrait faire quelque chose, même s’il est difficile de dire quand, quoi et pourquoi. Il y a aussi un trillion d’heures d’improvisations enregistrées qui sont si drôles qu’elles finiront peut être par voir le jour.
Quels sont les projets de chacun des membres ? Je viens de sortir un album solo appelé World Without Nachos sur Eh! Records et j’ai débuté un nouveau projet avec Julee Cruise, Clifton Hyde, Mike Pride, et Jamie Saft. Je vais également sortir un nouveau CD avec Fast ‘n Bulbous au printemps et travailler avec le collectif expérimental We Are The Musk Brigade. Chuck a formé son propre projet solo, Stern. Bodie a tout juste rejoint Kayo Dot et a commencé à tourner avec eux. Il joue également avec Bill Brovold de Larval. Encore plus intéressant, Eric, Bodie et le premier batteur de Time of Orchids, Keith Abrams, ont également formé un groupe. Il y a donc encore beaucoup de musique à composer, ce qui adoucit un peu la tristesse de notre séparation, et nous donne des raisons de rester en contact les uns les autres.
Un dernier mot ? Au risque de passer pour émotif – ce que je suis -, je n’imagine pas les huit dernières années de ma vie sans Time of Orchids. Je crois que cela a été un moment inoubliable, tant musicalement qu’émotionnellement, et qu’il a changé nos vies. Rien que pour cela, je suis fier et redevable de tout ce que nous avons accompli. Même de notre reprise de « Spice Up Your Life » avec des shorts en spandex. Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? J’espère qu’il y aura un moment où nous pourrons nous asseoir tranquillement tous les quatre dans la même pièce et nous remémorer avec émotion Fime et Doohickey. Tu as le droit de t’interroger et de ne pas savoir ce que c’est !
Propos recueillis par Djul Crédits photos : Krzysztof Serafin
site web : http://www.timeoforchids.com
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